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Immortelle Fadhma
Le dernier film de Belkacem Hadjadj
Publié dans El Watan le 17 - 05 - 2014

Fatma N'Soumer, la dame au bandeau et au henné ; son nom était connu de toutes les tribus».
Ainsi est décrite cette héroïne dans un vieux chant kabyle à sa gloire. De l'histoire de cette femme qui a mené une farouche résistance aux troupes du Maréchal Randon au milieu du XIXe siècle, il nous reste peu de traces tangibles. Mais sa légende habite l'esprit des Algériens et, dans les années 80', on la chantait encore sur les rythmes du groupe Tagrawla. Aujourd'hui, c'est le septième art qui s'empare du personnage avec Fadhma N'Soumer, Le burnous embrasé* de Belkacem Hadjadj, projeté en avant-première la semaine passée à Alger. On se souvient de la série TV Adra' El djabal (La vierge de la montagne, 2004) réalisée par Samy El Djenadi sur un scénario de Azzeddine Mihoubi. Il n'avait pas fait l'unanimité à cause des libertés prises avec l'histoire et des accents orientalisants de cette production algéro-syrienne.
Le film de Hadjadj réalise un saut qualitatif certain dans le traitement de ce personnage-référence dans l'histoire de la résistance anticoloniale. Le réalisateur s'est donné les moyens de ses ambitions en s'entourant d'une équipe aux compétences avérées. On citera notamment le Grec Yorgos Avanitis, directeur photo connu pour sa collaboration avec le réalisateur Théo Angelopoulos, le poète Mohamed Benhamadouche (Ben Mohammed), auteur du célébrissime tube A vava inuva, qui a signé les dialogues, et le compositeur Safy Boutella qui n'est plus à présenter. Quant à l'héroïne, c'est (à la surprise générale) la franco-Libanaise Laetitia Eido qui l'a magnifiquement campé par son charisme et ses grands efforts pour apprendre phonétiquement les dialogues en kabyle.
Il n'est pas aisé de réaliser des fictions autour de l'histoire. Et cela est d'autant plus vrai quand les sources se font rares et les légendes nombreuses.** Pour le scénario de Fadhma N'Soumer, co-écrit avec le Canadien Marcel Beaulieu, Belkacem Hadjadj a tenté avec un certain succès de se maintenir sur le fil ténu séparant la réalité du mythe. Véritable exercice de funambule pour ce film de 96 minutes axé sur la période guerrière de la vie de Fadhma N'Soumer, entre 1849, quand elle rejoint la résistance de Si Mohamed El Hachemi et 1857, année de sa capture.
Faute de fidélité historique absolue, le réalisateur a tenu à rester dans la «vérité humaine» du personnage et celle de la période. Il faut signaler que le sujet n'est pas du tout étranger à ce réalisateur qui a soutenu un doctorat sur la tradition orale et l'image. La seule balise qu'il s'est imposée pour cette fiction est de ne pas être en contradiction avec le contexte historique. Par ailleurs, le récit mythique perpétué par la tradition orale a été pris en compte mais avec une certaine distanciation. A titre d'exemple, cette scène où l'on entend des rumeurs du village après le départ d'un pestiféré recueilli par Fadhma.
De bouche à oreille, et à force d'hyperboles, le mythe de la sainte aux pouvoirs surnaturels se construit. Par ailleurs, certaines croyances sont totalement assumées comme celle du talisman offert par Fadhma qui protège Boubeghla des balles ennemies.
Hadjadj, qui a réalisé auparavant deux films sur les «bandits d'honneur»,
Djilali el Gataâ et Bouziane el Kalii, connaît bien le mécanisme de l'oralité et son importance dans la résistance à la colonisation.
Sans la croyance en une «baraka» du chef, avantage surnaturel sur l'armée française, les tribus ne se seraient pas aventurées dans des batailles perdues d'avance contre un ennemi très largement supérieur en nombre et en moyens. «Le mythe lui-même participe de la résistance, affirme Hadjadj. Une collectivité opprimée se défend par la parole et l'imaginaire. C'est une sorte de vengeance symbolique, en chantant les prouesses des héros, on garde la flamme de la résistance. Mais il est très difficile de traduire cela en image.»
L'oralité a été subtilement intégrée par un personnage-narrateur nommé Azar, esprit des montagnes du Djurdjura, vecteur du verbe dans le feu de l'action. Ce dernier chante l'insoumission des hommes et des femmes libres et ponctue leurs hauts faits par des poèmes épiques. Ali Amran, barde rock'n'roll des temps modernes, a brillamment interprété ce rôle avec des chants qu'il a lui-même écrits et composés pour l'occasion. Interrogé sur ses sources d'inspiration, il se rappelle des chants traditionnels qui ont bercé son enfance mais soulignera que la composition se fait surtout «au feeling». Il ajoutera qu'il faut «rester crédible en se rapprochant de la structure et des images des chants de l'époque, tant sur le texte que sur la musique.»
Sur cette incursion dans le monde du cinéma, il nous confie : «Auparavant, j'avais une petite expérience dans le théâtre, mais j'ai joué ce rôle surtout parce que le personnage est proche de ce que je fais en tant que chanteur.»
