Enquête au Paradis, le nouveau documentaire de Merzak Allouache, a reçu une mention spéciale du jury du 10e Festival international d'Oran du film arabe, mais pas de prix. Le film, qui dure plus de deux heures, traite de plusieurs questions relatives à l'islam. Merzak Allouache a peut-être abandonné momentanément la fiction pour le documentaire. Il a choisi de s'engager dans un territoire miné pour aborder la conception de l'au-delà chez les musulmans en Algérie. Enquête au Paradis, projeté en avant-première nationale au 10e Festival international d'Oran du film arabe (FIOFA), clôturé le 31 juillet 2017, s'appuie sur la question des «72 houris» qui seraient promises aux musulmans pratiquants après la mort. Merzak Allouache n'a pris aucune précaution pour vérifier la véracité de cette thèse présentée comme une vérité absolue. Il s'est appuyé sur une vidéo d'un imam saoudien inconnu, diffusé sur internet, pour construire son film. «Je voulais avoir un regard rapide sur la société algérienne. J'avais vu cette vidéo qui m'a choqué. Je voulais savoir comment cet enregistrement allait être perçu en Algérie. J'ai eu l'idée d'interroger les gens. Il fallait trouver les personnes qui acceptent de prendre la parole sur un sujet sensible. J'ai eu beaucoup de refus. Dans le montage, j'ai essayé de faire ressortir la diversité des opinions», a expliqué le réalisateur lors d'un débat à la Cinémathèque d'Oran. Nedjma (Salima Abada) est une journaliste qui mène «une enquête» sur le sens du paradis, aidée par son collègue Mustapha (Younes Saber Chérif), après avoir vu la vidéo du prêcheur saoudien. Choquée, la journaliste veut en savoir plus, fait parler des gens de la rue qui souvent parlent avec sincérité de la djenna (paradis), citent des versets coraniques, reprennent ce qu'ils ont lu sur la question. Certains évoquent les thèses rigoristes sur le péché et les femmes, mais d'autres ne sont pas tranchants sur la question des «72 vierges», émettent des suppositions, expriment des doutes. Mais la journaliste les oriente parfois sur la seule question des houris et des «femmes au paradis». «Toi, tu n'aimes que la femme et le vin», lance-t-elle à un comédien du théâtre amateur de Mostaganem. «Il n'y a pas que cela dans la vie», lui réplique-t-il. Le montage est fait de telle sorte que les interlocuteurs de Nedjma à Mostaganem paraissent en majorité favorables aux propos de l'imam saoudien radical. Les voix de la rue sont contrées par des paroles «savantes» d'écrivains, d'artistes et d'intellectuels connus pour leurs positions contre le radicalisme religieux, mais qui disent la même chose en utilisant de mots différents. Pour la romancière Maïssa Bey, les djihadistes vont être dispensés «de tout examen de passage» vers le paradis. «On empêche les gens de réfléchir sur les questions spirituelles. Le paradis est devenu aujourd'hui un produit de consommation», a-t-elle estimé. «La crèche et le socialisme» La chanteuse Souad Asla a vivement réagi à la vidéo du prêcheur saoudien qui détaille les attributs physiques des houris. «On ne parle pas comme ça du paradis. C'est de l'incitation à la violence. Cet homme ne doit pas exister. Il doit être envoyé rapidement au paradis ! Il devrait mourir pour retrouver ses 72 vierges», a-t-elle lancé. Kamel Daoud, chroniqueur et auteur, a une idée sur le paradis : «C'est un endroit où il n'y a pas de coucher de soleil. Il n'y a que des levers de soleil. Tout y est gratuit. C'est un espace de déambulation. Je n'ai pas à travailler. Pas de chroniques, pas de textes, pas de salaire à attendre. C'est quelque chose entre la crèche et le socialisme.» «J'aime bien ce concept compensatoire de la vie. Le plus grand drame du paradis, c'est l'ennui», a-t-il ajouté. Pour lui, le paradis n'est pas fait pour les femmes. «Les femmes doivent y constituer un syndicat. Elles n'auront plus d'époux. Les époux vont se consacrer aux 72 vierges (...). Là où la femme est maudite, les peuples sont