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«L'Algérie n'a toujours pas de loi sur les réfugiés»
Mohamed Saïb Musette. Directeur de recherche au Cread, spécialiste des questions migratoires
Publié dans El Watan le 09 - 07 - 2017

Mohamed Saïb Musette est sociologue et directeur de recherche au Cread. C'est un fin spécialiste du fait migratoire. Dans cet entretien, il analyse avec acuité l'évolution des mobilités humaines qui transitent par notre pays. Il souligne que l'Algérie continue de résister à la politique de l'Union européenne en matière de gestion des flux migratoires en refusant d'installer des «centres de tri» sur son territoire. Le sociologue salue les dernières mesures prises en faveur des migrants tout en les considérant insuffisantes en l'absence d'une législation claire sur les réfugiés et le droit d'asile. Le chercheur plaide pour une politique plus «offensive» en Afrique en appelant notamment à capter les compétences issues du continent africain, sachant que notre pays compte, dit-il, 8000 étudiants étrangers, dont 90% d'Africains qui sont boursiers de l'Etat algérien.
- Vous avez consacré une part importante de vos travaux à l'étude et l'analyse du fait migratoire. Une petite précision sémantique pour commencer : quelle est la différence entre «migrants» et «réfugiés» ?
Pour opérer une distinction entre ces deux concepts, notez qu'un réfugié peut être considéré comme étant un migrant dans la mesure où c'est quelqu'un qui passe d'une frontière à une autre, d'un pays à un autre. C'est ce qui donne la notion de migrant. Le fait qu'on franchisse une frontière fait de nous un migrant, d'un pays à un autre ou d'une zone à une autre, parce qu'on peut être migrant même à l'intérieur d'un même pays. En passant d'une wilaya à une autre, on a migré. Ça, c'est le sens littéral du mot, et c'est applicable aux réfugiés.
Cependant, pour être considéré comme réfugié, c'est-à-dire obtenir le statut juridique et social du réfugié, là c'est toute une procédure qui va déterminer si la personne qui a traversé la frontière peut obtenir ce statut qui va lui assurer une protection internationale. Cela a été décidé depuis 1951 avec la Convention de Genève. Il y a des protocoles additionnels qui ont été mis en œuvre par la suite – parce que la Convention de Genève à l'époque ne considérait comme réfugiés que les Européens impliqués dans la Seconde Guerre mondiale –, par exemple le protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés.
Ces protocoles additionnels ont été étendus, y compris aux pays africains, aux pays qui étaient engagés dans la décolonisation. Il faut savoir que durant la Guerre de Libération nationale, les Algériens n'avaient pas accès au statut de réfugié parce que la loi ne s'appliquait pas à eux. Il a fallu une grosse bataille juridique pour donner aux militants nationalistes algériens, aux combattants qui étaient à l'étranger, le statut de réfugiés afin qu'ils bénéficient d'une protection internationale. Et aujourd'hui, l'Algérie n'a toujours pas de loi sur les réfugiés.
- On note ces derniers temps un «sursaut humanitaire» et un changement d'attitude notable de la part des autorités, en particulier en direction des migrants subsahariens. M. Tebboune, ainsi que le ministre de l'Intérieur, M. Bedoui, ont réagi avec énergie aux campagnes racistes contre les migrants en affirmant la détermination du gouvernement à leur assurer un meilleur sort. De son côté, la présidente du CRA, Saïda Benhabylès, a rendu visite aux migrants installés sous un pont près de Baba Ali, au deuxième jour de l'aïd. Comment percevez-vous ces signaux ?
Toute expression de volonté de la part des autorités algériennes qui entre dans la protection des droits des migrants peut être accueillie positivement. Reste le mode opératoire à mettre en œuvre par les «techniciens»… Ce mode opératoire doit reposer sur un socle juridique. Ce socle existe sur le plan international dans la mesure où l'Algérie a ratifié les conventions fondamentales des droits de l'homme. Ces conventions sont réputées supérieures à la loi algérienne par notre Constitution.
- Concrètement, qu'est-ce qui empêche, selon vous, la promulgation d'une loi qui octroie clairement le droit d'asile ?
