62e anniversaire de l'explosion nucléaire de Béryl: un crime contre l'humanité qui engage la responsabilité de la France    APN: "Diplomatie sportive, performances et efficacité", thème d'une journée parlementaire    Forum de Doha: les efforts de l'Algérie en soutien à la cause palestinienne largement salués    Biskra dispose de capacités et potentialités à même de réaliser un véritable décollage industriel    M. Attaf reçoit un appel téléphonique de son homologue omanais    Goudjil: positions immuables de l'Algérie envers la Palestine    Tissemsilt: des engagements pour encourager toute initiative sportive et juvénile    Cyclisme/Tour international du Bénin (1re étape): Azzedine Lagab remporte l'étape et endosse le maillot jaune    Le ministre de l'Intérieur salue les hautes capacités du corps de la Protection civile    Les efforts de l'Etat à inscrire des éléments culturels dans la liste du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO soulignés    Oran: nécessité de renforcer l'arsenal juridique lié à la protection du patrimoine culturel immatériel    Judo/Mondiaux 2024 Individuels: l'Algérie participe avec quatre athlètes    Agrément du nouvel ambassadeur d'Algérie au Koweït    Plus de 500 porteurs de projets formés et accompagnés par le CNFE en 2024    BID: l'Algérie abritera les assemblées annuelles 2025    Accidents de la route: 38 morts et 1690 blessés en une semaine    Etats-Unis : des centaines d'étudiants de l'université de San Francisco se solidarisent avec Ghaza    "L'investissement dans le cinéma et le soutien des initiatives ", parmi les axes principaux de la nouvelle loi sur le cinéma en Algérie    «Objectif atteint en terminant parmi les quatre meilleurs»    L'USMA campe sur ses positions et boycotte Berkane    Championnat d'Afrique de volley : L'ASWB vainqueur face au Litto Team du Cameroun    Exemples de leurs faits et gestes d'amour !    Plus de 200 colons israéliens profanent la mosquée Al-Aqsa au 7e jour de la Pâque    Un responsable israélien appelle Biden à empêcher l'émission d'un mandat d'arrêt contre des dirigeants, dont Netanyahu    Session de formation au profit des cadres du Bureau des affaires des pèlerins algériens    Des médecins mauritaniens assistent à des opérations de transplantation rénale au CHU de Batna    Le ministre zambien de l'Education reçu à l'Université d'Alger 1    Aoun lance la deuxième opération d'exportation d'insuline vers l'Arabie saoudite    Attaf met en avant les efforts de l'Algérie en matière de sécurité énergétique    Les expositions variées séduisent les visiteurs    Le dossier de classement sur la liste de l'Unesco en préparation    Le paradoxe de l'artiste, c'est donner le meilleur de soi-même tout en croyant ne rien savoir donner    «Le haut commandement attache un grand intérêt au moral des personnels»    «Faire avorter les plans et menaces qui guettent l'Algérie sur les plans interne et externe»    Le président de la République décide d'attribuer à certains magistrats à la retraite le titre de «Magistrat honoraire»    Vingt nouveaux établissements scolaires    Megaprojet de ferme d'Adrar : « elmal ou Etfer3ine »    ALORS, MESSIEURS LES DIRIGEANTS OCCIDENTAUX : NE POUVEZ-VOUS TOUJOURS PAS VOIR LES SIGNES ANNONCIATEURS DUN GENOCIDE A GAZA ?    Témoignage. Printemps Amazigh. Avril 80        Le Président Tebboune va-t-il briguer un second mandat ?    L'imagination au pouvoir.    Le diktat des autodidactes    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Ils revendiquent la régularisation de la Pension complémentaire de retraite: Sit-in des mutualistes de la Sonatrach devant le siège Aval    Coupe d'afrique des nations - Equipe Nationale : L'Angola en ligne de mire    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Chasser les clichés
Photo. Exposition Iqbal/arrivées au Mama
Publié dans El Watan le 27 - 05 - 2017

Quel sens peut avoir la photographie dans le monde actuel ? On ne mesure peut-être pas assez l'extraordinaire révolution qui s'est opérée sous nos yeux, en quelques années, ce passage de l'argentique au numérique, puis la jonction avec les nouvelles technologies de communication qui font que des milliards d'individus ne se séparent plus un instant de leur téléphone portable, donc de la possibilité permanente de photographier quand, auparavant, ils devaient se munir d'un appareil spécial pour le faire et programmer leurs séances de photographie.
Aujourd'hui, le dernier des mobiles est souvent plus efficace que les meilleurs appareils familiaux d'il y a une décennie. Quant aux smartphones, certains alignent des performances techniques incroyables dans de si petits objets. Ceci sans parler des automatismes qui règlent d'eux-mêmes les focales et vitesses et assurent au moins des photographies nettes et bien éclairées. Cela a entraîné une expansion phénoménale de la prise de vue, jusque-là limitée à des moments importants, voire exceptionnels, de l'existence (fêtes, diplômes, vacances...).
