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Les divergences théoriques chez Alice Cherki
Pour que l'évidement aboutisse à une évidence
Publié dans El Watan le 31 - 08 - 2017


Par Amîn Hadj-Mouri
Docteur en psychopathologie-psychanalyste
«Il n'y a pas d'univers quantique. Il n'y a qu'une description mécanique quantique abstraite. C'est une erreur de croire que la tâche de la physique est de découvrir comment est la nature. La physique concerne ce que nous pouvons dire de la nature.» Niels Bohr (cité par Manjit Kumar in Le grand roman de la physique quantique. Ed. F lammarion 2008).
«Nous ne pouvons pas faire d'observations sans perturber les phénomènes.» Werner Heisenberg (Ibid.)
«Le signifiant n'est pas le phonème. Le signifiant, c'est la lettre. Il n'y a que la lettre qui fasse trou.» Jacques Lacan (Conférences et entretiens dans les universités américaines. Scilicet 6/7. Ed. Du Seuil)
Il est d'emblée nécessaire de préciser que mettre au jour des divergences théoriques importantes avec Alice Cherki signifie respecter le «discord» inhérent au discours analytique, lequel discord n'exclut nullement la respectueuse affection que je lui voue. Je m'efforcerai dans cet écrit d'étayer le mieux possible ces différences.
HISTOIRE NATIONALE ET SUBJECTIVITé
Nonobstant la désagréable métaphore du «crabe», qu'Alice emploie pour désigner le mal qui l'affecte, c'est avec un plaisir certain que je me suis plongé dansla lecture de son ouvrage, Mémoire anachronique. Lettre à moi-même et à quelques autres (Editions Barzakh. Alger 2017). Elle nous offre des souvenirs marquants, liés à la grande Histoire, dans laquelle s'inscrit et prend place la sienne propre, avec toutes ses particularités et les significations qu'elles prennent au fil du temps. Et même si l'anachronie est annoncée, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une chronique de «Ana» (moi, je, en arabe classique et en arabe algérien : pronom personnel spécifiant un état «Inni» (je suis) en arabe classique et «Rani» (je suis) en arabe algérien) qui, derrière les énoncés qu'il met en avant, permet tout de même au sujet de s'adonner à quelques épiphanies.
Si Alice réprouve l'expression convenue de «Guerre d'Algérie», je ne trouve pas que l'expression qui a sa préférence, celle de «Guerre franco-algérienne», soit plus pertinente sur le plan sémantique, dans le sens où cette guerre était menée par un Etat qui était disposé à mettre son pouvoir et sa puissance au service de forces économiques et politiques, dont les visées de pillage et de spoliation des ressources locales, «indigènes», se dissimulaient derrière des idéologies «civilisatrices» et des conceptions humanistes, voire philanthropiques, qui, à terme, se sont vu contredites, mettant au grand jour la finalité perfide du système colonial, soutenu et défendu par des forces au sein des deux sociétés.
En l'occurrence, aucune unanimité, au sein de quelque «camp» que ce soit !
Même si l'aspect ethnique et/ou confessionnel y était inclus, il demeurait mineur : l'appartenance ethnique et/ou confessionnelle n'a jamais été un obstacle pour ceux qui ont pris le parti de lutter pour l'indépendance de l'Algérie, et ainsi d'embrasser en quelque sorte cette algérianité humble et généreuse, qui a su accueillir un Frantz Fanon, entre autres. L'essentiel résidait dans le fait que l'impérialisme «occi(re)dental», nourri par l'avidité et la rapacité criminelles du système capitaliste, devait passer outre, lorsque la plus-value n'était plus assez garantie ou maximisée, à toutes les arguties humanistes qu'il pouvait par ailleurs encourager, avec l'aide d'idéologues patentés et mondialement reconnus, comme Albert Camus, par exemple, dont la logique partitive faisait bien écho à celle de certains «leaders» de la lutte pour l'indépendance.
