Au détour du soixantième anniversaire du 1er Novembre 1954, que reste-t-il des combats des femmes ? La question de l'émancipation -en termes d'égalité des droits que donne la citoyenneté- est-elle pour autant résolue ? C'est là une partie des innombrables questionnements débattus publiquement dans les contours du colloque «Femmes résistantes» qui s'est tenu, les 22, 23 et 24 février à l'hôtel Marriott de Constantine. Force est de reconnaître que la manifestation «Constantine, capitale de la culture 2015» aura au moins le mérite d'avoir actionné un débat autour d'un thème intemporel et passionné, celui de la femme, sa place et son statut hier et aujourd'hui. Des universitaires, sociologues, syndicalistes et cinéastes de renom, dont Fatma Oussedik, Cherifa Bouatta, Nadia Aït Zaï, Hafsa Zinaï ou encore Khaoula Taleb Ibrahimi, entre autres, ont ressuscité, à travers des enquêtes et des communications, des réalités qui semblent s'effilocher au gré du temps. L'ouverture du champ du travail devant la gent féminine a quelque peu écorné le mouvement féministe et les revendications d'égalité et de parité. La synthèse est là sans équivoque. La femme algérienne n'est pas entièrement citoyenne du point de vue législatif, économique et social. La société est prise dans le tourbillon des évolutions, s'incline devant certains changements, diabolise d'autres. Et entre ces flux et reflux, la femme est plus que jamais soumise au système patriarcal, au sein de sa famille, sur le lieu de son travail et dans l'espace public. Ces changements, Chérifa Bouatta de l'université de Béjaïa en a recensé quelques aspects à travers une enquête qu'elle a réalisée auprès de 30 personnes, 15 femmes salariées et ayant des enfants, et 15 hommes dont les femmes travaillent, pour cerner la muabilité progressive de la société algérienne. «Les personnes faisant l'objet de l'enquête sont issues des villes et sont sondées autour de trois critères, le travail, le mariage et les enfants», précisera-t-elle, en relevant les ambitions des femmes, à savoir une promotion professionnelle ou une meilleure formation. Pour leur part, les hommes auraient aimé exercer une profession commerciale pour gagner plus d'argent. Les deux piliers de la société ne regardent pas vers le même horizon. La femme cherche son émancipation, via le travail. L'homme n'a pas à s'en faire puisque les rapports de force n'ont pas changé de camp. Dans sa communication intitulée «Changement et résistance au changement des rapports sociaux de genre d'après une enquête», la psychologue est arrivée à la conclusion suivante : les configurations familiales changent autant pour les rapports mais pas toujours dans la sérénité, le référent du patriarcat est quant à lui immuable. «Dans cette communication, nous voudrions démontrer que les changements des rapports de genre ne sont pas toujours évidents et qu'il y a souvent des résistances aux changements de ces rapports». Pour preuve, l'émergence d'une nouvelle image du père. L'homme, qui, jadis, subvenait aux besoins matériels de sa progéniture, endosse de nos jours une nouvelle casquette. Il s'occupe de son enfant, le change, le veille quand il est malade…bref, il s'en occupe comme s'il était la mère. «Les rapports au sein de la famille se négocient, certaines traditions sont revisitées pour garder la séparation entre les deux sexes et on ne fait surtout pas l'impasse sur le statut de l'homme.» Pas de principe d'égalité Ce sacro saint système patriarcal transcende les murs de la société pour s'ériger en règle et bannir toute velléité d'égalité. La sociologue et militante féministe Fatma Oussedik est revenue sur l'une des notions qui miroitent l'abolition de la ségrégation entre les deux sexes. Il s'agit de la parité, inscrite dans la dernière Constitution et qui entérine légalement «la disparité» entre les citoyennes et les citoyens. C'est une série de questionnements sur le statut de la femme qu'elle a lancée symboliquement à la face de cette assistance, composée essentiellement de femmes. A commencer par les interpeller sur les derniers amendements de la Constitution «la promulgation d'un texte suscite immanquablement des interrogations», dira-t-elle. Et de passer en revue furtivement les principales révisions de la Constitution qui, somme toute, consacrait sur le papier le principe de l'égalité et de s'interroger sur le bien-fondé d'un système égalitaire. La nouveauté est que le dernier texte de la loi fondamentale, adopté récemment, renferme une notion étrangère au lexique habituel du législateur. Il s'agit de la notion de parité, usitée ailleurs et qui trouve parfois des difficultés à se traduire dans les strates politiques et économiques. «La parité est une notion nouvelle, à première vue elle émane d'une volonté de s'inscrire dans l'universel», expliquera la chercheure associée au Centre de recherche en économie appliquée au développement (Cread) pour mieux rebondir sur ce que recèle sa définition. La parité permet de classer les personnes d'où l'importance de penser ce terme. «La parité n'est pas un principe, elle est incluse pour mieux défendre le système patriarcal.» Dans le contexte algérien, la parité nous est offerte dans l'emploi avec quelques réserves puisque les chiffres sont éloquents. Et d'égrener des statistiques pour l'année 2015 publiées par l'Office national des statistiques (ONS) où sur une population active de plus de 11 millions, 19,4% sont des femmes. Concernant le chômage, le même organisme avance 9,9% d'hommes contre 16,6% de femmes, soit presque le double. Les emplois féminins sont répertoriés à hauteur de 70% dans le secteur des services «… l'Etat s'est désengagé du travail des femmes dans d'autres secteurs d'activité». Pour la communicante «ce terme n'équivaut pas au principe de l'égalité, car il se substitue à un projet et ne peut nullement devenir un élément de la loi constitutionnelle». La notion de parité est donc un stratagème qui préservera le patriarcat et ne consacrera aucune égalité, ni en matière de droits ni d'emploi, encore moins de mixité.