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Rentrée littéraire du Mali
Bamako
Publié dans El Watan le 05 - 03 - 2016

A l'heure où le Mali tente de rétablir une fragile paix entre ses différentes composantes et courants politiques, écrivains et penseurs osent le pari de penser ensemble un avenir meilleur pour le continent.
La rentrée littéraire du Mali s'est tenue du 22 au 26 février à Bamako. Cinq jours riches en discussions et en créations associant artistes et intellectuels venus de différents pays d'Afrique et d'ailleurs.
Pour la sixième édition de cet événement résolument panafricain, les organisateurs ont choisi la fameuse devise de Gandhi : «Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde» en guise de thématique. Un message d'espoir pour un peuple qui en a vraiment besoin dans cette période critique de son histoire. En effet, le Mali travaille actuellement à concrétiser les accords de paix signées l'an dernier à Alger entre les différentes parties du conflit qui a éclaté au nord-Mali en 2012 avec de fâcheuses répercussions sur la situation sécuritaire, à l'image de l'attentat perpétré en novembre dernier à l'hôtel Radisson Blu de Bamako. Mais le Mali tente de panser ses blessures avec le soutien de ses voisins.
L'Algérie était fortement présente à la Rentrée littéraire du Mali avec plus d'une dizaine de participants. Au-delà de la proximité spatiale et culturelle de ce pays frontalier, l'Algérien, ayant vécu les années noires du terrorisme, mesure l'importance de cette présence amicale et solidaire en temps de crise. Présente dès la première édition, en 2008, l'éditrice Samia Zennadi (Apic) est fortement impliquée dans l'organisation de cet événement. Suite à une réunion avec les organisateurs de la rentrée littéraire à Jijel en 2014, les Algériens ont rejoint le cercle amical formé autour de cet événement.
Avec le soutien de l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et du ministère des Affaires étrangères, Samia Zennadi, secondée par l'auteure Hajar Bali et l'association Chrysalide d'Alger, a réussi à réunir un beau panel de créateurs et d'acteurs culturels algériens pour l'édition 2016. Loin de se cantonner aux cercles intellectuels élitistes, l'intérêt de cet événement est sa programmation axée sur la proximité.
En plus des universités, de l'Institut français et des autres institutions partenaires, une grande partie du programme s'est déroulée dans les lycées de la capitale malienne avec de rafraîchissants ateliers d'écriture destinés aux jeunes auteurs en devenir. Les débats ont également été d'une grande richesse et d'une diversité salutaire.
Les participants ont ainsi donné chacun sa vision du changement annoncé dans le slogan de cette édition. L'activiste indien Sandeep Chachra, présent lors de l'ouverture organisée au Musée du Mali, a rapporté une savoureuse anecdote qui éclaire la belle phrase de son illustre compatriote : une femme était partie voir Gandhi pour lui demander de convaincre son jeune fils de cesser d'abuser des sucreries. Le sage la pria de revenir après deux semaines. Ce qu'elle fit.
De retour chez le Mahatma, elle l'interrogea sur la raison de ce délai. A quoi il répondit simplement : «C'était le temps qu'il me fallait pour tenter de dépasser ma propre addiction aux sucreries et, ainsi, être en mesure d'aider votre fils». L'enfant terrible de la littérature congolaise, In Koli Jean Bofane, était également présent lors de ce débat modéré par Samia Zennadi. Il a rapporté son vécu de la guerre durant son enfance. Une période décisive dans sa formation d'écrivain.
L'auteur de Mathématiques congolaises a affirmé sa conviction dans le pouvoir de la parole, du cri, pour changer le cours des événements. Il ne s'agit pas d'un postulat philosophique, mais d'une expérience physique ancrée dans la mémoire de l'écrivain. In Koli Jean Bofane se souvient des cris de sa mère qui ont fait fuir les soldats venus exécuter sa famille. Ce primordial cri de colère maternel nourrit l'écriture torrentielle qui lui a valu de nombreux prix en Afrique et dans le monde. L'écrivain ajoute qu'il est temps que les Africains prennent la parole dans les médias pour imposer leur vision des événements plutôt que de laisser le champ libre à des «spécialistes», à l'objectivité discutable, qui abordent l'actualité par la lorgnette de la géopolitique et ne se préoccupent pas toujours suffisamment des souffrances physiques et morales infligées aux populations.
Dans la même veine, de jeunes rappeurs ont porté une forte parole dissidente rythmée par des airs tirés de notre riche patrimoine musical africain. Une «battle» toute pacifique a réuni le Malien Master Soumy, le Burkinabè Smokey et l'Algérien Diaz. Master Soumy a affirmé, durant le débat animé par Lazare Ki-Zerbo, que le rôle ancestral du griot, porte-parole de la communauté en Afrique de l'Ouest, a tourné à l'amuseur public folklorisé. «Sa fonction est désormais portée par les rappeurs», assure Master Soumy qui illustre son propos par son dernier titre intitulé L'heure est grave où il égrène les malheurs de son peuple entre pauvreté endémique, démission des politiques et montée de l'intégrisme.
Dans le même sens, Smokey a témoigné de son engagement actif dans le mouvement du «Balai citoyen» contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza. Diaz a, quant à lui, mis en exergue son engagement artistique dans la relecture de la poétique du melhoun et des mélodies du chaâbi pour porter un message social et politique à l'image du titre Civil fi blad el askar (Civil au pays des militaires) qu'il a interprété sur la scène de la Gare devant un public conquis par cette belle rencontre panafricaine des nouvelles voix de la culture urbaine.