La participation et l'engagement actif d'Alice à la lutte de libération de son peuple, de ce peuple auquel elle appartient «naturellement», avec lequel elle fait corps, lui donnent tout à fait le droit de s'opposer et de renvoyer à leur paranoïa, certains de ces «héros de la Révolution», véritables ersatz et «clones», continuateurs du système colonial, qui ont réclamé qu'elle demandât «la nationalité algérienne pour services rendus à la Révolution algérienne».
Elle a eu raison, ô combien, de «s'indigner devant la bêtise» (P.112) de ce genre d'illettrés (au sens où ils bafouent «la lettre» qui, seule, «fait trou», comme l'indique la citation de Lacan, mise en exergue de cet écrit), dont la victoire sur «La France» a exacerbé la mégalomanie et la surestimation de soi, au point que leur pouvoir et leur toute-puissance, désormais recouvrés, les identifient à certains de leurs prédécesseurs coloniaux, persécutés, chaque fois que leur infatuation est ébranlée ou dérangée. Certains d'entre eux sont d'ailleurs passés maîtres en humiliations sadiques et perverses, dès qu'ils sont confrontés à leur propre altérité, et partant, à leur défaut constitutif, qui les rattache inexorablement à cette condition indépassable, mais insupportable pour eux : celle d'être parlant, assujetti à la parole, quel que soit le pouvoir qu'ils s'arrogent. S'ils sont «illettrés», c'est parce qu'ils croient que le pouvoir, quelles que soient ses formes, peut vaincre la dimension de l'impossible, signifié par la parole, et que la lettre vient concrétiser en nommant et en donnant existence.
L'IMPRéDICATIVITé DE L'INCONSCIENT EST POLITIQUE
Le comble, si j'ose dire, c'est que cet «illettrisme» est contagieux ! Il infecte même certains «Dieux de l'Olympe progressistes» qui, enserrés dans le discours universitaire, se heurtent à cette impossibilité -refoulée- du savoir -au sens de l'addition et de l'accumulation des connaissances-, à en finir avec le manque à être. A l'image de ceux auxquels ils s'opposent, ils sont enfermés dans la même logique que celle qu'ils croient dénoncer, qui vise, elle aussi -même si c'est sous des formes très différentes- la suture de ce défaut structural, inhérent à l'être parlant. Parce qu'il parle, celui-ci rate et manque son être définitivement, gagnant ainsi l'«ex-sistence» subjective, qui vient le lui rappeler, même lorsqu'il n'en tient pas compte (refoulement secondaire). Au besoin, le symptôme subjectif vient à la rescousse pour le lui rappeler avec insistance.
Toutes les tentatives de suture de la «béance» qui nous «cause» et nous fonde comme êtres parlants, nourrissent un impensé, propice à «l'illettrisme», d'autant plus réactionnaire, qu'il se croit «réaliste», confondant allègrement objectivité et réification. Elles mettent en œuvre une prédicativité fétichisant un attribut, qui débouche sur une «idolêtrie» mortifère. Cette prédicativité paroxystique, paradigmatique de l'obscurantisme, s'appuie sur le rejet du primat du signifiant, à l'œuvre aussi dans des conceptions qui lui sont opposées. C'est un des aspects de cette problématique que j'ai abordé dans l'ouvrage collectif : Algérie, années 90 : politique du meurtre. (Ed. Lysimaque 1998), à propos duquel j'avais participé, avec Alice, à une émission de Radio J, à Paris, animée par Laurence Croix.
Nos échanges m'avaient si peu intéressé que j'en ai oublié la date exacte ! En effet, j'aurais aimé, alors que la radicalité d'Alice quant à son engagement pour l'indépendance de l'Algérie soit identique à celle qu'il aurait fallu mettre en avant pour préserver le discours analytique de sa dégradation épistémologique, et l'inconscient de la dévalorisation constante que lui assènent les conceptions médico-psychologiques, dont l'aliénisme fondamental transparaît toujours à un moment ou à un autre, malgré les spéculations et les enfumages rhétoriques et cosmétiques. Ainsi, elle rejette ce qu'elle appelle «l'identité une» au nom d'une conception sommaire de l'un et de l'unité, à laquelle elle oppose l'idéal de la pluralité, qui s'avère être aussi une autre voie d'accès au tout et à l'intégralité.