Je pense que c'est un problème lié au contexte. Moi, quand j'ai commencé à étudier la situation des étrangers en Algérie, j'ai constaté que la majorité d'entre eux sont des Sahraouis. Sur les 250 000 ou 300 000 étrangers présents en Algérie, la moitié sont des Sahraouis. Deuxième cas dans lequel l'Algérie s'est engagée depuis très longtemps : les réfugiés palestiniens. Les Palestiniens qui sont chez nous ont bénéficié d'un statut de réfugié, mais pas encore d'une protection des Nations unies, ils sont sous une protection spéciale.
La majorité des populations (d'origine étrangère) présentes en Algérie ont un statut de réfugiés politiques, généralement parce que les Etats dont ils sont issus sont en conflit, ou bien des groupes sont en conflit sur leur territoire, et ils sont pris en charge par les Nations unies, ce qui veut dire qu'il y a une reconnaissance internationale de leur statut et qu'il y a beaucoup de pays qui font des donations.
Maintenant, si on regarde les nouvelles vagues de personnes qui arrivent et qui réclament le statut de réfugié, de quelle manière va-t-on s'y prendre ? La donne se complique davantage avec les Syriens. L'Algérie a pris une position vis-à-vis de ce problème en disant que c'est une solution politique qui réglera le conflit en Syrie, et que les opérations militaires ne peuvent qu'aggraver la situation. Est-ce que l'Algérie peut leur octroyer le statut de réfugiés ?
Il faut noter, par ailleurs, que le statut de réfugié repose aussi sur le HCR qui doit démontrer qu'effectivement ces personnes sont menacées ou se sentent menacées. Toutes ces personnes déplacées ont besoin de vivre et de vivre dignement. Que faut-il faire ? Quel statut doit-on leur accorder ?
Voilà une troisième complexité, ce qui fait que chaque fois qu'on avance dans la rédaction de la loi (sur les réfugiés, ndlr), on se retrouve avec d'autres facteurs, d'autres situations complexes dont il faudra tenir compte. Parce qu'il faut sortir avec un texte juridique qui serait appliqué à tout le monde, ce ne sera pas un texte fait pour une population donnée. Les Libyens qui fuient leur pays pourraient demander l'asile eux aussi, quelle que soit leur tendance. Un islamiste libyen peut demander l'asile dans ces conditions parce qu'il se sent menacé.
Une loi est ouverte à tous les cas d'espèce, il n'y a pas de disposition particulière. Que doit-on faire dans ce cas ? On sera obligé d'accepter. Par conséquent, il faut un texte d'une haute maturité pour pouvoir se donner les moyens de régler ce problème. Donc, voilà un peu la situation et ce n'est pas propre à l'Algérie. L'Europe a connu aussi sa crise des réfugiés. Schengen a failli éclater, s'il n'a pas déjà éclaté pour certains pays.
Les Nations unies ont tenu une réunion l'année dernière pour dire attention, nous allons vers une problématique des réfugiés qui commence à devenir polysémique. Chacun veut donner sa signification, poser des contours, des limites… Revenons maintenant au cas des Subsahariens qui viennent ici. Il y en a qui viennent demander l'asile politique. Et ceux-là, ils savent bien à qui s'adresser. Ils vont au HCR pour déposer leur demande. Le HCR met six mois ou une année pour déterminer si réellement la personne est menacée dans son pays.
- Le HCR fait systématiquement une enquête ?
Bien sûr. Là-dessus, les procédures onusiennes sont très claires : il y a une enquête qui doit être faite pour déterminer votre statut. La déclaration vous donne une première protection, mais ne vous donne pas le statut tout de suite. Il y a une procédure qui est menée par les agences onusiennes à travers leurs juristes, leur réseau mondial, pour vérifier si telle personne dans tel pays est réellement menacée de mort. Tous les documents que vous pouvez produire peuvent vous aider à renforcer votre dossier.
Quand il y a un conflit armé, tout dépend de la zone dans laquelle on se trouve. Là où les populations peuvent être tout de suite évacuées, on ne cherche même pas les papiers, donc les résidents d'une telle zone doivent faire l'objet d'une protection humanitaire internationale dans l'immédiat.
- En annonçant la décision de procéder à un recensement des migrants présents dans notre pays par le ministère de l'Intérieur, doit-on comprendre par là que ce travail n'a jamais été effectué auparavant pour connaître les profils et les itinéraires des migrants, recueillir leurs récits ?
