En 1952, l'immense écrivain Ray Bradbury publiait Un coup de tonnerre, célèbre nouvelle de science-fiction. En 1972, se tenait aux Etats-Unis une conférence hautement scientifique où, s'inspirant de cette nouvelle, un savant posait la question : «Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?» Ainsi naissait l'Effet Papillon, concept qui désigne l'interdépendance de tous les éléments de la planète et l'enchaînement exponentiel des causes et des effets. Avec la mondialisation de tous les flux, cette expression recouvre désormais une réalité bien palpable. Nous appartenons chaque jour davantage au monde, au point qu'il entre en nous, y compris sous des formes physiques avec les millions d'ondes qui traversent nos corps. L'accélération de l'histoire s'appuie sur une rapidité inouïe de l'information. Tout va vite, si vite que les émotions semblent devenir plus vives. En septembre 2014, la seule image du corps d'Aylan, ce petit Kurde de Syrie âgé de trois ans, dormant de son sommeil éternel sur une plage turque, a fait le tour du monde, provoquant une onde de choc considérable et diverses conséquences. Quelques mois plus tard, pour le numéro commémorant l'attentat contre son journal, le dessinateur Riss, nouveau directeur de Charlie Hebdo, s'est fendu d'une caricature représentant un pervers à la poursuite d'une femme, en référence aux incidents révoltants de Cologne. Et, au sommet de son inspiration, le dessinateur a porté le commentaire suivant : «Que serait devenu le petit Aylan s'il avait grandi ?» Réponse : «Tripoteur de fesses en Allemagne.» Je ne peux décemment pas reporter ici les grossièretés qui me sont venues à l'esprit dans les remugles de mon indignation. Du dégoût, car par ce dessin, c'est comme si son auteur nous disait que pour ce numéro-anniversaire, l'assassinat de ses compagnons pouvait tout justifier. Il y a eu heureusement la reine Rania pour me ramener à la raison et rappeler au monde entier, avec une élégance d'âme et une intelligence de la répartie – assurément nobles – qu'il existe des valeurs humaines qui méritent d'être préservées. Et pour me calmer davantage et élever mon esprit, il y a eu aussi ce message de Noureddine B., un ami qui vit à Paris et qui, se souvenant que je lui avais raconté ma rencontre en 2002 avec le grand écrivain Michel Tournier, décédé la semaine dernière, m'a adressé ce beau message composé de titres de ses romans : «Hier, le Roi des Aulnes s'en est allé rejoindre Gaspard, Melchior et Balthazar parmi les météores et les limbes du Pacifique, pour vivre enfin la Vie sauvage. Il aurait pu attendre Vendredi…» J'ai pu alors débarquer de mon cerveau ce connard (mes excuses, mais je n'ai pu retenir celle-là) de Riss et rêver simplement à un monde où le petit Aylan, après avoir couru sur une plage joyeuse après un papillon brésilien, faisait la révérence à la belle reine de Jordanie.