Elle ne tient pas compte à mon sens du développement que nous offre Lacan quant à «l'unarité», qui permet d'identifier tous les êtres à leur condition de parlant, qui les fait manquer leur être, quelles que soient les parades qu'ils trouvent pour continuer à y croire et à se convaincre de leur unité factice, fondée en vérité sur une division irrémédiable, qui instaure une altérité intime, confirmant la «béance causale», considérée comme humiliante par le moi.
ALIéNISME ET HYGIéNISME : MISE EN FAILLITE DU SUJET
Toute quête de complémentarité témoigne en définitive du ratage de la complétude, qui confirme le défaut essentiel et indépassable, propre à la subjectivité. C'est contre cette structure que se battent jusqu'à en mourir, ceux que j'ai appelés les «idolêtres», et qui veulent faire d'un attribut (ethnique, religieux ou autre) le garant d'une totalité, démentant la division du sujet qu'ils cherchent à mettre en échec, quitte à en périr, pour ne plus avoir affaire à elle. Alors que «l'idolêtrie» accompagne la psychose sociale et l'aggrave, le défaut, lui, est civilisateur en tant qu'il met un terme à toute illusion de complétude à vocation mortifère. Quant à la pluralité et au pluralisme, promus valeurs suprêmes de la modernité, s'ils consistent à poursuivre la même convoitise, ils déboucheront immanquablement sur des drames individuels et collectifs, comme nous l'enseigne assez l'histoire de «l'Occi(re)dent».
Cette pluralité est souvent invoquée pour refouler -en tentant de le suturer- le vide, qui est à leur origine. Nombre de tenants du pluralisme, identifié à la «démocratie», sont profondément hostiles à cette dimension du vide, qu'ils tentent d'obturer par la variété et la pluralité des conceptions, qu'ils délient de leur détermination signifiante. Cette pluralité, identifiée au nec plus ultra de la «démocratie», se développe, et reste grosse du phallus (totalité) imaginaire.
Elle promeut un amour du tout, dont les conséquences totalitaires ne se font pas attendre longtemps. Parmi ces «démocrates», se trouvent maints fossoyeurs de l'inconscient et autres détracteurs du discours analytique, qui ne supportent pas non plus la temporalité spécifique, mise en œuvre par la subjectivité. La chronologie linéaire, fidèle aux conceptions psycho-génétiques mettent l'accent sur l'évolution et les «régressions archaïques» (P.111). Elles mettent ainsi au jour leur méconnaissance et leur refoulement de cette temporalité, propre à l'inconscient, qui se manifeste dans tout énoncé, à savoir la «présentification de l'absence», c'est à dire l'absence de sens univoque, accolé à un énoncé, susceptible dès lors d'être interprété de manières différentes grâce à l'omniprésence de l'écart structural qui existe entre une fiction et ce qu'elle veut dire, et ce qu'elle tente de signifier.
Cet écart par lequel s'échappe le sens, est abhorré par les conceptions médico-psychologiques, nourricières de l'aliénisme, dont une des caractéristiques, du fait même qu'il procède du discours universitaire, consiste à confondre l'individu avec le sujet (de l'inconscient).
Grâce à la spécificité de sa négation, incluse dans le terme même d'inconscient (in), celui-ci ne saurait exclure le conscient auquel il est noué et articulé selon un principe logique, qui pose que l'un ne va pas sans l'autre, et inversement. Cette mise en continuité bat en brèche l'aliénisme et ses tendances hégémoniques, ainsi que l'hygiéniste, toujours prompt à édicter et à imposer des normes, au nom d'un savoir dit scientifique, adapté à l'aliénation sociale et placé à son service.
En effet, l'hygiénisme, associé à l'aliénisme, entretiennent l'illusion de «purifier» le moi des apories de l'inconscient, sans lequel il n'existerait pas. Ils prétendent préserver -pour leur bien-être- les êtres parlants, des traumatismes engendrés par le «troumatisme» du signifiant, qui les assujettit définitivement, à l'ordre symbolique, et contre lequel ils ne peuvent rien.