En Algérie, nous n'avons pas procédé à la régularisation globale des migrants en situation irrégulière à ce jour. Certes, il y a des cas de régularisation, mais pas globale. Un recensement général est plus que souhaitable. Dans tous les pays, l'immigration irrégulière, c'est-à-dire celle qui rentre par des voies non autorisées, est statistiquement insaisissable.
Aucun pays au monde ne peut vous donner exactement le nombre de personnes qui sont rentrées et qui se trouvent en situation irrégulière. Ce n'est qu'en lançant un processus de régularisation qu'on peut connaître les personnes en situation irrégulière. Mais il faut savoir que même dans ce cas, certains migrants peuvent être exclus ou s'auto-exclure volontairement de ce processus pour ne pas être identifiés.
- Vous avez constamment rappelé que les flux migratoires et les mouvements de populations avec les pays du Sahel sont anciens, notamment chez les Touareg. Quelle lecture faites-vous de l'immigration en Algérie aujourd'hui, et particulièrement la migration subsaharienne au cours de ces dernières années ?
Moi j'avais daté cela autour du début des années 2000 et la crise en Côte d'ivoire. Quand on regarde la carte de l'Afrique, c'était la Côte d'Ivoire qui captait la majorité des migrants africains dans la côte Ouest. Il y avait également la Libye qui attirait beaucoup de migrants. El Gueddafi en faisait d'ailleurs une carte politique avec les pays de la région de l'Est. Après le déclenchement de la crise en Côte d'Ivoire, beaucoup d'immigrants ont perdu leur travail, sont partis sur d'autres voies, d'autres circuits, pour chercher du boulot.
Il y avait près de deux millions de migrants en Côte d'Ivoire à l'époque, vous imaginez ? Notez que certaines tribus en Afrique ont une forte tradition migratoire. Ce sont des tribus entières parfois qui se déplacent. Certains responsables africains nous disaient que l'émigration dans certaines tribus est un phénomène social pratiquement inévitable. Si un homme adulte ne quitte pas sa tribu pour aller ailleurs et ramener de quoi nourrir les siens, ce n'est pas un homme.
- C'est un voyage initiatique en quelque sorte ?
Oui, c'est un voyage initiatique. Cela fait partie de sa formation de «mâle». Ce sont des pratiques qui restent encore vivaces de nos jours.
Donc, après la crise de la Côte d'Ivoire, les flux ont changé de direction. L'Algérie n'était-elle pas très sollicitée à l'époque ?
L'Algérie était sollicitée, mais elle servait de passage. Le Maroc aussi servait de passage. Idem pour l'Espagne et l'Italie. Pour tous ces pays, les gens transitent, ils ne vont pas rester. Ils veulent toujours aller ailleurs.
Dès qu'il y a eu rétrécissement des circuits au niveau de l'Europe et que les pays maghrébins ont commencé eux aussi à resserrer l'étau, ils étaient obligés de contourner ces entraves. Ainsi, le phénomène existait mais il était invisible. Maintenant qu'il y a de fortes restrictions, il devient visible.
- Les nouvelles mesures du gouvernement prévoient la possibilité d'offrir des emplois en règle aux immigrés subsahariens, notamment dans le BTP. D'aucuns se demandent : pourquoi l'Algérie ne les régularise tout simplement pas ? Même ceux qui sont installés ici depuis plusieurs années, qui ont un emploi régulier, peinent à obtenir un titre de séjour et un permis de travail…
En dehors des réfugiés, il y a un processus de régularisation. L'Algérie ne refuse pas la régularisation. Mais ça se fait disons au cas par cas. C'est vrai que l'Algérie ne régularise pas massivement. D'ailleurs, beaucoup de pays hésitent d'y aller. Le Maroc vient d'en faire les frais. C'est la deuxième vague de régularisation qu'il a lancée, mais pour une régularisation d'une année. Cela veut dire qu'on reste dans le travail temporaire. On le sait très bien, tous les pays qui ont utilisé la régularisation temporaire ont échoué.
- Pour quelle raison ?