Bien sûr, on photographie encore ces moments mais on photographie aussi partout et sans arrêt, au travail, au café, dans la rue, le métro, etc. On se photographie soi-même aussi, selfies obligent. Les avancées technologiques ont toujours eu un impact sur les évolutions artistiques. Ainsi, l'émergence de la peinture moderne à la fin du XIXe siècle – même si elle est liée aussi à la transformation des contextes économiques et sociopolitiques et à l'évolution des expressions culturelles, notamment littéraires – doit beaucoup à la naissance de la photographie (1839, Louis Daguerre).
Avant de devenir un art, ce procédé a en quelque sorte libéré la peinture de l'obligation de représenter le réel, de manière documentaire ou historique. Puisqu'on pouvait disposer d'images «fidèles» de l'existant, les peintres se sont acheminés vers d'autres voies que la figuration, ce qui a ouvert la voie au moderne puis au contemporain. Il est indéniable que la popularisation planétaire de la photographie à travers le numérique (et surtout le support du téléphone mobile) est en train de provoquer des changements, cette fois-ci sur l'art photographique.
Puisque tout le monde ou presque peut «saisir» le réel, les artistes photographes sont amenés à aller plus loin et à développer des démarches créatives nouvelles. Il ne suffit plus de montrer, ils doivent aussi démontrer. Et d'abord la singularité de leur regard, en plus de leur talent artistique (cadrage, lumière, effets…). Ces qualités étaient bien sûr déjà exigées des photographes de l'époque pré-numérique. Mais il est certain qu'elles prennent désormais une dimension nouvelle, en tout cas renforcée.

En Algérie, ces aspects se doublent d'une dimension particulière liée à l'histoire. Comme de nombreux peuples, c'est par la colonisation que les Algériens ont connu la photographie, comme une intrusion à leurs dépens et une appropriation agressive de leur image puisqu'elle s'inscrivait dans des usages militaires et administratifs.
Au départ donc, ce ne fut pas une lune de miel, mais un viol symbolique. Ce n'est qu'avec l'indépendance que se popularisa vraiment l'usage convivial ou festif de la photo et il est symbolique que Kouaci (1922-1996), photographe des maquis durant la guerre de Libération, ait ouvert après 1962 un studio. L'apprentissage collectif de la photo par les Algériens, comme pour l'apprivoiser, a donné lieu à une première génération de photographes, notamment dans la presse, certains d'entre eux, aujourd'hui quinqua, sexagénaires ou plus, se distinguant aussi dans la photographie d'art et posant avec courage et lucidité à la fois les fondements et les questions de son exercice dans notre pays.
Serions-nous, comme au cinéma et dans les arts visuels, en train d'assister à l'éclosion d'une nouvelle génération comme le suggère le titre de l'exposition actuelle au Mama : «Iqbal/ Arrivées ; pour une nouvelle photographie algérienne» ? Et comme pour les autres arts, cette éclosion apparaît comme aussi prometteuse que fragile car elle doit gagner ses lettres de durabilité si l'on peut dire dans un contexte culturel instable et bouleversé par l'abandon brutal d'un système de subvention et d'encadrement public et de nombreuses ambiguïtés sur l'alternative envisagée. Mais si l'exposition ne peut pas constituer un manifeste, elle signe indéniablement un acte de présence dont nous avions eu quelques prémisses auparavant.
Oui, nous dit-elle, une nouvelle photographie algérienne est en train de naître. Plusieurs d'entre eux s'inscrivent dans un renouvellement du travail de leurs aînés et indiquent des transmissions positives sans déficit d'originalité.
Nous avons été impressionnés par Ramzy Bensaadi dont le travail durant trois ans sur les «célébrations rurales» révèle un talent formidable. Ses photos sur les mouassem de notre terroir nous révèlent un monde que beaucoup croient disparu parce que méprisé des médias et représentations officielles. Il atteint un sommet avec sa photo sur un baroud qu'il représente, à l'instant même du vacarme, sur le visage des spectateurs dont des enfants qui se bouchent les oreilles. Un magnifique hors-champ, comme on dit au cinéma. Mais tous se distinguent par de grandes qualités thématiques et artistiques avec cette manière de signaler ce que l'on ne voit pas ou peu ou, mieux encore, ce qu'on voit tous les jours sans le voir vraiment.
Belle maîtrise du noir et blanc chez Abdo Shanan dont les effets prennent l'aspect de fusains avec, notamment, une très belle photographie où, contre un mur, un palmier dialogue avec un cactus. Karim Tidafi nous remet sur le trottoir d'Alger pour y contempler le défilement des bus. Un travail documentaire admirable qui décrit la sociologie de la ville. L'univers des transports est encore présent avec le travail dans et autour du train de Atef Berredjem qui alterne ses vues avec des reproductions des tickets de voyage. L'automobile, c'est l'univers de Ramzy Zahoual qui traque les vieux modèles et les carrosseries abandonnées et produit en quelque sorte une poésie post-industrielle et infra-environnementale.