L'inconscient permet d'abandonner cette croyance en une réalité extérieure, où les phénomènes «naturels» se déroulent en adéquation et en conformité avec les lois de la nature, indépendamment de tout interlocuteur.
Considérer que la réalité objective est indépendante de tout rapporteur qui la relate, et partant lui confère une existence, permet à la causalité classique de prospérer, au détriment de la vérité. En affirmant que «Dieu ne joue pas aux dés», Einstein «succombait», lui aussi, à cette conception ontologique de la réalité, indépendante du locuteur/sujet, qui en rend compte. Il considère que «c'est un principe de la physique de supposer l'existence d'un monde réel indépendamment de tout acte de perception. Mais nous ne le savons pas».
Aussi, plutôt que de «boucher» les trous de la séméiologie psychopathologique en recourant à la psychanalyse, (cf. ses différentes considérations sur les «traumatismes psychologiques ou psychiques») qui se voit du coup dégradée et corrompue en se mettant au service d'une aggravation de la réification, vaudrait-il mieux prendre appui sur la logique de l'inconscient pour évider le discours universitaire, et réduire autant que faire se peut, la réification et la chosification «réalistes» des théories médico-psychologiques, qui refusent le signifiant et la polysémie qu'il nourrit au profit du signe qui requiert un savoir pour mettre au jour son sens.
Ce sens qui appartient à un savoir, de quelque nature qu'il soit, se passe de toute parole et de toute référence au sujet. Son pouvoir de suggestion aggrave la prédicativité en même temps que l'aliénation sociale. Cette aliénation prétend mettre hors-la-loi l'interdit structural, c'est à dire l'interdit de l'inceste qui imprime sa structure à celle du signifiant en tant qu'il est constamment séparé du signifié. De cet écart, inhérent au symbolique, procède la dimension du réel, qui met en œuvre un échappement, source de fictions diverses et multiples servant à le métaphoriser et à le concrétiser.
LE RéEL EXCèDE TOUS LES EXCèS IMAGINAIRES
La pluralité des modalités de rejet de l'hérésie, induite par l'inconscient, confirme que la féminité, intrinsèquement liée au sujet (de l'inconscient), n'est d'aucune façon respectée et mise en évidence, faute d'avoir consenti à une «coupure épistémologique sérieuse», telle que celle qui s'est opérée en physique : entre la physique classique soutenue par Einstein, et la physique quantique développée par Niels Bohr. Si la pluralité se résume à additionner et à rassembler des conceptions, certes différentes, mais refusant la négation -propre au sujet de l'inconscient-, alors le «pas-tout» (Lacan), inhérent à la féminité et à la vérité n'adviendra jamais. Le seul souci qui vaille aux yeux de ces théories fomentées par et pour le moi, va consister, grâce à ce «pluralisme», à désigner un moyen d'accès plus séduisant à cette complétude ou ce tout unifié, sans division, qui fait radicalement défaut aux êtres parlants.
Aussi, ce dernier n'est-il plus l'apanage des intégristes et autres fanatiques, fascinés par l'hégémonie du moi et la suprématie de l'être, qu'ils croient posséder en s'accaparant un attribut ou un prédicat idéalisé, autour duquel ils se regroupent pour mieux refuser l'inconscient et la subjectivité, qui, elle, est une. Et parce qu'elle est une, elle engendre de multiples expressions, qu'aucune -quelle que soit la force de son refoulement- ne parviendra à maîtriser ou à éliminer. L'opposition à ces errements totalitaires et l'antinomie que voudrait représenter, voire incarner face à elles, la «démocratie», entendue comme pluralisme et cohabitation de conceptions différentes, est très insuffisante dès lors que le primat du signifiant est bafoué au nom du réalisme.
Dans un tel contexte, la féminité qui procède de la négation propre à l'inconscient, et qui la confirme, ne peut s'associer aux projets imposés par le moi et soutenus par les idéologies visant la complétude.