La migration obéit à des facteurs humains. Prenez le plus simple des flux migratoires : les étudiants. Vous ne pouvez pas dire à un étudiant qui suit ses études dans un autre pays et qui rencontre une copine et se marie avec elle : «Toi, tu étais programmé pour retourner dans ton pays au bout de quatre ans».
Les travailleurs, c'est la même chose. Le premier pays qui l'a utilisé massivement, c'est l'Allemagne avec le système des «guest workers». Des Turcs principalement. Les travailleurs invités sont autorisés à rester une année. Maintenant, on a inventé la migration circulaire : tu peux venir pour deux ou trois ans et tu repars avec la possibilité de revenir.
Pour moi, ce sont des dispositifs hypocrites. Si on régularise, il faut adopter un processus d'installation normal et non pas une régularisation d'une année. En Algérie, comme au Qatar et en Arabie Saoudite, nous avons aussi des «guest workers» qui suivent leur entreprise. L'entreprise qui vient ramène ses travailleurs, et quand elle repart tous ses travailleurs partent avec elle.
Leurs passeports sont bloqués. C'est ce qu'on a fait avec les travailleurs chinois. Tous les pays du Golfe utilisent ce procédé. L'entreprise devient le tuteur de l'individu. Le travailleur ne reçoit que la moitié de son salaire, et ce n'est qu'au terme de son contrat qu'il perçoit la totalité de sa rémunération, et qu'on lui rend son passeport pour retourner dans son pays.
Ce que nous, les sociologues, dénonçons. Nous considérons ces travailleurs comme les esclaves des temps modernes. Dans le cas des travailleurs chinois en Algérie, ils sont recrutés sur le tas, sans dossier, parfois uniquement sur l'apparence physique. Il y a un cas qui m'est resté gravé dans la mémoire.
C'est un travailleur chinois qui est décédé sur un chantier, et le patron de l'entreprise n'a pas pu le rapatrier. Il ne savait pas où il habitait. Il disait : «Je ne sais pas où est sa famille, je dois remettre son argent, mais à qui ? Je ne sais pas.» C'est pour vous dire jusqu'où on peut aller quand on a des entreprises qui agissent de la sorte. Combien de travailleurs retournent sains et saufs dans leur pays ?
L'entreprise a aujourd'hui un chantier en Algérie, demain elle est au Maroc, ensuite en Egypte… Si elle emploie 1000 personnes, peut-être 500 seulement vont pouvoir retourner chez eux. Ce sont des conditions de vie et de travail inacceptables. Nous, on dénonce ces pratiques. La migration doit se faire en termes clairs, avec un dispositif clair, des possibilités de régularisation si on remplit telle et telle condition, et les institutions doivent se mettre au travail dans ce sens.
- Vous avez même plaidé pour un droit au logement social au profit des immigrés…
Pour moi, c'est évident. C'est vrai que les Algériens souffrent encore du problème du logement. Imaginez si, dans le cas de nos émigrés en France, on leur disait : même si vous travaillez, vous n'avez pas droit au HLM ? Ce n'est pas normal. D'accord, on a une crise du logement. Mais au moins on peut mettre en place des foyers où ils peuvent séjourner dignement. Les Chinois le font. Quand l'entreprise ferme, la base-vie est détruite. Moi, il m'est arrivé d'hériter d'une base-vie du temps où je travaillais à la wilaya d'Alger.
Il arrive qu'une entreprise, au terme de son contrat, dise voilà : «J'ai une base-vie avec des appartements équipés, avec frigo, téléviseur, tout». Et nous, on les récupérait pour les reverser dans le social. Parce que pour ces sociétés, ce sont des frais supplémentaires que d'avoir à réexporter ces équipements, donc ils préfèrent les céder. Je pense que les foyers d'accueil sont une bonne chose au lieu de laisser les gens sous les ponts.
- L'accès aux soins et l'école leur sont définitivement assurés ?
Oui, et c'est le fruit d'une rude bataille, ce n'est pas venu comme ça. Il y a eu plusieurs plaidoyers qui ont été faits pour arracher ces droits. Avant, les hôpitaux refusaient de les accueillir. Ils ont aujourd'hui accès à l'école, et il a fallu batailler dur pour ça aussi. Il y a donc des avancées, c'est certain.
