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Ces vieilles femmes réduites à la mendicité
Elles tendent la sébile au crépuscule de leur vie
Publié dans El Watan le 05 - 01 - 2015

Les rues d'Alger sont peuplées de vieilles mendiantes qui, au crépuscule de leur vie, sont réduites à tendre la sébile pour survivre. Elles ont connu les affres de la colonisation, le terrorisme, la misère, la solitude et elles continuent de manger leur pain noir.
Alger, dernière semaine de décembre 2014. Il fait un froid de canard. Dans un café du boulevard Aïssat Idir, place du 1er Mai, à un jet de pierre de l'UGTA, une femme d'un certain âge entre timidement, une seringue d'injection à insuline à la main. «S'il vous plaît, aidez-moi, je suis diabétique», implore-t-elle en passant parmi les clients dans l'espoir de recueillir quelques pièces.
«Je suis très malade», nous dit-elle. «Je veux juste qu'on m'aide à acheter ce médicament et je vais rentrer chez moi. Je suis épuisée». Nous lui demandons s'il y avait un membre de sa famille pour la conduire à l'hôpital. «Je n'ai personne. «Andi ghir rabbi» (je n'ai que Dieu)», gémit-elle avant de quitter le café en titubant.
Des scènes de ce genre, nous en voyons tous les jours. Il suffit d'ouvrir les yeux et le cœur. Voici, d'ailleurs, une autre femme, septuagénaire au bas mot, appuyée sur un bâton, que nous croisons un peu plus tard, rue Didouche Mourad, un pansement sur l'œil gauche et tenant dans sa main une boîte de médicament vide, qu'elle exhibe à l'intention des âmes charitables.
Nous nous sommes intéressés au destin de ces vieilles femmes qui ont l'âge de nos grand-mères et que le sort a jetées à la rue, les obligeant à tendre la sébile pour survivre. Des parias du troisième âge qui, en d'autres circonstances, seraient en train de couler des jours paisibles en racontant des charades à leurs petits-enfants. En lieu de quoi, elles se retrouvent, au crépuscule de leur vie, complètement démunies, errant telles des âmes en peine.
Et le phénomène prend manifestement de l'ampleur, à en juger par le nombre considérable de personnes âgées qui peuplent les faubourgs de la capitale et qui sont réduites à quémander un quignon de pain. Précisons d'emblée qu'il ne s'agit guère ici de
«mendiantes de métier», de celles qui poussent certains esprits tatillons à soupçonner une forme de «mendicité organisée», qui suscite chez eux de la méfiance plutôt que de la compassion.
«Mon mari ne m'a rien laissé»
Pour avoir sondé une dizaine d'entre elles, nous sommes fondés à penser que ces femmes trahissent une forme de détresse sociale, qui touche de plus en plus de foyers. La preuve : les vieilles que nous avons interrogées ne sont pas à proprement parler des SDF. La majorité d'entre elles menaient une vie plus ou moins normale avant de subir un «accident de la vie». Signe particulier : ces femmes ne versent pas dans les lamentations hystériques à coups de jérémiades «théâtralisées».
Elles ont tout de Madame Tout-le-monde. Elles sont discrètes et dignes, peu démonstratives, choisissent des ruelles relativement peu fréquentées, sans doute par pudeur. Beaucoup d'entre elles ont encore du mal à faire ouvertement la manche et préfèrent une approche moins humiliante. Vous pouvez les croiser au marché, en faisant vos courses, dans une épicerie, une pharmacie ou aux abords des mosquées. Elles murmurent presque leur requête et ne se plaignent pas outre mesure.
