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URS, souffrances intimes
Du corps de la police aux corps des policiers
Publié dans El Watan le 16 - 10 - 2014

Mercredi 15 octobre. El Mouradia. Il est presque midi. Il fait un temps de chien. Aux abords du lycée Bouamama (ex-Descartes), la sortie des classes déclenche un brouhaha festif.
Des files de voitures attendent aux alentours, des parents venus récupérer leurs gosses. Un décor, en somme, ordinaire n'étaient les vagues d'hommes en bleu qui déferlent sans discontinuer sur le Golf avant de se masser à la lisière de la présidence de la République. Beaucoup d'entre eux ont passé la nuit sur place. Un hélicoptère bourdonne dans le ciel et tient cette marée bleue en respect.
Un peu plus haut que le lycée Bouamama, deux policiers des Unités républicaines de sécurité palabrent d'une façon décontractée, adossés à un muret. On ne savait trop, en les abordant, s'ils étaient de service ou en grève. Très vite, ils annoncent la couleur. Ils sont au nombre des policiers qui font le «siège» de la Présidence depuis mardi soir. L'un d'eux, Zino, 33 ans, grand blond aux yeux clairs, se lâche avec son délicieux accent de l'Est et déballe tout ce qu'il a sur le cœur.
Une colère longtemps rentrée, réprimée – pour rester dans le vocabulaire des « CRS » — et qui, soudain, fuse comme une lave volcanique. Scène cocasse : pendant qu'il s'épanche sur la misère des URS, un automobiliste au volant d'une Volkswagen Touran ralentit et lance au policier insurgé : «S'il vous plaît, je peux faire demi-tour ?» Zino lui rétorque avec un large sourire : «Dir wach habite (fais ce que tu veux) ! vas-y, tourne. Tu peux même parler dans ton portable, enlever ta ceinture de sécurité… Tu es libre mon frère. El youm entouma el kiada (aujourd'hui, c'est vous les chefs) !»
Un licencié en droit qui termine AOP
Comme tous ses collègues, Zino a les yeux cernés pour avoir passé une nuit blanche. Lui, n'est pas venu de la caserne d'El Hamiz, mais de Blida. «Toutes les wilayas sont représentées ici», insiste-t-il. Originaire de la région de Skikda, célibataire malgré lui, Zino affirme détenir une licence en droit et une capa. «J'ai fait mes études à l'université Mentouri de Constantine», assure-t-il. «Mais je suis AOP (agent de l'ordre public), ma licence ne m'a servi à rien.» Issu d'une famille modeste, il a fini, de guerre lasse, par endosser l'uniforme. «J'ai frappé à toutes les portes, en vain. Comme j'étais zawali, j'ai intégré le corps de la police. Mais je l'ai fait par conviction. Je me disais que c'est sûrement un bon métier.»
Aux termes de six ans de service, c'est la désillusion. «Je touche toujours un salaire minable de 32 000 DA. Nous, les AOP, notre salaire de base ne dépasse pas les 17 000 DA. Nous trimons à un rythme infernal, comme des esclaves. Personne n'a défendu l'Etat comme nous, nous l'avons défendu. Aucun corps n'a enregistré autant de martyrs au plus fort du terrorisme. Mais malgré tous nos sacrifices, il n'y a eu aucun geste de reconnaissance envers nos efforts.» Zino souligne que la manifestation déclenchée par les URS n'est motivée par aucune revendication politique. «Moi, ma hantise, c'est la paie. Notre salaire part dans les boîtes de conserve qui nous empoisonnent l'estomac. Nous mangeons de la m… Nous demandons un salaire de 70 000 DA. Nous exigeons également le droit au logement. A 33 ans, je ne suis pas marié. A votre avis, pourquoi ? On n'a droit ni à l'AADL, ni au logement social, ni au logement rural, ni au crédit bancaire. C'est pas juste !»
Autre revendication : «Nous demandons la réhabilitation immédiate de nos camarades qui ont été révoqués à Ghardaïa. Même s'ils ont commis des erreurs, il faut les comprendre. Nous sommes tout le temps sous pression. J'ai servi à Ghardaïa et je peux vous dire que c'est l'enfer. Normalement, ils devraient nous enlever le Sud. On reste 5 ans en service dans le Sud avant d'être mutés et, parfois, on y passe 6 ans. Sans compter que les URS sont mobilisés sur les 48 wilayas. On fait les stades, les émeutes, les visites officielles... tout. On nous a infligé le régime 3X8 qui est une torture. Au bout d'un mois, tu es cuit.»
