Partant du constat que le marché informel des devises sert de tremplin aux affaires sales, au transfert de fortunes vers l'étranger et au blanchiment d'argent, l'opération coup-de-poing effectuée par la police, hier, au square Port-Saïd met à nu, au moins, certains dangers qui gravitent autour de ce marché illégal des monnaies. L'Etat, qui tolère une telle activité frauduleuse, s'était même appliqué à chercher des alibis à son existence, soulignant au crayon-feutre sa «fonction sociale». Cependant, le recours à cet habile subterfuge cache entre ses lignes une gêne, d'abord, vis-à-vis des organismes internationaux de lutte contre le blanchiment d'argent, mais aussi par rapport à certains cercles d'influence, voire à de gros bonnets très influents qui nourrissent et se nourrissent du marché informel des devises. C'est un secret de polichinelle. Ce coup de colère des services de police, provoqué par une enquête en cours et/ou une excitation fiévreuse face au phénomène de transferts illégaux de fonds vers l'étranger, ne pourra faire de miracle si on ne s'attaque pas plutôt à l'origine du mal. Qu'on le veuille ou pas, le marché informel des devises existe car les besoins ne peuvent être satisfaits par la voie légale. C'est-à-dire que la demande dépasse de loin l'offre légale en devises proposée par le circuit bancaire. D'où le recours intensif aux avoirs du circuit illégal. Le paramètre de l'offre et de la demande fixe également les cours des devises sur le marché informel, échappant ainsi au sacro-saint taux de change officiel fixé par la Banque d'Algérie. Selon Badreddine Nouioua, ancien gouverneur de la Banque centrale, il y a au moins trois sources apparentes qui alimentent le marché illégal de monnaies étrangères : primo, les retraités qui perçoivent leurs pensions à travers le circuit bancaire et les cèdent au marché parallèle, motivés par un taux de change plus intéressant ; secundo, «ceux qui arrivent à obtenir des surfacturations et ceux qui s'adonnent à de fausses importations». Fortunes inestimables ! D'autres sources de financement sont également possibles à travers «des opérations juteuses qui ne sont jamais contrôlées». «Une grande partie de ces opérations profite à des gens malhonnêtes», s'indigne M. Nouioua. Depuis quelques années déjà, le gouvernement peine à transformer ces coups-de-poing cycliques en une solution durable à un casse-tête pourtant hautement nuisible à l'économie et à la réputation du pays. Entre-temps, le phénomène s'aggrave davantage chaque année. D'après Badreddine Nouioua, il y aurait entre 3000 et 4000 milliards de dinars de fonds liquides en circulation, entre les mains de quelques personnes. Une partie de ces fonds alimente le marché parallèle de devises qui, lui, est source de transfert illégal de fortunes vers l'étranger. Une grande partie de ces fonds ne sont non plus traçables. Encore une fois, c'est l'Etat qui encourage l'usage du cash. En 2011, sur fond de panique à l'apparition des premiers foyers de tension dans le sillage du Printemps arabe, le gouvernement avait décrété la fin de l'usage du chèque pour les transactions commerciales supérieures à 50 000 DA. Et c'est le même gouvernement qui a étouffé dans l'œuf le débat à l'Assemblée, repris en 2012, sur la libéralisation de l'exercice du change et l'ouverture des bureaux privés. Résultat des courses : le marché informel de la devise s'est renforcé au fil des années et s'érige aujourd'hui en seul baromètre d'appréciation de la valeur de la monnaie nationale face aux principales devises, l'euro et le dollar. Pis encore, le marché informel des devises sert de plateforme où s'abreuvent d'autres maux : blanchiment d'argent, criminalité financière, crime organisé, commerce de la drogue, financement du terrorisme…