C'est vrai qu'il y a des clashes entre populations, il y a des appréhensions, mais c'est partout pareil. Même entre Algériens ça se produit. Etre un migrant de couleur différente, de religion différente, forcément, ça crée des tensions. D'où l'importance des lois, des structures de médiation. Il faut apprendre à communiquer, à se respecter les uns les autres, ça s'apprend.
- Force est de constater qu'il y a toujours des appels à la haine, des campagnes anti-migrants, comme on l'a vu dernièrement sur les réseaux sociaux sous le hashtag «#Non aux Africains en Algérie»… Comment agir sur les mentalités et ces représentations négatives, selon vous ?
La notion du «vivre ensemble» se construit notamment à l'école, par une éducation civique qui prône la non-discrimination sur la base de la couleur, de la religion L'éducation, c'est la base mais elle reste insuffisante car il faut aussi des structures de médiation sociale, des associations.
Les extrêmes existent dans toutes les sociétés, l'Algérie n'en est pas exclue. C'est un combat permanent qu'il faut mener contre les extrêmes. Notre religion nous prescrit pourtant le «juste milieu». Quand j'entends des intellectuels, des professeurs d'université me dire «tu travailles sur ces infrahumains» en parlant des Africains noirs, je me dis qu'il y a beaucoup à faire encore pour faire accepter «la différence»…
- Il y a aussi les opérations de reconduction aux frontières menées manu militari comme celle de décembre 2016, et qui ont considérablement terni l'image de l'Algérie et lui ont valu de sévères critiques internationales. Comment analysez-vous ces campagnes de rapatriement forcées ?
D'abord, il faut souligner que le retour doit être volontaire. Et il faut que cela soit accompagné d'un travail psychologique. Ce sont généralement des personnes en détresse qui ont besoin de réparation psychologique. Il faut les aider à s'aider eux-mêmes. Il faut faire en sorte qu'il y ait un retour digne, c'est-à-dire que la personne rentre chez elle la tête haute. Pour les besoins d'un documentaire, on avait interviewé une femme algérienne dont le fils était parti.
Elle nous disait : «Qu'il revienne, il n'y a pas de honte à avoir ! Moi, je lui achèterai des cadeaux qu'il offrira à tout le monde et je dirai que c'est mon fils qui les a ramenés». En 2005, on a mobilisé 50 bus du côté de Tlemcen pour déplacer les migrants qui étaient à Maghnia (Oued Jorji, ndlr), et les reconduire vers le Sud.
On leur a assuré le transport, on leur a distribué des vêtements, mais le mode d'emploi était inadéquat. C'était fait dans la précipitation. Il fallait les préparer au retour. Pourtant, on a connu ça en Algérie. Dans les années 1970, on a procédé au rapatriement de nos émigrés qui étaient en France. Boumediène avait décidé de les rapatrier parce que la France a commencé à attaquer l'immigration. L'Etat algérien avait mis en place une politique de réinsertion.
C'est une expérience très riche. Il y avait un programme national de réinsertion. Je me souviens que beaucoup de jeunes émigrés pouvaient accéder à l'université, alors qu'en France ils n'y avaient pas accès. Ils avaient accès également au logement. Il y avait tout un dispositif d'accompagnement. L'Etat s'était organisé pour les accueillir. Maintenant, si les Etats ne s'organisent pas, il faut recourir aux ONG. Dans tous les pays du monde, les procédures administratives sont lentes. Les plus réactifs, ce sont les ONG, surtout en situation d'urgence.
- Justement, au vu de l'ampleur qu'a prise la détresse des populations migrantes, et même s'il existe des collectifs citoyens, des initiatives, des ONG, qui font un travail admirable, ne pensez-vous pas que l'implication de la société civile algérienne reste insuffisante sur cette question ?
C'est vrai que ce n'est pas suffisant. Il y a des réseaux qui se sont mis en place. Il y a un réseau qui compte différentes ONG : Caritas, Médecins du Monde, la SARP… Le CISP est également intervenu sur cette question. Ils en avaient les moyens, ils l'ont fait. Mais ces initiatives ne s'inscrivent pas dans la continuité. Les ONG algériennes dédiées à la protection des droits des migrants, je n'en connais pas réellement. Ponctuellement, une association se dit : tiens, je vais travailler sur l'immigration. Ils trouvent un financement pour une action. Après, ils passent à autre chose.
