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Réflexion. génétique litteraire et cinéma : archéologie des œuvres
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Publié dans El Watan le 28 - 02 - 2015

La lecture de l'article de Mohamed Kali sur Isabelle Eberhardt (El Watan, Arts & Lettres, 24/01/15) a attiré mon attention. Parce que j'ai réalisé un film sur cette femme écrivain de talent. Parce qu'hélas des films font aussi l'objet de mutilations, comme le fut l'œuvre littéraire de cette amoureuse de l'Algérie. Que faire pour éviter ce genre de viol des œuvres artistiques ? Le travail de critique génétique réalisé par J. M. Kempf-Rochd pour publier la véritable version de Sud oranais d'Isabelle Eberhardt est salutaire.
C'est un apport précieux pour sauver des œuvres ou pour apporter un nouvel éclairage sur des écrivains qui ont souffert de manipulations… Ceci dit, tout n'est pas rose, car cette technique dite critique génétique engendre ses propres limites et le compte rendu, toujours dans ces colonnes (07/02/15), d'un colloque à Alger sur la critique littéraire a motivé davantage la présente réflexion.
Mais avant de parler des tripotages de films, arrêtons-nous quelques instants sur la critique littéraire génétique censée faire découvrir aux lecteurs les mystères cachés d'une œuvre. Son ambition est de suivre les méandres de la fabrication d'une œuvre et d'en révéler le sens caché. Est-ce là une nouveauté ou bien un simple effet de mode d'une époque ? Je me garderai de répondre tout de go et brutalement à cette interrogation. Je préfère laisser la parole à des monstres de la littérature pour donner un point de repère aux lecteurs.
Je me souviens d'une réponse de Kateb Yacine à qui on demandait ce qu'il pensait des thèses innombrables consacrées à son magistral roman Nedjma (1956). Avec une modestie non feinte, il répondit qu'il était étonné par les trouvailles des mémoires et thèses universitaires car, disait-il, il ignorait que son œuvre enfermait tant d'énigmes.
Il n'est pas le seul écrivain qui avoue son «ignorance» devant les mystères de la littérature. Le dernier prix Nobel de littérature, Patrick Modiano, a mis en exergue dans son dernier roman (Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 2014, Gallimard) une phrase de Stendhal qui résume bien le rapport des écrivains avec la réalité et sa représentation. Voici la citation : «Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que l'ombre.»
En dépit des «aveux» des monuments de la littérature quant à la difficulté d'embrasser la réalité des faits dans une œuvre, des critiques pensent pouvoir remonter l'arbre généalogique d'une œuvre, d'en diagnostiquer chaque étape pour en «fixer» son «essence» et sa «finitude». Pour «fixer» une œuvre, il leur faut fureter dans la vie de l'auteur, débusquer ses inclinaisons idéologiques et, bien sûr, fouiller dans ses brouillons pleins de ratures (achetés à prix d'or quand il s'agit d'un Céline ou d'un Proust).
Tous ces facteurs devraient concourir, selon eux, à cerner la «Vérité» de l'œuvre, à révéler donc les énigmes qui échappaient à Kateb Yacine ou d'un autre écrivain. Disons que le désir de «loger» une œuvre (comme disent les policiers lorsqu'ils découvrent la planque d'un gangster) ressemble à un combat feutré et à distance entre le critique quelque peu fasciné et un auteur dont l'esprit vagabonde déjà vers d'autres horizons. L'écrivain en question laisse donc le critique déchiffrer l'œuvre dans son présent à lui, alors que son œuvre d'écrivain appartient à l'histoire.
Toute œuvre s'élabore en effet sans tenir compte des futurs jugements ou spéculations. Une seule chose compte pour un artiste : le temps qui est tout à la fois torrents de la vie, tempêtes de l'histoire, lumière du soleil, nuits étoilées, aridité des déserts, bref le monde des hommes et femmes dans lequel baigne celui ou celle qui fait œuvre de création. Ainsi l'art est le fruit d'un processus de création et aucune œuvre ne peut prétendre dire une chose définitive sur le monde des vivants. Il est évident qu'un écrivain qui écrirait aujourd'hui comme Balzac ou Shakespeare ne serait pas publié. Mais il est tout aussi évident que sans ces deux monstres de l'écriture, aucun écrivain dans leurs langues ne peut éviter ou ignorer leur « savoir-écrire».
Cela semble évident parce que la langue est un organe vivant, parce que son vocabulaire naît et meurt, parce que la vision et l'éthique d'une société évoluent et un écrivain ne peut, en principe, adopter une posture de déni de ces réalités. Il arrive, bien sûr, que des écrivains détournent leur regard de certaines réalités qui cohabitent avec d'autres réalités.
Ainsi, Albert Camus, chantre de la philosophie de l'absurde, dans L'Etranger présente entre les lignes son personnage, Meursault, comme une sorte d'aliéné au sens psychiatrique du terme, c'est-à-dire étranger à lui-même. Mais rien n'empêche l'Algérien que je suis de déduire que Meursault est étranger au pays où il vit, au sens étymologique du terme, étranger à cette Algérie conquise par des Meursault qui dans leur aventure prédatrice se voient obligés de tuer l'autochtone non parce qu'ils sont fous, mais parce que l'Arabe leur fait rappeler qu'ils sont des gens venus d'ailleurs pour les dominer.
