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L'humanisme arabe et l'Europe
1ère partie
Publié dans El Watan le 21 - 01 - 2007

En 2005, le Haut conseil de la culture égyptien publie, dans le cadre d'un vaste programme de traduction, la version en arabe de l'un des ouvrages qui ont le plus marqué la conscience européenne depuis sa parution en 1860 : Die Cultur der Renaissance in Italien de Jacob Burckhardt (1818-1897), traduit habituellement par « La culture ou la civilisation de la Renaissance en Italie ».
Dans cet ouvrage, Burckhardt - parmi d'autres - accrédite le lieu commun selon lequel l'humanisme est une invention des XVe et XVIe siècles européens. L'historien suisse alémanique qui n'ignore pas que ces deux siècles avaient été précédés par ce que l'on a, depuis, appelé la « Renaissance des XIIe-XIIIe siècles » n'accorde cependant à celle-ci que peu d'importance. Or, c'est bien du XIIe siècle latin que sont issus les deux fondements épistémiques sur lesquels repose, en grande partie, la modernité européenne : la translation studiorum et la théorie selon laquelle, en dépit de son inexorable corruption, le temps historique est porteur de progrès - ce qu'illustre la métaphore des « nains juchés sur les épaules des géants ». Selon Jean de Salisburry (1115-1180), on la doit à son contemporain « Bernard de Chartres [qui] disait que nous sommes comme des nains assis sur les épaules des géants car nous pouvons voir plus de choses qu'eux et plus distances, non grâce à l'acuité de notre propre regard ou à la haute taille de notre corps, mais parce que nous sommes élevés et maintenus en altitude par la grandeur des géants », (J. de Salisbury, Metalogicon, III, 4). Par rapport au passé, le présent est défini par Bernard comme une régression : comparés aux Anciens, les Modernes sont des nains. Leur nanisme les condamne à ne jamais surpasser ni même égaler leurs prédécesseurs. Pour autant, cette infériorité des Modernes par rapport aux Anciens ne les prive pas de tous les ressorts de l'émulation. Car ils voient plus et plus loin que les Anciens, aussi grands qu'ils aient été. C'est dire qu'en même temps qu'il exalte la grandeur des Anciens, Bernard offre aux Modernes de leur être supérieurs. Non pas tant en vertu de qualités qui leur sont inhérentes mais de l'héritage que les Anciens leur ont légué. Ainsi s'offre-t-il aux Modernes la prévoyance de le conserver ou l'inconscience de le dilapider. Quand, en raison de leur position avantageuse, une troisième possibilité les invite à le faire fructifier par le moindre de leur apport. Cette possibilité indique que le temps historique est traversé par des tensions contradictoires : d'un côté, la régression qui affecte toute chose à mesure qu'il s'écoule ; de l'autre, l'accumulation des connaissances par les générations successives, laquelle agit — dans l'ordre des choses profanes — en antidote à sa dégénérescence. Sous cet éclairage, l'humanisme européen apparaît moins comme une émanation de l'époque moderne naissante que de ces XIIe et XIIIe siècles dessillés par leur curiosité, en particulier de cet autre auquel les sources latines donnent nom d'« Arabici ».