Il n'y a pas d'associations dédiées spécialement à la protection des migrants. C'est ce qui nous manque en Algérie. Même sur le plan de la recherche, il y a très peu d'études. Le CREAD est l'un des rares à travailler d'une manière continue sur ce sujet. Les ONG étrangères essaient d'intervenir, mais elles aussi sont prises dans un étau parce que pour agir sur le terrain, il faut toute une série d'autorisations. Il y a aussi le CRA qui fait le travail d'une ONG…
Ils mobilisent des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux qui les accompagnent. Mais il ne faut pas que ce soit toujours le CRA. Il faut que d'autres associations s'impliquent sur ce terrain. Depuis peu, l'OIM s'est installée en Algérie. Cette organisation est devenue une agence des Nations unies. Nous avons là un partenaire de taille pour nous assister dans la protection des droits des migrants.
- Quel regard portez-vous sur la question migratoire du point de vue de son inscription dans l'espace régional, que ce soit au niveau africain, maghrébin ou euro-méditerranéen ? Est-ce que l'on peut dire que, malgré tout, l'Algérie «fait de la résistance» au regard de l'injonction des pays de l'UE qui voudraient faire du Maghreb le «gendarme de l'Afrique» face aux mobilités humaines et citoyennes du continent ?
L'Union européenne a effectivement exprimé plus d'une fois cette volonté d'externaliser ce phénomène et faire en sorte que la protection de ses frontières ne se fasse pas par les Européens mais par les pays de transit. Ils donnent de l'argent à ces pays, en échange de quoi ils leur demandent de mettre en place des centres de rétention, de refouler ceux qu'il faut refouler et de régulariser ceux qui sont régularisables.
Ils font donc le travail que l'Union européenne est censée faire à ses frontières. Beaucoup de pays africains ont accepté de le faire, et l'UE continue à jouer sur ce registre. Les pays du Sahel se sont inventés maintenant un groupement en disant que l'Europe doit les aider. Il y a eu des déplacements des autorités européennes au Mali, au Niger, en Mauritanie aussi, et c'est un jeu malsain parce qu'on est en train de faire de la migration un commerce international.
L'Algérie résiste jusqu'à présent. Elle a refusé tout crédit destiné à créer des centres de tri. Donc, je ne pense pas qu'elle va s'aligner sur les autres pays. L'Algérie milite à tous les niveaux pour qu'il y ait un dialogue global avec l'Europe sur ces questions. Pour l'instant, l'Europe préfère ne pas engager de dialogue global, mais des dialogues bilatéraux avec des pays ciblés.
- D'aucuns estiment que l'Europe doit assumer ses responsabilités envers les migrants africains en lui rappelant sa responsabilité historique durant la période coloniale et en lui imputant le retard de développement accusé par les pays du continent. Qu'en pensez-vous ?
Je n'adhère pas à cette lecture. On est en train de reproduire un discours européen que je m'interdis de reproduire. Nous devons développer nos propres réflexions face aux phénomènes que nous vivons. Quelle doit être la position de l'Algérie au niveau global ? Doit-elle adopter la position européenne et dire on accepte le financement et on joue le jeu, ou bien se tourner vers le Maghreb et œuvrer pour organiser notre région, y compris vis-à-vis de l'Afrique ?
C'est le grand dilemme pour nous. Ce qu'ils veulent qu'on fasse, ça c'est une chose, mais ce qu'on doit faire pour nous, est-ce qu'on le fait correctement ? Là-dessus, il y a un grand travail à faire. Au niveau du Maghreb, la mobilité intramaghrébine n'a jamais été actée. Ce conflit n'a que trop duré.
Tant qu'on est empêtré dans des conflits qu'on n'arrive pas à gérer, tant qu'on n'arrive pas à organiser une mobilité, comment arriver à entrer en dialogue avec des pays tiers, et notamment ceux qui se trouvent de l'autre côté ? Eux, ils ont une position de dominants en tout : sur le plan économique, politique, financier, militaire… Nous, on est à la périphérie et il faut organiser cette périphérie pour pouvoir résister collectivement à cette domination. Est-ce qu'on a réellement pris la mesure de la fuite de nos cerveaux ?