On voit d'emblée qu'elles n'ont pas le «métier», que c'est véritablement contraintes et forcées et guère sous l'impulsion d'on ne sait quel plaisir masochiste qu'elles ont consenti à troquer leur statut de femme au foyer contre cette posture si peu confortable de mendigotes implorant l'aide de la société. C'est le cas de cette vieille qui nous aborde délicatement dans une boucherie à Bab El Oued. Le visage solaire, vêtue d'une robe traditionnelle, elle parle d'une voix douce. «Je ne demande pas à ce que vous m'achetiez de la viande. Je sais que vous aussi, vous avez vos soucis et vos parents à charge.
Je demande juste de quoi m'offrir une ‘‘loqma'' et acheter le minimum pour vivre», glisse-t-elle, pleine d'humilité. La condition de cette autre dame illustre parfaitement cette précarité bouleversante qui a poussé les femmes les plus dignes à en appeler à la générosité des gens sur la voie publique. Nous l'avons rencontrée rue Réda Houhou, près d'un restaurant populaire, à quelques encablures de la mosquée Errahma.
Assise sur la margelle d'un magasin au rideau baissé, vêtue d'un hidjab élimé, le visage dissimulé sous un «adjar», elle espère un geste de solidarité de la part des passants. Notre interlocutrice est émue de voir qu'on s'intéresse à son cas. C'est sans doute l'un des principaux enseignements de cette enquête : ces femmes ont au moins autant (voire davantage) besoin d'écoute que d'aumône. D'une marque d'attention qui les ramène dans le giron de la communauté, elles qui vivotent au bord de l'humanité au point de s'étonner que quelqu'un vînt prendre de leurs nouvelles et prît le temps de s'arrêter 5 minutes pour leur parler.
Cette dame raconte : «J'ai 74 ans. J'habite à El Harrach. Je souffre de cholestérol. Je prends tous les jours le train pour recueillir un peu d'argent. Mais je ne quémande jamais dans le train, je n'ose pas. J'avoue que je n'ai jamais eu à payer mon ticket. Les contrôleurs sont compréhensifs et gentils. Mon mari est décédé il y a 19 ans, depuis, je suis obligée de faire ça pour boucler mes fins de mois. Mon mari faisait de petits boulots.
Il vendait de la friperie, de la ‘‘d'lala'' au marché aux puces. Mais ‘‘kan saterni''. Je ne manquais de rien de son vivant. Je ne sortais jamais. Mais à sa mort, il ne m'a rien laissé. Il n'avait ni assurance ni retraite. Je me suis retrouvée sur la paille. J'ai un fils qui a 55 ans, mais il ne peut rien faire de ses mains. Il est handicapé. Lui-même a du mal à s'en sortir avec sa propre famille. Sa femme, qui est fille de moudjahid, l'aide grâce à la pension de son père. Heureusement que j'ai une petite piaule qui m'abrite.
Un logement étatique. Je paie 1760 DA de loyer. Je suis obligée, à mon âge, de me débrouiller pour payer le loyer et les autres frais de la maison. Hamdoullah, il y a toujours des âmes charitables qui ne me laissent pas tomber.» C'est un fait : de plus en plus de femmes sont dans le dénuement le plus total à la perte brutale de leur conjoint, et particulièrement quand celui-ci n'avait qu'un emploi précaire de son vivant.
Quand on sait que dans la famille traditionnelle, les femmes ne travaillaient pas, cela explique dans une large mesure pourquoi nombre d'entre elles sont aujourd'hui livrées à leur sort et quasiment sans ressource. Le témoignage de cette autre femme rencontrée au marché Ali Mellah confirme la tendance. Agée de 60 ans, originaire de Boumerdès, elle nous confie que c'est la mort de son époux et l'absence de tout soutien familial qui l'ont poussée à demander l'aumône.