A l'origine de l'humanisme européen : l'humanisme arabe
Aujourd'hui la filiation arabe de la culture européenne est refoulée ; et lorsqu'elle effleure, elle est déniée. Comme David cherchant désespérément auditeurs pour ses Psaumes, des philosophes tels Alain de Libera et Rémi Brague, en France, des historiens tels Dimitri Gutas et Richard Bulliet, aux Etats-Unis, relayés par des intellectuels arabes comme Edward Said et Mohammed Arkoun, en appellent depuis un quart de siècle à sa réhabilitation - en vain. En effet, bien que cet apport arabe, ou plus exactement de l'humanisme arabe, à la Renaissance européenne des XIIe et XIIIe siècles soit une réalité attestée, il est encore des historiens et des penseurs occidentaux — d'Etienne Gilson à Thomas Kuhn — qui en minimisent l'impact, en réduisant les Arabes au rôle de simple médiateurs dans la transmission de l'héritage grec à l'Europe. A leurs yeux, il va de soi que l'humanisme est une invention européenne. Dès lors, la confusion est permise entre pensée européenne et pensée universelle, comme si celle-ci était exclusive et singulière. Cette falsification est à l'origine de la mystification selon laquelle occidentalisme = modernité. A s'y fier, la modernité du monde dans lequel nous vivons ne serait que la conséquence de l'expansion de l'Europe marchande et coloniale. De ce fait, l'évocation de l'Europe deviendrait, comme le rappelle l'historien indien Gyan Prakash, « une narration universelle du progrès ». Or, si l'on sait que l'européocentrisme n'est pas cœxtensif à l'épistémè occidentale et n'en constitue qu'une formation discursive parmi d'autres, il y a — y compris du point de vue la culture européenne — le moyen d'appréhender autrement la modernité : soit comme une forme d'appropriation du monde et un mode caractéristique d'être au monde portés, ensemble, par un usage spécifique de la raison. Une telle posture déconnecte les deux figures historiques de l'occidentalisation et de la modernisation de leur prétendu lien de nécessité. Au péril du relativisme culturel et cognitif, le point de vue de l'histoire — celui de la World History — la renforce en participant à cette destitution de l'européocentrisme de ses exorbitantes prétentions. A la suite de Georges Makdisi (The Rise of Humanism in Classical Islam and the Christian West, Edinburgh University Press, 1990), son impensé arabe devient à la fois intelligible et audible, à savoir que c'est dans l'Irak du VIIIe et du IXe siècles, et non dans les villes italiennes des XVe et XVIe siècles, que l'humanisme a pris naissance. Les cités-Etats du quattrocento en ont été les héritières, grâce aux milieux auxquels appartenaient les théoriciens latins du progrès de la connaissance et de son transfert d'Orient en Occident comme ceux dont les idées sont consignées dans la Chronique de Othon de Freising (m. 1158). Effectivement, les sources arabes témoignent que l'humanisme arabe a été conçu dans les termes grâce auxquels son homologue européen s'est laissé bâtir quatre siècles plus tard… Quand les Arabes s'instituaient dépositaires du patrimoine universel Au moment où la Tradition vivante cède le place à la Tradition écrite, offrant à celle-ci d'inaugurer un nouveau rapport à son propre passé, la culture islamique profane découvre l'existence d'un passé plus englobant qui ne concernait pas uniquement les Arabes et les musulmans, ni même les autres détenteurs de livres révélés, mais l'ensemble de l'humanité. Ce rapport inédit au passé a commencé à se constituer, dans certains milieux sociaux liés à la Cour, vers le milieu du VIIIe siècle. A travers lui, la culture arabo-islamique a pu faire jonction avec la mémoire scripturaire universelle et à se poser, par la même occasion, en dépositaire de son héritage scientifique. Cette nouvelle altérité fondatrice est illustrée dans les vestiges iconographiques par l'une des fresques du palais umayyade de Qusayr 'Amra. Intitulée « Les Six Rois », la fresque en question visualise la notion connue dans l'Antiquité tardive de « famille des rois » liant les souverains du monde entre eux par une relation de parenté spirituelle selon les uns (pneumatikos est le terme utilisé par certaines sources grecques), physique selon d'autres (les rois du monde sont tous frères, selon de nombreuses sources iraniennes). La scène représentée n'a pas de mérite artistique particulier, et les spécialistes en discutent de nos jours pour savoir qui, de Byzance, de l'Iran ou même de l'Asie centrale, a eu un rôle prépondérant dans son élaboration (G. Fowden, Qusayr 