Ces jeunes ayant vécu une enfance fragilisée, dans un système de protection de l'enfance loin d'être parfait, se retrouvent, une nouvelle fois, abandonnés à leur sort dès qu'ils atteignent les 18 ans. Ce rejet déguisé fait que les risques d'exclusion, d'errance et de désaffiliation sociale sont omniprésents chez ces jeunes sans repères. La majorité d'entre eux qui, du jour au lendemain, doivent affronter la vie sans aucune aide matérielle ni même un soutien moral, sont ainsi jetés en pâture à la rue, laquelle est loin d'être exempte de tous les dangers. Ils sont peu nombreux ceux qui ont recouvré une vie plus au moins normale grâce à la clémence d'un membre de la famille ou à une rencontre miraculeuse, comme c'est le cas de Maâmar. Le témoignage fort poignant de ce jeune homme plein de vie et d'ambition, si sympathique, apporte un éclairage capital sur la situation de ces jeunes exclus des centres à leur majorité et interpelle les consciences, notamment celles des gouvernants, sur le devenir de ces «exclus», ces victimes des erreurs des adultes. Maâmar avait à peine 5 ans quand sa famille d'accueil de Tlemcen, pour des raisons qu'il ignore toujours, l'avait placé au centre pour la protection de l'enfance Mouloud Feraoun de Ghazaouet. Dans cet établissement éducatif, Maâmar y passera 6 bonnes années. «J'avais plein de frères», révèle-t-il souriant. Depuis qu'il gagne sa vie, pratiquement chaque week-end, Maâmar achète un ou deux casiers de sardines et les vend au centre Mouloud Feraoun pour organiser une friture avec ses «petits frères». En 2007, Maâmar est transféré vers le centre de Marsat Ben M'hidi et y reste jusqu'à sa majorité, le jour où il doit quitter le centre. Il se souvient encore de ce fameux 25 novembre 2014 et du sentiment d'amertume ressenti ce jour-là. Sa gorge se contracte, ses yeux se brouillent, ses mots sont à peine perceptibles, mais son large et franc sourire illumine son visage et toute cette colère profonde se dissipe comme par enchantement. Maâmar a quitté le centre, la seule famille qu'il avait. Il part vers l'inconnu. Il n'a ni métier ni diplôme. Il sillonne une bonne partie d'Algérie, du nord au sud. Il erre de ville en ville. Il fait des petits travaux pour survivre. Il dort dehors, dans des gares routières, parfois, quand l'occasion se présente, dans une mosquée pour passer la nuit au chaud. «Je ne savais pas où aller ! J'ai erré un peu partout, j'ai parcouru plusieurs villes. Là où j'allais, je travaillais pour survivre, j'ai tout fait : garçon de café, plongeur, gardien, marin pêcheur, peintre, boulanger …». Maâmar marque un temps d'arrêt, presse ses paupières pour chasser une larme puis enchaîne: «De toutes les façons, j'ai toujours compté sur moi-même. Je n'ai jamais tendu la main.» Il témoigne de son chemin plein d'embûches, mais ne cesse d'évoquer le mot «mère». Il parle de sa maman, il ne connaît pas son prénom, mais il a pris son patronyme. Il me dit joyeusement: «J'ai retrouvé ma mère, je sais où elle habite, je vais la voir bientôt.» Ces réminiscences semblent lui procurer un énorme espoir et son visage encore enfantin laisse apparaître le désir de retrouver sa mère et vivre auprès d'elle. Mais, les souvenirs sont aussi des blessures profondes et douloureuses et de lourds moments de silence interrompent la conversation. Maâmar se ressaisit et revient sur son périple, son sourire d'enfant refait surface. «Finalement, je suis revenu dans la région que je connais le mieux. Le destin a voulu que je revienne ici. Au début, j'étais à Sidi Boudjenane. La nuit, j'acheminais le carburant vers Beni Drar (Maroc) à dos d'âne, la journée, je m'occupais des ânes, je nettoyais l'écurie et, en contrepartie, mon employeur m'assurait le gite et le couvert et me donnait un peu d'argent de poche. Je suis resté 3 mois à Sid Boujenane, mais je ne supportais plus le fait d'être considéré comme un esclave. Je travaillais dur, je prenais des risques énormes pour un salaire de misère, alors j'ai décidé de décrocher. Un matin, je suis parti sans savoir où aller. Par pur hasard, j'ai atterri à Nakhla, un petit village dans la commune de Souahlia. A proximité de la mosquée, il y avait une baraque en tôle, je m'y suis installé. Les villageois m'ont très bien accueilli, ils me ramenaient à manger. L'aïd, je l'ai passé avec une famille. Ils me considéraient comme un des leurs. Ici, les gens sont humbles et généreux. Dans ma maison de fortune, je n'avais pas d'électricité, alors, sur les conseils d'un ami, je me suis rendu à la mairie pour demander d'être alimenté en énergie électrique. Le maire m'a reçu, m'a attentivement écouté mais ne m'a rien répondu. Je suis retourné chez moi les yeux en larmes, m'apitoyant sur mon sort. Au crépuscule, une voiture s'arrêta devant mon «palace». J'ai reconnu le maire, je pensais qu'il venait m'expulser. La peur de me retrouver dehors, sans toit, exposé aux intempéries, m'envahit et je ne pus m'empêcher de verser encore quelques larmes. En fait, depuis quelque temps, mes larmes coulaient à flots, je n'avais que mes larmes pour apaiser ma souffrance ! Mais, contrairement à ce que je pensais, le maire a demandé de visiter l'intérieur de ma demeure. J'avais très honte de recevoir le maire dans ma cabane sale et très mal éclairée. Je lui ai dit que je veux bien lui offrir un café, mais je n'en ai pas. Le maire a souri, a scruté du regard mon logis et est parti». Cette rencontre avec le maire va complètement changer la vie de notre ami vagabond. Le lendemain, le maire de Souahlia, Belmokhtar Rabah, aménagera une chambre décente au niveau du parc communal qu'il équipera de tous les moyens nécessaires et la mettra à la disposition de Maâmar. Aujourd'hui, Maâmar a une chambre assez vaste, propre et bien éclairée. A l'intérieur, on y trouve un lit, une table de chevet, une petite armoire, des étagères en verre sur lesquels sont disposés des flacons de parfum, un chauffage et une télévision. La vie de Maâmar a complètement changé. Il s'est vite adapté à sa nouvelle vie et a intégré le monde du travail. Il est apprenti plombier et s'est inscrit au centre de formation professionnelle pour l'acquisition du diplôme de plombier. Maâmar rêve aussi de fonder une famille. «Je travaille, j'économise de l'argent, le maire va m'aider pour l'acquisition d'un logement social et je me marie», songe Maâmar. «J'épouserai une fille du centre et j'inviterai ma mère pour vivre avec moi». Cette mère est tout le temps présente dans les paroles de Maâmar. D'ailleurs, sur sa page facebook, il a écrit : «Tu me manques ma mère, mon amour de ma vie, mon affection, je vous pardonne ma mère».