Faire un film sur Fadhma N'Soumer est une gageure. Non seulement pour la rareté des sources, mais aussi parce que cette femme farouchement libre vaut, aujourd'hui encore, son pesant de poudre. Belkacem Hadjadj estime qu'il est salutaire de rappeler, «dans ces temps de régression de la condition des femmes au Maghreb et dans le Monde arabe», l'histoire de cette femme qui a dirigé des révoltes et mené une vie hors des sentiers battus.
De plus, le réalisateur a tenu à mettre en avant l'humanité du personnage, loin du mythe de la sainte. Il en va de même pour le personnage de Boubaghla, interprété par le Franco-marocain Assaad Bouab, qui est représenté avec son courage et sa fougue mais aussi ses excès. On le voit châtier impitoyablement les tribus soumises au colon : dans une scène assez dure, il fait danser les femmes d'une de ces tribus sur la place du village devant les hommes humiliés.
Un film sur les résistances populaires du XIXe siècle ne pouvait faire l'impasse sur les dynamiques tribales avec leur lot d'alliances mais aussi de vengeances et de trahisons. Le réalisateur a fait le choix de rompre avec l'héroïsme classique qui marque la majorité des productions sur l'histoire nationale. Il estime que le public d'aujourd'hui a besoin de personnages complexes et humains auxquels il peut s'identifier. Le compositeur Safy Boutella ajoute, non sans malice : «Boubaghla est beau même dans ses excès. Et, franchement, est-ce que les Algériens manquent d'excès ? C'est au contraire un aspect qui pourrait favoriser l'identification à ce personnage.» Ce guerrier impitoyable est un véritable «personnage de cinéma», selon les réalisateur qui consacre une grande partie du film aux scènes de batailles où Boubaghla se distingue par sa bravoure. Ce personnage a même tendance à éclipser celui de Fadhma, tout en retenue et requise par sa quête spirituelle difficile à imager.
La chef-monteuse, Isabelle Devinck, affirme avoir opéré de larges coupes, environ une heure de film, pour tenter de rétablir l'équilibre entre les deux personnages : «L'essentiel est de tenir la tension tout au long du film et de servir le récit. Par ailleurs, il fallait faire ressortir le personnage de Fadhma, car Boubaghla prenait trop d'importance. Après, quand vous coupez une scène, c'est toute une mécanique et d'autres parties doivent disparaître pour garder la cohérence du récit.» Si le personnage de Fadhma est plutôt silencieux et cérébral, le talent de Laetitia Eido a fait le reste et l'actrice crève littéralement l'écran. Le choix de cette comédienne s'est d'abord fait au faciès, car Hadjadj avait une idée précise de ce qu'il voulait : «Une Irène Papas à vingt ans».
Le physique filiforme de l'actrice est certes éloigné de la «beauté volumineuse» de Fadhma N'Soumer telle que décrite par les écrits de l'époque. Mais la prestation de l'actrice fait passer cette petite entorse à la réalité historique. Laetitia Eido, qui a déjà interprété des rôles en arabe algérien (Mollement un samedi matin) ou en latin (Destiny of Rome), a appris les dialogues avec un coach de luxe en la personne de Ben Mohammed. Ce dernier nous confie : «Dans les dialogues, j'ai essayé de lui simplifier la tâche. Quand c'était possible, je changeais les mots difficiles. Mais quand ce n'était pas possible, elle les apprenait quand même. C'est encourageant de travailler avec une personne qui a autant de volonté.» En outre, le dialoguiste a tenté de se rapprocher le plus possible de la langue kabyle du XIXe siècle «cette langue que je connais à travers la poésie de l'époque et les textes de Boulifa entre autres. Mais il fallait aussi tenir compte du public et de la génération d'aujourd'hui auquels il faut rendre accessible le texte.»
De même, le compositeur Safy Boutella a tenté de rester authentique sans tomber dans le côté couleur locale des thèmes folkloriques. «Quand un compositeur kabyle crée une œuvre, il ne se dit pas ‘‘il faut que je fasse kabyle'', note le compositeur. Tout est question d'inspiration. Le film a une portée universelle. Il serait réducteur de le limiter à des thèmes typiques. Avec des personnages de la grandeur de Fadhma N'Soumer ou de Boubaghla, l'inspiration vient d'elle-même.»
Le film de Hadjadj a précisément l'intérêt de montrer la portée humaine, donc universelle, des héros de notre histoire. Si son œuvre n'est naturellement pas au-dessus de toute critique, elle peut s'inscrire dans l'écriture du roman national, mais dans une écriture moderne et décomplexée, à même de parler aux Algériens d'aujourd'hui.

*Coproduit par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et la société Machaho, dirigée par Belkacem Hadjadj, le film a émargé au budget de la célébration du cinquantenaire de l'indépendance algérienne. Il a bénéficié du soutien du Centre national des études et recherches sur l'histoire du Mouvement national et sur la révolution du 1er Novembre 1954 (CNERMNR) et des ministères de la Culture et des Moudjahidine.
**Le seul ouvrage connu est celui d'un auteur qui n'était pas historien : Tahar Oussedik, «Lalla Fadhma n'Summer», Ed. Laphomic, Alger, 1983.


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