'Amra : Art and the Umayyad Elit…, University of California Press, 2004). Son enjeu visuel est ailleurs ; il est dans l'indication de l'un des objectifs des premières images islamiques, à savoir : « illustrer que la nouvelle culture avait la conscience et le sentiment d'appartenir à la famille des souverains traditionnels de la terre » (O. Grabar, La formation de l'art islamique, Paris, Flammarion, 1987, 70-71). Les sources littéraires semblent, pour ce qui les concerne, attester que cette conscience était, à la fin de l'époque umayyade au moins, politiquement partagée au plus haut niveau. Dans des vers attribués à Yazîd II, l'éphémère calife se crée de toutes pièces, en 744, des ancêtres imaginaires : « Je descends de Khosrô et mon père est Marwân [l'ancêtre de la deuxième branche de la dynastie umayyade] ; César est mon grand-père et je suis le petit-fils du Khâqân [de Chine] ». Plus tard, son successeur Marwân II, pourchassé par les troupes abbassides, pense traverser le Taurus et demander refuge dans la première ville byzantine. Au rapport de l'encyclopédiste irakien du Xe siècle, Mas'ûdî, le calife aurait confié à ses conseillers : « Là, j'écrirai au souverain des Rûm et je m'assurerai de sa protection ; plusieurs rois de Perse ont ainsi agi ; [une démarche de] ce [genre] n'est donc pas déshonorante pour un prince. » D'où le calife musulman tenait-il cette « expérience » qu'il voulait rééditer ? De sa lecture des livres d'histoire. Lecteur insatiable, il n'a cessé de lire : « Jusqu'au milieu des périls, ajoute la même source, Marwân a poursuivi la lecture de la chronique des rois de Perse et étrangers ; il a étudié leur histoire et leurs campagnes. » Pour s'approprier l'héritage politique et militaire des rois d'autrefois, les derniers Umayyades ont commandité des traductions du persan et du grec à l'arabe. Non négligeable, le résultat est cependant resté modeste. Car le mouvement de translation de l'héritage antique n'a pris de l'ampleur qu'à l'avènement des Abbassides. Néanmoins, les livres comme instruments de gouvernement ont fait leur apparition, dans la culture arabe et islamique, grâce aux Umayyades. D'où les multiples continuités que l'on peut observer, ci et là, dans le fonctionnement de la Cour comme institution culturelle sous les derniers Umayyades et les premiers Abbassides. Comment ce nouveau rapport au passé d'avant l'avènement de l'islam a-t-il pu trouver justification dans une culture qui n'était que passablement acquise à l'écrit et dont elle avait, jusqu'ici, circonscrit l'usage particulièrement aux sphères du politique et du religieux ? Nous ne saurons répondre à cette question tant qu'aucune source d'époque umayyade n'est venue nous l'expliquer. En l'absence d'une telle découverte, nous devons nous contenter des sources postérieures, c'est-à-dire abbassides. À l'époque d'Al Mansûr (754-775) exerce à la Cour abbasside un scribe d'origine persane en qui on peut voir l'un des principaux fondateurs de la prose arabe : Ibn Al Muqaffa' (exécuté pour hérésie en 762 ou 772). Cet écrivain politique fait partie de la génération de lettrés qui ont fait le lien entre l'époque umayyade et l'époque abbasside. Il est l'élève d'un scribe umayyade considéré comme le maître du genre épistolaire arabe. A une date, qui est à situer entre 754 et 762, Ibn Al Muqaffâ, compose - c'est sa fonction d'intellectuel organique de cour qui l'exige - un « miroir au prince » pour son maître, le premier du genre jamais écrit en arabe et dans lequel est précisément reformulé ce nouveau rapport au passé. L'écrivain abbasside attaque d'emblée son épître par une description des hommes du passé où ces derniers sont affublés d'une corpulence supérieure à la « nôtre » et dotés, de surcroît, d'un esprit plus puissant - en somme des Goliath avec l'intelligence de David. Car ces hommes qui étaient plus fort que « nous », tant physiquement qu'intellectuellement, étaient naturellement capables d'une plus grande maîtrise dans la réalisation de ce qu'ils entreprenaient. Et comme ils jouissaient d'une espérance de vie plus longue, ils s'assuraient d'une meilleure expérience des choses. Leurs savants étaient plus versés dans la connaissance et leurs souverains plus experts dans l'art de gouverner. C'est pourquoi ces hommes ont pu se caractériser, dans tout ce qu'ils entreprenaient, par le fadl, une valeur virile alliant le « mérite » à la « supériorité ». C'est précisément parce qu'ils étaient « vertueux » qu'ils « nous » ont fait partager les connaissances qu'ils avaient acquises et accumulées sur