Avec ses interventions graphiques sur des paysages naturels, Hakim Rezaoui n'est pas sans nous rappeler le travail du grand photographe Amirouche qui intervenait sur ses pellicules comme un peintre. Dans «Nuages noirs», Yanis Kafiz propose des portraits de jeunes qui expriment sans artifice toute la force du malaise et du désarroi. Dans les quartiers populaires d'Alger, Mehdi Boubekeur saisit les rues et leurs personnages, graffitis compris, avec une qualité d'image, un sens chromatique élevé et des compositions dignes des peintres de la Renaissance. «Moul djellaba», l'homme à la djellaba (en fait une kachabia) nous délivre une performance subtile (car il en est tellement qui ne le sont pas) mettant en scène, sous son anonymat (en fait Ahmed Badreddine), son personnage énigmatique.
Il nous interroge sur des questions d'identité et l'on croirait entendre Kateb Yacine à propos des ancêtres redoublant là, non de férocité, mais de perplexité. Yassine Belahsene s'est attaché à nous exprimer le silence et il réussit presque à nous le faire entendre des yeux et à deviner ses divers sens. De manière magistrale, Youcef Krache nous propose ses photos sur les moutons et les béliers de combat et dans la tradition millénaire des œuvres animalières, ce ne sont pas les bêtes qu'il nous fait voir, mais la société.
Dans «Transvergence», Farouk Abbou interroge notre rapport aux espaces urbains en plaçant un homme de dos marchant seul dans les rues sans âme. Sonia Merabet, avec «Extraterrestre, 2014, Djanet» vient casser tous les clichés exotiques du Sahara. Pas de ciel bleu, mais la nuit. Pas de dunes, mais des maisons affreuses où le béton le dispute au parpaing. Une maîtrise du clair-obscur qui culmine avec cette lune accrochée à des fers de piliers ! Du beau à partir du moche et là est la performance.
Belles monstrations encore de Abdelhamid Rahiche sur la cité Climat de France (les Cent Colonnes de l'architecte Pouillon), au cœur d'un quartier mythique livré à la désolation urbaine et humaine ; de Liasmine Fodil avec «A la recherche d'une âme perdue» dont les petits formats restituent avec sensibilité et raffinement le souvenir de sa grand-mère ; d'Oussama Tabti qui dénonce, avec «Fake», les faux palmiers cachant des antennes relais, probablement au Maroc ; de Fethi Sahraoui qui nous plonge en noir et blanc dans l'univers des stades, côtés gradins ; de Lola Khalfa qui décrit les «Dégoûtages» de la jeunesse dans une sublimation du flou en noir et blanc et de Sihem Salhi qui décompose avec «Lumières d'âme» les mouvements d'une prière en plans successifs.
Enfin, sur les migrants subsahariens à Alger, quel beau travail que celui de Nassim Rouchiche qui les rend transparents et fantomatiques dans des lieux où ils vivent et travaillent ! Ce faisant, il met sous nos yeux la transparence de notre propre regard sur leur existence et leur condition.
Etonnement et émotion parcourent cette exposition, dans une fraîcheur qui n'exclut pas (au contraire) la maîtrise technique et artistique. Il s'agit là sans doute d'un des événements culturels les plus significatifs de cette année, car il révèle ou confirme de véritables talents qui, prémunis du syndrome de la «grosse tête», pourront aller très loin. En 2005, notre défunt confrère et ami, Abdelkrim Djilali, avait organisé une exposition de photographies. Interrogé dans ces colonnes, il en situait tout l'enjeu en affirmant : «Les Algériens consomment beaucoup d'images, mais ne les produisent pas.
Pourtant, ils en ont besoin ; ils ont besoin d'avoir un regard sur eux-mêmes.» Dans son sillage,
Nadira Laggoune-Aklouche, directrice du Mama et historienne de l'art, écrit : «Ce type de représentation, à la fois document et image, est ce qui fait la caractéristique principale de la photographie en Algérie aujourd'hui. Mode d'expression incontestable, elle a bouleversé le statut de l'image dans notre société et les notions de pouvoir symbolique et idéologique qu'elle induit. Le résultat engendré par ce nombre incalculable de photographes qui augmente fait émerger une culture partagée, fondée sur les images et leur libre appropriation : la photographie est devenue un élément de la culture à part entière.»
Quant à Bruno Boudjelal, commissaire, il affirme : «Il est essentiel que l'Algérie, comme de nombreux autres pays à travers le continent africain, soit aussi racontée, décrite, photographiée… par les Algériens eux-mêmes. Ces jeunes photographes nous montrent combien ils en ont conscience et nous envoient un message très fort et clair, avec beaucoup de talent !»
Nous vous recommandons expressément de visiter cette exposition, ne serait-ce que pour encourager ces jeunes femmes et hommes, issus de divers points du pays, qui savent faire parler leur objectif. Vous ne courrez qu'un seul risque : voir et vous voir.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.