«Fixer» donc un roman alors qu'il appartient aux réalités de son époque en allant chercher dans des brouillons un mot, des mots pour remplacer ceux qui ont eu l'imprimatur de l'auteur peut être considéré comme une trahison à la fois de l'auteur et de l'œuvre. Cette trahison, je l'ai rencontrée par exemple chez une traductrice américaine qui s'est permise de traduire le titre L'Etranger de Camus par The Outsider.**
Evidemment, elle a préféré ce mot anglais réducteur qui évacue d'abord l'absurdité de l'acte de Meursault et ensuite faire l'impasse sur le temps historique et la géographie du roman, effaçant ainsi les rapports colonisé/colonisateur en Algérie.
Une deuxième anecdote me vient à l'esprit pour signifier les limites ou les pièges de la génétique littéraire. J'ai assisté à la soutenance d'une thèse sur Mohammed Dib dans une université française.Les membres du jury qui interrogeaient le candidat-thésard ont plongé l'assistance dans l'ennui avec leurs opérations chirurgicales sur les mots, sur Mohammed Dib, son identité et tutti quanti. Et quand vint le tour d'un écrivain et compatriote de Mohammed Dib, j'ai nommé Nabil Farès, la salle s'est réveillée.
Celui-ci, en romancier qu'il est, a fait vivre et l'œuvre et l'écrivain. Je me suis évidemment reconnu dans cette «réécriture» de l'œuvre et le portrait de Dib par l'auteur de Yahia pas de chance. Ce jour-là, j'ai compris enfin d'où viennent les préjugés sur la critique universitaire souvent pompeuse.
Comprendre une œuvre en faisant appel à la génétique littéraire ou bien en se cantonnant dans la stricte étude des mots et du style de l'œuvre relance le vieux débat qui a eu cours dans les universités. En vérité, ces deux «écoles» devraient s'interroger, se regarder elles-mêmes pour ne point passer à côté de la phrase de Stendhal citée plus haut.
Mais qu'en est-il de la génétique dans le cinéma ? A priori, il est difficile de parler de critique génétique dans cet art, car un film est le produit de plusieurs étapes différentes, d'une équipe, de techniques et n'oublions pas le nerf de la guerre, l'argent, sans parler de l'épée de Damoclès de la censure des dictatures.
On souhaite bien du plaisir au critique capable de rassembler les informations sur la fabrication d'un film, du scénario jusqu'au montage en passant par le réalisateur, le producteur et l'armée de techniciens et comédiens qui concourent à la réalisation de l'œuvre. Avec des moyens financiers, des relations dans le milieu du cinéma et un grain de folie, on peut s'attaquer à une telle entreprise quand il s'agit de chefs-d'œuvre potentiels arrêtés en cours de tournage comme Que Viva Mexico ! (1936), de Sergueï Eisenstein, ou bien L'Enfer (1964) d'Henri-Georges Clouzot.
Quand bien même on arriverait à bout de ce travail d'investigation, on n'en aura pas fini avec le travail pour cerner l'énigme de pareils films réalisés par des cinéastes talentueux et qui avaient «de la bouteille» (de l'expérience). Car le critique le plus doué qui s'aventurerait dans une telle fouille archéologique butera, en plus des embûches déjà signalées, contre les matériaux du langage du cinéma, en l'occurrence l'image, le son, le choix et le jeu des comédiens, etc.
Quand il s'agit d'une œuvre littéraire, le critique a à sa disposition les mots d'une langue, agrémentée de différents «tics» d'écriture, tous produits d'une culture et d'une histoire. Le critique peut toujours chercher dans les ratures des brouillons les raisons du changement d'un mot par l'écrivain. Dans le cinéma, par définition, il n'y a pas de langues mais des langages cinématographiques sortis tout droit de l'imaginaire du cinéaste, lui-même dépendant d'innombrables facteurs : la technique, l'ambiance durant le tournage, et même les aléas climatiques (Jean-Luc Godard en a fait l'expérience).
Dans l'histoire du cinéma, j'ai cité Eisenstein et Clouzot dont on a voulu sauver les films comme on le fait pour toutes les merveilles de l'art. Pour respecter et l'œuvre et son auteur, on ne touche à rien. On préfère frustrer plutôt le spectateur que chercher à vouloir remplacer quoi que ce soit dans l'œuvre pour faciliter sa compréhension.
Mais dans l'histoire du cinéma, il y a hélas des goujats — certains producteurs mus par l'appât du gain — qui se permettent de triturer l'œuvre. Ils décident que le spectateur ne peut pas voir le film avec telles scènes et avec tel rythme. Ils violent ainsi l'œuvre au profit de l'idéologie du consensus pour attirer beaucoup plus de spectateurs ou bien céder à la censure.
Ce genre de conduite cavalière se retrouve sous tous les cieux. Généralement, le réalisateur résiste à la mutilation de son film. Quand sa résistance s'avère insuffisante, la mort dans l'âme il utilise le seul droit qui lui reste, ne pas signer son film. Il me semble que pareille mésaventure est arrivée chez nous à Libération, un film documentaire basé sur des archives.
Un mot pour terminer. Tout ce qui concourt à saisir, à approcher au plus près d'une œuvre est le bienvenu. Il faut juste savoir que le critique et l'artiste ne boxent pas dans le même ring. Ils sont cependant, ou du moins devraient être, solidaires dans la production des œuvres qui participent aux plaisirs de l'esprit et aident l'humanité à sortir chaque jour un peu plus de sa préhistoire.
Pour la petite histoire, n'oublions pas que des critiques sont devenus de grands artistes et de grands artistes de brillants critiques d'œuvres de leurs collègues. Comme quoi la frontière est poreuse entre ces deux corporations.
ALI AKIKA est Cinéaste
**Les lecteurs intéressés par l'article sur cette traductrice américaine peuvent m'écrire. C'est avec plaisir que je leur ferai parvenir le texte. [email protected]


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