Pension minable
«Je suis veuve et j'ai des orphelins à charge, dont une fille qui souffre de problèmes de dos. Elle a la colonne vertébrale brisée. J'ai aussi un fils asthmatique. J'habite dans un taudis. J'ai fait des mains et des pieds pour obtenir un logement décent, en vain. Le logement, c'est pour ‘‘elli andou lektef''. Pourtant, nous avons été, nous aussi, victimes du séisme de Boumerdès (2003, ndlr). Mon mari travaillait à l'Enafroid. Il était cardiaque. Il avait une pile au cœur (pacemaker, ndlr). Son cœur a fini par lâcher. Depuis sa mort, je n'ai plus personne pour subvenir à mes besoins. Je ne vais pas vous mentir, je touche une pension de 10 000 DA.
Mais comment vivre avec 10 000 DA par les temps qui courent ? ça ne vous rapporte même pas une paire de trainings. L'Etat n'a rien fait pour nous. ‘‘Ma atawni walou.'' Si au moins j'avais un logement décent. ‘‘Rani m'dergua rassi wekhlass.''» Nous remontons en direction de Meissonnier via l'hôpital Mustapha. A la sortie de l'hôpital, une jeune fille propose des mouchoirs en papier pour ne pas avoir à tendre la main. Une image qui revient un peu partout.
Devant le marché couvert de Meissonnier, une vieille mamie en haïk et «adjar» à l'ancienne, attire notre attention. Elle est toute fluette et rabougrie, avec de petits yeux plissés. Assise sur le rebord d'une boulangerie, elle fait signe aux chalands de lui glisser une petite pièce. Nous nous risquons à lui demander son âge.
Elle répond avec une note d'humour : «Khlassou enwamar ya oulidi (il n'y a pas assez de chiffres pour mon âge).» De fait, à en juger par son front ridé, elle a largement passé le cap des 80 hivers. Si la majorité des mendiantes du 3e âge que nous avions approchées jusque-là venaient des autres wilayas, notre hadja se dit fièrement Algéroise. «J'habite à La Casbah. Ma maison est vacillante. Heureusement qu'elle est adossée à des maisons plus solides, autrement elle se serait écroulée. Toute ma famille est enterrée à El Kettar. J'ai épousé un homme droit, un homme ‘‘mazbout''. Depuis qu'il est mort, je suis sans ressource.
Je n'ai que le bon Dieu comme soutien.» Nous n'en saurons pas plus sur sa vie, la gentille dame ne souhaitant pas se livrer davantage. Une chose est sûre : elle n'est pas sortie quémander de gaieté de cœur. Les récits de ces femmes, dans la différence de leurs parcours et des épreuves qu'elles ont traversées, disent la rupture du lien social à tous les niveaux, et un effilochement des réseaux de solidarité traditionnels.
Abandonnées sur le quai de l'indépendance
Sans oublier les violences du code de la famille et du modèle patriarcal. Leur condition est également le symptôme du «gap» qui sépare les dispositifs de solidarité institutionnels et la misère massive qui frappe des couches entières de la population. Il ne suffit pas de construire des «diar errahma» et autres hospices de vieillesse. Nous l'avons vu à travers leurs témoignages : beaucoup parmi ces damnées à la peau fripée ne sont pas forcément des sans-abri. Leur situation trahit l'ampleur des emplois précaires, la modicité des pensions de retraite, la faiblesse des allocations allouées aux personnes handicapées et autres catégories fragiles de la société, «l'injustice» sociale et les inégalités dans les transferts sociaux.
Le paradoxe est, pour le moins, sidérant, entre l'argent dépensé à tour de bras pour acheter la paix sociale et la masse de laissés-pour-compte qui n'ont pas profité de cette manne, à l'instar de ces femmes qui ont été témoins, voire actrices, de la guerre de Libération nationale (voir le portrait de khalti Keltoum), et qui ont été oubliées sur le quai de l'indépendance. Ces femmes qui sont la mémoire douloureuse et la métaphore vivante d'une Algérie exsangue. A défaut de leur apporter la paix et la prospérité auxquelles elles sont en droit d'aspirer au terme de tant d'années de souffrances et d'errance, puisse 2015 leur être au moins plus clémente.


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