Concernant le départ de Hamel, Zino est clair : «Moi, que ce soit avec Hamel ou un autre, c'est la même galère. Tout ce qui m'intéresse, c'est le social. On a entendu le ministre (Belaïz, ndlr) promettre des choses. Y'en a marre des promesses ! Moi, je ne les croirai pas avant que ça soit consigné dans le Journal officiel. On ne bouge pas d'ici tant qu'on n'a pas été reçus par Sellal. Le jour de l'Aïd, j'ai été mobilisé pour assurer la sécurité sur son itinéraire. A cause de lui, j'ai passé l'Aïd loin de ma famille alors, aujourd'hui, c'est la moindre des choses qu'il nous reçoive.»
Et de préciser : «Notre manifestation est pacifique. On a marché dans le calme, on n'a pas bloqué la circulation. Moi, je suis avec l'Etat, avec le gouvernement, avec Bouteflika. On ne veut pas provoquer de fawdha (anarchie) dans le pays. Nous sommes des patriotes. Nous ne pouvons pas nous élever contre ce système puisque c'est nous qui l'avons porté. Tout ce que nous voulons, c'est un peu de considération. Qu'ils nous baratinent, maâliche, mais on veut entendre de la bouche du Premier ministre au moins un petit mot de reconnaissance pour nos nombreux sacrifices. S'ils daignent nous écouter, on est prêts à reprendre tout de suite le service et aller encadrer le match de l'équipe nationale à Blida
«Et pourquoi vous réprimez les médecins et les enseignants ?»
Zino est décidément bien inspiré. Volubile. Sa rage a rompu toutes les digues. Il respire à pleins poumons cette liberté toute nouvelle et n'entend pas en lâcher une miette. Il est euphorique. Il apostrophe les passants : «Regardez, le peuple est avec nous car il sait que les URS maâ zawalia.» De fait, des citoyens saluent nos policiers grévistes avec un zeste de solidarité. Une dame leur lance un chaleureux «bravo !» agrémenté d'un sourire. Il faut noter, cependant, que les commentaires populaires ne sont pas toujours amènes. Une femme d'un certain âge s'inquiète : «Ce n'est pas comme ça qu'on revendique ses droits. C'est très grave ce qui se passe. On va devenir la risée du Maroc et d'Al Jazeera...» Une jeune femme n'hésite pas à exprimer sa perplexité : «J'aimerais pas être à votre place», lance-t-elle. «Ils vont lâcher vos collègues sur vous.» Zino : «Jamais ! Ce sont nos frères.» La jeune femme revient à la charge : «Et pourquoi vous réprimez les médecins, les enseignants, les simples citoyens ?»
C'est en effet une question qui revient sur toutes les lèvres : comment se fait-il que ces mêmes policiers qui ont longtemps servi à matraquer la société civile à la moindre bronca s'arrogent aujourd'hui le droit de manifester en toute «impunité» ? Zino ne se laisse pas démonter : «Nous, si on empêche les autres manif', c'est parce qu'elles ne sont pas autorisées. Mais on ne fait qu'appliquer la loi et obéir aux instructions de nos supérieurs. Et on essaie toujours de disperser les manifestants en recourant le moins possible à la force. Vous me dites pourquoi nous, on manifeste alors qu'on n'a pas d'autorisation ? Je vais vous répondre : quand les médecins manifestent, ils ont un syndicat et, au nom de ce syndicat, ils peuvent demander une autorisation. Mais nous, nous n'avons pas de syndicat pour nous représenter et défendre nos droits, et c'est précisément pour cette raison qu'on revendique le droit de se doter d'un syndicat.»
«Nous allons paralyser Alger si…»
Zino est persuadé que les autres corps de sécurité ne vont pas les empêcher de poursuivre leur fronde. «Les militaires, les gendarmes, la Garde républicaine sont solidaires avec nous. On est tous dans la même marmite», dit-il, confiant. «On aime tous notre pays. Nous voulons tous une Algérie libre, démocratique, où tu marches la tête haute !» Dans le périmètre ultra-surveillé de la Présidence, hormis un certain nombre de 4x4 de la police et de la gendarmerie, le dispositif déployé pour endiguer le mouvement des URS grévistes est loin d'égaler celui mis en branle au moindre débrayage initié par un quelconque sigle de la société civile ou des syndicats autonomes. D'où l'embarras des autorités face à ce mouvement social tout à fait inédit, nous ne le dirons jamais assez.