Ainsi, «l'occi(re)dentalisation» débilitante qui obscurcit, voire enténèbre, les «lumières» dont elle se pare, est «tout contre» l'ontologie ethno-confessionnelle dont s'emparent les fanatiques «idolêtres» pour «se vautrer» et «patauger» dans le marigot mortifère de la complétude et de la vaine mise en échec de l'ordre symbolique.
En présentifiant constamment ce dernier et en le matérialisant, l'inconscient, grâce au primat du signifiant, permet à certains de s'affranchir des débats stériles entre objectivité (monde extérieur) et subjectivité (monde intérieur), au grand dam de ceux qui composent le «Cercle des Béatitudes» dont les résistances, dressées contre l'inconscient, se voient renforcées par les «oracles progressistes», provenant de défenseurs d'un entendement, exclusif du tiers, c'est-à-dire du vide, dont l'absence est toujours présentifiée par l'émergence d'une dimension : celle du réel, fondateur de l'impossible.
Ce dernier renvoie tous les êtres parlants, et chacun d'eux, à une dysharmonie incurable et une altérité irrémédiable, concrétisées par les manifestations de l'inconscient. Il se caractérise par un défaut constitutif dont la nécessité se remarque à travers l'«ex-sistence» de chacun, qui se déroule et se développe sur fond d'incomplétude, mobilisatrice de son désir, dont la singularité consiste à s'opposer à toute satisfaction préétablie a priori, et à mettre en échec tout plaisir prescrit et programmé à l'avance.
A la recherche d'une prédicativité idéale, exclusive de l'imprédicativité liée au signifiant, et refusant l'indécidabilité, les «progressistes» paresseux, s'identifiant eux-mêmes à la «belle âme», ont encore de beaux jours devant eux pour se contenter de protester et de dénoncer, à l'image des hystériques, toujours en quête d'un maître, détenteur d'un savoir absolu, capable de suturer l'incomplétude du symbolique, issu de cette Loi essentielle : l'interdit de l'inceste. Ce «progressisme» pervers qui fait fi de cet interdit se heurtera inévitablement à d'autres conceptions, dont la visée consiste à substituer à cet interdit d'autres interdits et d'autres commandements, qui auront pour but d'en finir avec cette loi.
En même temps que se développent la «folie de la guérison» (Lacan) et les pouvoirs ensorceleurs de suggestion, qui rassemblent des universitaires-charlatans, des «guezzanettes» et autres «spécialistes de la santé mentale», prescripteurs de molécules chimiques occlusives de la subjectivité, ainsi que -last but not least- des experts en divinations et mancies de toutes sortes, la course à l'inceste est ouverte, au détriment de certains rapports sociaux, isolés et confinés à certains ilôts de la société.
A la faveur de ces rapports, certains tentent, malgré tout, de maintenir un certain respect de cet interdit, préservant de la sorte une «urbanité» et une «civilité» de bon aloi. Associé au défaut indépassable qu'il met en place en chaque être parlant, cet interdit essentiel, voire transcendantal, devient le moteur d'un progrès qui cesse de se confondre avec les efforts déployés pour suturer et boucher l'écart qu'il instaure lui-même, de façon définitive et irréversible. Il permet d'éviter bien des asphyxies et des étouffements, toujours imposés pour le bien de leurs semblables par ceux qui croient détenir un savoir universel et définitif, et surtout, exclusif du sujet. Maints psychanalystes viennent apporter leur contribution à ce genre de catastrophe intellectuelle et politique : en faisant main basse sur la psychanalyse, avec le concours de l'Université et/ ou d'associations et d'officines plus ou moins recommandables, ils corrompent les concepts essentiels à la praxis analytique, pour les adapter aux besoins et aux finalités de l'aliénation sociale, en participant à l'édiction de normes et de règles qui «règlent définitivement son compte» à l'inconscient, tout en préférant le fétichisme du signe objectivé, chosifié, au signifiant, qui requiert une lecture nettement plus exigeante.