sauvages», a-t-il proclamé. Selon lui, la culture wahhabite s'étend. «Nous sommes dans la situation de l'autodafé inversé. L'autodafé, c'est brûler les livres. Maintenant, nous avons un livre qui brûle le monde», a soutenu Kamel Daoud. Parle-t-il du Coran ? Pas clair. Sarah Haidar, journaliste et écrivaine, n'est pas loin des opinions de Kamel Daoud. «Sans être intolérante ou extrémiste, je n'arrive pas à comprendre comme un être humain doué d'un minimum d'intelligence peut croire à cela. Je peux comprendre le besoin de spiritualité, mais pas jusqu'à réduire toute cette notion de divinité et de croyances à un cortège vulgaire de prostituées halal éternellement vierges. Des récits loufoques. Il y a des milliers de gens qui croient à cela et qui sont capables de tuer et d'être inquisiteurs», a-t-elle relevé. Pour elle, la liberté est antinomique avec les règles religieuses. «Après les années de terrorisme en Algérie, on devrait avoir normalement un peuple athée !» a-t-elle estimé. Et pour parler des écrits sur l'islam, Boualem Sansal, romancier, cite Voltaire ! «Nous n'avons pas su faire la réforme de l'islam. Depuis des siècles, rien n'a bougé. Alors, soit on quitte cette religion, soit on la réforme si on y tient. On ne peut continuer comme cela», a-t-il souligné. Le livre d'Hitler Le documentaire, tourné en noir et blanc, se perd ensuite dans plusieurs sujets. La mère de Nedjma (Aïda Kechoud) parle de Mein Kampf, le livre d'Adolf Hitler qui était vendu au Salon international du livre d'Alger (Sila). «Comment ose-t-on vendre un livre pareil ?» a-t-elle lancé. Un passage qui n'a aucun rapport avec le film, à moins que Merzak Allouche suggère que l'islamisme radical est l'équivalent du nazisme alors que le film est censé s'intéresser au paradis. S'éloignant davantage du sujet, le cinéaste s'est intéressé aux intellectuels algériens assassinés dans les années 1990 à travers l'exemple de Tahar Djaout. Le film plonge ensuite pour aborder «la question féminine». Merzak Allouache a tenté péniblement d'équilibrer son film en faisant parler un imam et un homme de religion de la région du Touat-Gourara. Nedjma s'est déplacée à Timimoun où elle a eu des difficultés à faire parler les femmes sur la question du paradis. Cela sentait la mise en scène. L'imam de Timimoun, qui n'a pas eu tout le temps nécessaire pour développer sa réflexion, a évoqué les gens de la Sunna et du Livre «qui savent ce qui est bon pour eux et ce qui est mauvais». Il a appelé à s'appuyer sur le Malékisme qui prône l'islam modéré, précisant que «le peuple algérien est conscient des mauvaises interprétations de l'islam». Nedjma a tenté de contacter le prédicateur extrémiste Hamadache et le prédicateur cathodique Chemseddine. Les deux n'ont pas accepté de témoigner devant la caméra de Merzak Allouache. Pourquoi Hamadache et Chemseddine ? Sont-ils les représentant exclusifs de l'islam en Algérie ? Sont-ils des voix crédibles ? «C'est un docu-fiction. Dans la fiction, je donne ma vision sur les années que nous avons vécues, sur les assassinats. J'étais en retrait, nous avons beaucoup improvisé. Par rapport à mes autres films, je ne me suis plus occupé de la caméra. Je me suis retrouvé avec plus de 3 heures de matière. J'ai effacé beaucoup de personnes. J'avais un choix à faire. Je ne fais pas dans la censure, j'ai essayé de faire un peu d'équilibre. J'ai enlevé des ‘‘choses négatives''. J'ai donné la parole à des écrivains et des artistes. Ils ont le droit de s'exprimer. Ils ont le courage de dire des choses devant la caméra. Je prends la responsabilité du montage et de signer de films», a expliqué Merzak Allouache qui a tourné le documentaire en une douzaine de jours. «Le paradis pour moi est un prétexte pour parler de la femme. Il y a plus de femmes que d'hommes qui parlent dans le film», a-t-il noté. Merzak Allouache a proposé d'offrir gratuitement le documentaire aux chaînes de télévision algériennes qui souhaitent le diffuser.