Autre cas, autre récit. Celui de Mohamed (appelons-le ainsi), un autre élément des Unités républicaines de sécurité, originaire d'un petit patelin de la wilaya de Bordj Bou Arréridj, marié et père de quatre enfants. Mohamed est AOP et compte 5 ans de service à son actif. Il est rattaché à l'unité d'El Hamiz. «On est venus hier, à pied. On a marché toute la nuit sous une pluie battante. On n'a encore rien mangé. Mais nous sommes prêts à rester ici une semaine entière s'il le faut. Vous n'avez encore rien vu. Le mouvement ne fait que commencer et il n'est pas près de s'arrêter. Si on n'obtient pas gain de cause, nous allons paralyser Alger
Mohamed marche avec une canne. Et pour cause : «J'ai servi lors des émeutes de Bab El Oued, en 2011, et j'ai reçu un bloc de pierre dans le dos. J'ai une double hernie discale.» Et d'ajouter : «On travaille dans des conditions inhumaines. On nous applique le système du 3X8. Tu n'as pas le temps de souffler. Parfois, je suis obligé de dormir avec mes rangers tellement je suis perclus de fatigue. Je n'ai jamais passé l'Aïd avec mes enfants. Pendant le Ramadhan, il m'est arrivé de dîner à 22h. J'ai vécu l'enfer à Ghardaïa.
D'ailleurs, c'est ce qui a déclenché ce mouvement. Je vous le dis de manière officielle : nous comptons un mort durant les derniers événements de Berriane. Trois de nos collègues étaient dans un camion de police équipé d'un canon à eau. Le véhicule a été attaqué et a pris feu. Un de nos collègues a été brûlé vif et les deux autres sont entre la vie et la mort. Dans la nuit de lundi à mardi, nous avons travaillé normalement et, le matin, on s'est dit que ça ne pouvait plus continuer. Qu'il fallait mettre un terme à cette situation. Ça fait dix mois que ça dure. Tout le monde nous tape dessus et on n'a pas le droit d'utiliser le gourdin. Qu'ils avouent clairement leur échec à ramener la paix à Ghardaïa et qu'ils partent. Ils mangent de la viande de gazelle pendant que Ghardaïa brûle. Ils n'ont pas honte !» Mohamed est formel : «Notre mouvement est 100% spontané. Nous ne sommes manipulés par personne. Nos revendications sont strictement sociales. Nous voulons juste dénoncer des conditions de travail insoutenables.»
Les caprices des enfants de «Kiada»
Contrairement à Zino, Mohamed tient le DGSN pour premier responsable de cette situation : «Il n'a jamais tenu ses promesses. En plus, comme il vient de la Garde républicaine, il veut nous soumettre à un régime militaire alors qu'on relève de la Fonction publique. Même les paras de Biskra ne travaillent pas autant que nous. On a quatre jours de repos tous les deux mois, vous trouvez ça normal ? Je n'ai pas vu mes enfants grandir. Une de mes filles m'appelle ‘âmmou' (tonton)...» Mohamed laisse transpirer une profonde souffrance morale. «On est coincés entre le marteau du pouvoir et l'enclume du peuple. Et avec ça, on est méprisés. On n'a même pas droit au logement. Les logements, c'est que pour nos supérieurs. L'AOP n'a aucun droit. Un brigadier atteint à peine les 50 000 DA après 15 ans de service, alors que le dernier gendarme touche 50 à 60 000 DA.» Et de marteler : «Personne n'a défendu ce pays autant que nous et maintenant, regardez dans quel état se trouve l'Algérie, avec un Président en salle de réanimation intensive. Et on continue à trimer sous le haut patronage de…»
Les URS protestataires foulent allègrement le gazon de la Présidence ou se prélassent sur les plates-bandes de l'ex-bâtiment du MAE en se gaussant du protocole. 15h. Un commissaire officiant auprès du palais d'El Mouradia invite les manifestants à désigner une délégation de 40 personnes pour parlementer avec Sellal. Pendant ce temps, un autre escadron d'une centaine d'éléments vient renforcer les rangs des policiers frondeurs. «Parlez de nos souffrances ! Nous sommes à bout», nous interpelle un jeune AOP originaire de l'Oranie. «Moi, je ne vois ma femme qu'une fois tous les deux mois. Nous n'avons plus de vie de couple. Nous avons supporté les pires humiliations pour ce pays. Quand des enfants de ‘kiada' vous enlèvent votre carte professionnelle dans les barrages de police en vous menaçant de vous révoquer, qu'est-ce qui reste de votre dignité ? Hamel nous traite avec mépris, il veut faire de nous les eunuques des autres corps. On veut nous faire faire le sale boulot, nous pousser à mater le peuple alors que tous les Algériens sont nos frères.» Notre interlocuteur a au moins un motif de satisfaction : «Aujourd'hui, nous avons libéré la Présidence !» exulte-t-il. Pour combien de temps ? Réponse à la prochaine manifestation citoyenne…


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