Il ne faut pas toujours se plaindre, se plaindre, se plaindre… Mais quand est-ce qu'on va agir ? On se met toujours sur la défensive, on joue la victime, mais quand est-ce qu'on sera offensif ? Il faut maintenant dire clairement que nous avons une position, et l'autre doit la respecter, sinon notre destin sera façonné par l'autre. On restera des «colonisés» éternellement, sauf qu'on ne sera plus colonisés par la France mais par l'Europe.
Personnellement, j'adhère à la théorie du centre et de la périphérie, avec une modernisation qui s'est installée autour de trois pôles : les Etats-Unis, l'Europe et le Japon. Le Japon a pu développer son sud, l'Europe a rejeté son sud, elle s'est occupé des pays de l'Est. Il y a eu Barcelone (le Processus de Barcelone, ndlr) pour les pays de la Méditerranée, on en connaît les résultats… Il y a eu l'UPM (l'Union pour la Méditerranée) encore, sans suite… Quant aux Etats-Unis, ils sont embourbés dans de grands conflits avec leur sud. Voilà la situation. Peut-on imaginer qu'un jour les pays du Sud atteindront le même niveau de développement ?
A moins qu'ils ne ralentissent leur cadence, je ne le pense pas. Par conséquent, la mobilité, la migration, vont continuer. Il n'y a aucun pays qui peut les arrêter. Récemment, j'ai consulté un document qui indique que la majorité des Nigérians qui sont à l'étranger, que ce soit en Europe ou aux
Etats-Unis, sont de niveau supérieur. Et ils ont transité par voie terrestre. Ils ont été accueillis à bras ouverts. Quand je regarde la politique américaine actuellement, je vois qu'ils ont capté l'émigration nigériane. Ils sont en train de mettre en place une politique de rétention de ces migrants et ils ne le cachent pas. Et le Nigeria se plaint de la politique américaine et anglaise aussi… Ces pays pompent leurs ressources humaines. Ils font vivre les universités anglaises et américaines. Regardez les données de Campus France : les Africains qui sont là-bas viennent à 65% du Nigeria. Cela vous donne une idée sur les profils des migrants et pour répondre aux propos stigmatisants dont on accable les migrants africains.
Dans les années 1970, l'Algérie était multicolore. Dans nos universités, il y avait de tout : des Africains, des Asiatiques, des Orientaux, des Portugais. Il y avait même des étudiants français. Actuellement, je travaille justement sur un projet qui porte sur l'immigration estudiantine. Je voulais remonter un peu dans le temps et savoir combien d'étudiants africains l'Algérie a accueillis, et qui sont parfois dans des postes de responsabilité dans leur pays aujourd'hui.
Ça, on ne l'a pas exploité, ce côté africain de l'Algérie… Notre génération a connu ça. On les côtoyait (les étudiants issus des autres pays africains, ndlr) à la fac, dans la cité universitaire, au resto U, mais la génération actuelle ne connaît pas ça. Cette étude, c'est pour dire que l'Algérie a vis-à-vis de l'Afrique une position qui est nettement meilleure que celle du Maroc et de la Tunisie. L'Algérie compte 8000 boursiers actuellement, dont 90% africains.
Il y a des Asiatiques aussi et des étudiants issus du monde arabe. Le Maroc a environ 5000 étudiants étrangers. Ils ne sont pas boursiers, ils sont inscrits dans des universités privées, donc ils étudient avec leur argent. En Tunisie, ils sont 6000 étudiants africains qui financent les universités tunisiennes. Au Maroc comme en Tunisie, ils paient, alors que chez nous ils sont traités sur un même pied d'égalité que les étudiants algériens.
Cela dit, on peut créer une grande université africaine comme on a commencé à le faire à Tlemcen. Il faut continuer sur cette lancée et créer un pôle d'excellence, vous allez voir que nos sommités à l'étranger vont revenir ici. L'Ecole des Banques, on l'a bien faite avec la Tunisie et le Maroc. Tous les banquiers font l'école de banque maghrébine. Il faut monter en cadence. Voilà comment au lieu de perdre des compétences, gagner en compétences. On peut avoir de grandes universités et capter des financements pour ça, avec des diplômes exportables. Voilà comment on peut être offensif.


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