le monde terrestre et celui de l'au-delà. Ainsi avaient-ils rédigé des livres « qui nous sont restés ». C'étaient des gens de l'écrit. A ce titre, leur empressement à « nous » transmettre leur savoir était tel que lorsque l'un d'eux, « se trouvant dans une contrée inhabitée », voyant s'ouvrir à lui la voie de la connaissance, il s'empressait de graver sa découverte à même la pierre, de peur que sa trouvaille fût à jamais perdue pour les générations futures. Car ces hommes avaient beau avoir une vie prodigieusement longue (c'étaient des macrobiotes), ils se savaient mortels. Ils ne se contentaient, par conséquent, jamais de se fier, pour la préservation de leurs connaissances les plus importantes, à leur (seule) mémoire. Qui peut donc, mieux que quiconque, se soucier de ceux qui viendraient après lui ? Celui qui se comporte de manière responsable. Or, par leur souci de transmission, les « Premiers » (awâ'il) ont agi à l'égard de
ceux qui leur ont succédé - c'est-à-dire « nous » - avec la compassion, la bienveillance et la sollicitude d'un père bon pour ses enfants, « un père qui rassemblerait à leur intention richesse et biens immobiliers, par souci de leur épargner l'épreuve d'avoir à les rechercher eux-mêmes, et par crainte de les voir échouer dans cette entreprise ». En même temps qu'ils ont été des figures admirables de la paternité, les « Premiers » se sont acquittés de manière exemplaire du rôle que leur conférait leur magistère. « Nous » ne sommes donc pas que leurs enfants chéris, « nous » sommes également leurs élèves. Les pères exceptionnels qu'ils furent ont été des maîtres remarquables. Ils sont les « premiers » maîtres. Position qu'ils ont acquise non pas tant du fait qu'ils nous ont précédés que parce qu'ils étaient qualifiés pour la primauté et l'excellence. N'ont-ils pas tout dit et n'ont-ils pas traité « de tous les sujets » ? Les premiers, n'ont-ils pas vanté la grandeur de Dieu ? Les premiers, n'ont-ils pas affirmé l'insignifiance du monde d'ici-bas ? En effet, mieux que quiconque, ils ont explicité les moyens d'accéder à la connaissance ; avant quiconque, ils ont recensé « les différentes disciplines du savoir » qu'ils ont méthodiquement réparties en « catégories et subdivisions ». Alors que reste-t-il à faire aux enfants-élèves ? En un sens, pas grand-chose. Les « Premiers » ont réglé toutes les questions d'importance. En un autre sens, beaucoup. Tant le savoir est inépuisable. Les Modernes peuvent donc légitimement exercer leurs talents sur ce qui découle de l'« auguste enseignement » de leurs maîtres. Ces pères bienveillants, ces maîtres impeccables étaient et se savaient des mortels. A leur disparition, ils sont devenus physiquement absents aux vivants se réclamant de leur paternité et de leur enseignement. En effet, les morts appartiennent au monde invisible, les vivants au monde visible. Comment établir la communication entre ce qui est absent et ce qui est présent ? Comment nouer des liens avec le monde invisible, lorsqu'on appartient au monde visible ? En présentifiant l'absence et en rendant visible l'invisible. Selon les néoplatoniciens, le meilleur de l'homme c'est son âme dont le corps et le « monde » sont la double prison. C'est donc elle qui doit être re-présentée. On doit, pour la médiatiser, se préoccuper de lui procurer la meilleure enveloppe corporelle possible après que la « demeure du corps », en proie à la pourriture et à la décomposition, est devenue poussière. Le meilleur réceptacle pour accueillir l'âme est - assurément - l'écriture. Alors, dit Ibn Al Muqaffa', les « Premiers » ont inventé les livres pour nous consoler de leur disparition et pour, grâce à leur lecture, avoir « le sentiment de s'entretenir directement avec eux et d'entendre leurs enseignements ». A l'époque, cette théorie des « deux corps » d'un autre gendre a trouvé crédit auprès de son compatriote de Basra, le grammairien Yûnus b. Habîb (m. 183/799), qui considérait la science d'un homme comme une partie de son âme et le livre comme son réceptacle le plus noble mais également le plus sûr. Pour asseoir leur autorité sur les textes sacrés, les ulémas contemporains ont eux-mêmes mesuré l'intérêt de disposer d'une telle théorie. Ils ont - comme il se doit - fait du corpus de la Tradition l'enveloppe corporelle du Prophète.
(A suivre)
Texte de la conférence prononcée le jeudi 18 janvier 2007 au forum Les Débats d'El Watan sur le thème « Les Arabes et le sens de l'Histoire »
Les intertitres sont de la rédaction


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