Malheureusement, Alice ne semble pas s'opposer à cette dégradation de la psychanalyse, ravalée au rang d'opération de conversion idéologique, consistant à adopter et à s'adapter au sens, prescrit par la conception obturatrice de certains psychanalystes, quant au vide qui la génère, et qui continue de la «nourrir». Dévoués à une «novlangue» aliéniste et hygiéniste, ils abrasent l'hérésie du discours analytique pour en faire une idéologie épurée de «l'âme-à-tiers» et prétendument protectrice de l'intégralité et de la souveraineté du moi. L'éradication du sujet et sa substitution par l'individu, prétendument libre et souverain, mettent au grand jour le refus de la perte irrémédiable de l'être (essence ou nature), ainsi que l'hostilité au vide, qui instaure une altérité radicale et indéracinable en chacun, dont témoignent les lapsus, les actes manqués, les rêves, ainsi que les symptômes.
Insidieusement, le rejet explicite et/ou implicite de cette altérité, sous-tend et alimente toutes sortes de manifestations racistes et xénophobes, assorties à maintes réactions xénopathiques, se traduisant par la déliaison des symptômes de leurs déterminations subjectives. L'aliénisme est une forme de xénopathie qui se manifeste dans les différentes spéculations médico-psychologiques, qui appellent à leur évidement, d'autant que les étio-pathogénies sont quasi univoques : elles ressortissent aux errements théoriques et logiques de la séméiologie psychopathologique, qui réifient le sens a priori, sans se soucier de le soumettre à l'évidement, dès qu'une particularité vient le négativer et susciter une exception, mettant en cause l'universalité «objective».
Alors que le signifiant détermine toute représentation et fonde toute interprétation, en les articulant toutes au réel, qui leur échappe et reste intangible en tant que tel. Cependant il se concrétise et se matérialise («l'âme-à -tiers» est la matière de la psychanalyse) à travers des constructions et des fictions, qui servent à le métaphoriser, sans qu'aucune d'entre elles ne parvienne à obturer l'écart qui persiste et perdure entre elles et lui, pour laisser place à d'autres productions possibles.
Cette imprédicativité signe le caractère scientifique de la psychanalyse, qui met en évidence d'une part que le réel est impossible à saisir dans l'immédiateté, et d'autre part que son absence, qui le fait toujours omniprésent (le fantôme dans le fantasme), rend nécessaires des médiations, impliquant la vérité en tant qu'elle ne peut que se «mi-dire», de façon partielle, et indubitablement «pas-toute». La structure de cette dernière l'affranchit de toute totalité, qui risque de l'achever. Seule la mort peut se prétendre toute ! C'est en quelque sorte la «seconde mort», la mort réelle qui réalise le tout, en mettant un terme définitif et sans appel à l'«ex-sistence», laquelle procède pourtant d'une «première mort», symbolique, qui métaphorise la perte de l'être, entendu comme une essence ou une nature prédéterminée, préétablie.
Pour «troumatisante» qu'elle soit, cette perte -concomitante de l'assujettissement au signifiant- est en revanche libératrice du désir, toujours conjoint au ratage et au manque à être. L'imprédicativité radicale (échec de tout attribut ou prédicat prétendant garantir la complétude ontologique), instaurée par l'inconscient, permet de mettre en évidence l'obsolescence du «progressisme» charitable, qui partage la même logique de la suture du vide et de l'exclusion de la «béance causale», mises en œuvre par les conceptions qu'il tend à supplanter. Et ce n'est certainement pas une pluridisciplinarité et une interdisciplinarité, soucieuses de maîtriser le tout, au détriment de l'intégration du vide et des négations qu'il implique, qui nous aideront à bouleverser et à subvertir l'impensé, qui ne cesse d'offrir des occasions aux retours du refoulé.
Ces derniers, qui s'expriment par différents symptômes, montrent à l'envi que si les êtres parlants sont destinés à ne pas échapper à ce qui leur échappe nécessairement, ils restent les bénéficiaires d'un «manque à être», qui est la source de leur énergie «ex-sistentielle». Soumise et malmenée par bien des aléas de l'Histoire, ainsi que par le roman fictionnel et fantasmé de chacun, qui peuvent certes la compromettre, cette énergie, appelée «libido» par Freud, ne se laisse jamais tarir complètement.


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