Si la thématique annoncée était liée au changement, un grand nombre de discussions a tourné autour de la question de l'identité. «Comment changer en restant soi-même ?» pourrait-on sous-titrer cette édition. C'est notamment l'axe qui a été développé à l'occasion de l'hommage rendu à l'écrivain malien Seydou Badian Kouyaté à l'Institut français de Bamako. Agé de 87 ans, le romancier, auteur des paroles de l'hymne national malien, est actuellement un des doyens de la littérature africaine. Le débat modéré par Mohomodou Houssouba a porté sur son roman fondateur Sous l'orage.
Publié durant les années cinquante du siècle dernier, ce récit retrace une histoire d'amour contrariée par le poids des traditions.
L'auteur explique, dans un entretien filmé réalisé par Fatoumata Keita, que le conflit de génération décrit dans son œuvre ne débouche pas sur un déchirement, mais sur une compréhension mutuelle entre les jeunes avides de modernité et les vieux attachés aux traditions. En guise de conseil pour les jeunes écrivains, Badian préconise de «puiser dans le passé lointain les valeurs de l'Afrique comme la solidarité, l'amitié ou le respect des anciens… Et de les transmettre au reste de l'humanité». En effet, les productions de la littérature orale sont d'une richesse insoupçonnable dans toute l'Afrique et particulièrement au Mali où l'écrivain Hamadou Ampâté Bâ a forgé la phrase devenue proverbiale : «quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle».
Présent au débat qui a suivi la présentation de Sous l'orage, le brillant écrivain togolais Sami Tchak a assumé le rôle d'empêcheur de penser en rond. L'auteur du Paradis des chiots s'est attelé à déconstruire le paradigme d'une pensée enfermée dans l'illusion d'un choix entre tradition et modernité. Il a affirmé que l'intellectuel africain formé à l'école occidentale est, qu'il le veuille ou non, un sous-produit de cet ordre dominant. «Le colon a tellement dominé qu'on a pris sa défense… Quand mon père, forgeron issu d'une longue lignée de forgerons, m'a inscrit à l'école, il a signé lui-même la fin de la forge», illustre-t-il. Il a ajouté que les mots d'ordre guerriers de la «négritude», ou encore de la «tigritude», ne changent rien au rapport de force favorable à une culture occidentale écrasante.
Tchak ajoute que le conflit et la violence existent également dans la tradition. Ainsi, la nostalgie d'une Afrique paisible est elle-même illusoire, sachant que les guerres tribales n'ont cessé de secouer le continent. Il rappelle que Sous l'orage a été publié avec La mort de Chaka, une pièce théâtrale qui revient sur le parcours du grand guerrier Chaka, fondateur du royaume Zoulou au XIXe siècle.
Enfin, il a appelé à lire les œuvres de la littérature africaine autrement que comme des traités d'anthropologie ou, pire, d'ethnologie. En effet, l'histoire d'amour contrariée contée dans Sous l'orage est un thème universel et son écriture est porteuse d'une esthétique propre à Seydou Badian.
Hommage a également été rendu au classique de la littérature africaine anglophone, Chinua Achebe (1930-2013), qui n'a cessé de penser la place de l'Afrique dans le monde moderne, déjà du temps de la colonisation mais aussi après des indépendances qui sont loin d'avoir déjoué tous les pièges postcoloniaux, voire néocoloniaux.
Une soirée spéciale a été en outre consacrée à Assia
Djebar dans l'ambiance décontractée du restaurant Blabla. Samia Zennadi, Hajar Bali, Maya Ouabadi (éditions Barzakh) et Mathieu Montanier (qui a animé un atelier de lecture) ont lu des extraits de plusieurs œuvres de la prolifique romancière algérienne disparue en février 2015.
Présent parmi le public, le poète Habib Tengour a souligné l'exigence littéraire et intellectuelle d'une écrivaine qui n'a jamais cédé aux sirènes des médias friands de discours monolithiques sur les anciennes colonies. Maïssa Bey a, quant à elle, témoigné de sa découverte (révélation !) de l'écriture djebarienne à l'âge de 13 ans. L'auteure de Hizya a rappelé la dose de courage que supposait la publication de ces écrits déjouant tabous et hypocrisies par une femme écrivain dans l'Algérie des années cinquante.
Enfin, un vivant hommage a été rendu à l'une des voix les plus singulières de la littérature africaine avec une table ronde dédiée à l'écrivain congolais Sony Labou Tansi (1947-1995) suivi d'une époustouflante mise en scène de Machin la hernie, version originelle du texte publié en 1983 sous le titre de L'Etat honteux. Déroutant, incantatoire, flamboyant, hilarant, terrible, absurde et très juste à la fois, ce long monologue d'un dictateur fou (excusez le pléonasme) a été puissamment proféré par le comédien Jean-Paul Delore en dialogue avec la matière sonore modelée par la guitare d'Alexandre Meyer. Il n'est pas fortuit que la Rentrée littéraire du Mali ait consacré une importante partie de son programme à la lecture à haute voix des textes.
La littérature comme spectacle vivant et comme porte-voix d'une parole plurielle. Entre la prise de position politique, la perpétuation des récits ancestraux et la création poétique radicale, le pouvoir de la parole a été fortement célébré lors de cette Rentrée littéraire du Mali qui a pris des allures «d'arbre à palabres» des temps modernes.


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