Du grand n'importe quoi ! On se réjouit toujours d'apprendre que des artistes algériens exposent à l'étranger et puissent se confronter aux exigences et regards de société où l'art tient une place importante. C'est une expérience utile et motivante dont ils peuvent tirer de grands profits, particulièrement dans une ville comme Londres où les grands musées et les galeries d'art foisonnent, véritable plaque tournante mondiale où se mêlent les expositions et ventes aux enchères d'œuvres classiques ou modernes comme les expériences les plus diverses d'art contemporain. C'est ce que nous avons pensé en découvrant que Yasser Ameur, Ghania Zaazoua alias Princesse Zazou, Hamza Aït Mekideche alias Mizo, Souad Douibi et Kaci Ould Ali exposeront du 26 octobre au 8 novembre à la galerie The Tabernacle de Londres. Ce que nous pensons toujours, sauf que le titre de la manifestation et sa présentation laissent au moins perplexe. Titre : «Algerianism Part 1, the art of being algerian». Soit : «Algérianisme, l'art d'être algérien». Faut-il que les promoteurs du projet ignorent à ce point à quoi renvoie le concept ou plutôt la notion d'algérianisme ? Il faut le croire au vu de leur argumentaire que nous vous livrons in-extenso, selon notre propre traduction : «Le mot ''algérianisme''», initialement décrit «comme un mouvement littéraire du début du XXe siècle a été conçu par un groupe d'intellectuels franco-algériens – pieds noirs – qui tentaient de construire une idéologie culturelle en réunissant à la fois les colons et les communautés autochtones. Après l'indépendance, la notion d'algérianisme s'est traduite en une référence plus nationaliste et patriotique, cherchant à reconstruire une ''nouvelle'' personnalité et identité algériennes. Cette exposition de groupe est une collaboration entre Toufik Douib et Patrick Altès. Algerianism Partie I explore le thème de la double identité à travers les nombreux prismes de l'art contemporain de l'Algérie». En somme, du grand n'importe quoi ! Le courant algérianiste a certes bel et bien existé, apparaissant globalement comme un renouvellement de l'idéologie orientaliste et basé effectivement sur un noyau d'écrivains et quelques tenants dans l'art ou l'architecture, l'école néo-mauresque se réclamant en partie de lui. Mais il est complètement faux et même pervers de prétendre que ce courant s'est prolongé en Algérie après l'indépendance et qu'il perdure à ce jour sous un habillage disons nationaliste ! L'historienne de l'art, Nadia Lagoune, nous affirme ainsi : «Jamais l'algérianisme n'a été revendiqué ici après l'indépendance, ni aujourd'hui. Nos jeunes artistes devraient s'informer avant d'exposer sous ce label…» Un des travers de l'art contemporain est de construire à tout prix des discours attrayants inspirés du marketing culturel. Là, la fumisterie atteint un comble auquel les artistes invités sont sans doute étrangers (c'est le mot), naturellement attirés par une exposition a priori valorisante pour leur carrière. Lier l'algérianisme à «l'art d'être algérien» est encore plus pervers. En 1962, l'écrivain Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, avait lancé sa fameuse pique au concept de négritude de Léopold Sédar Senghor, affirmant qu'un «tigre ne proclame pas sa tigritude mais bondit sur sa proie et la dévore». Pourquoi donc faudrait-il que de jeunes artistes algériens aient besoin de démontrer leur algérianité, comme si leur passeport ne suffisait pas et comme si leur art ne pouvait avoir d'autre valeur que dans la justification de leur identité ?