Il y a à peine quelques mois les déclarations fracassantes de Yahoo puis de Facebook portaient sur la scène publique un différend commercial sur l'exploitation de brevets. En proie à des difficultés sur le plan de la conduite stratégique de son groupe, Yahoo a porté plainte en mars dernier contre Facebook en affirmant que "pour une large part de la technologie sur laquelle Facebook est fondé, Yahoo ! y était arrivé en premier, et a en conséquence obtenu des brevets pour protéger ces innovations". Yahoo ! souligne notamment que "tout le modèle de réseau social de Facebook, qui permet aux internautes de créer des profils et de se connecter avec, entre autres, des gens et des entreprises", repose sur une technologie qu'il a déposée. Yahoo ! a en outre ajouté deux brevets aux dix qu'il accusait déjà Facebook d'usurper. Facebook, qui est en train de préparer son entrée en Bourse, a riposté au début du mois en portant plainte pour des motifs similaires. "Nous sommes en désaccord avec les dernières affirmations (de Yahoo !) et continuerons à nous défendre vigoureusement", a souligné vendredi le porte-parole de Facebook. Mais la réponse de Yahoo ! revient surtout à accuser Facebook d'acheter des brevets pour s'en servir comme des munitions dans leur bataille. "Facebook a acheté et fait valoir des brevets compromis par un comportement inéquitable", accuse M. Smith. "En outre, Facebook défend des brevets récemment acquis contre des aspects des produits Yahoo ! pour lesquels il existe peu d'informations publiques", ajoute-t-il. Peu de temps après, Facebook contre-attaque en portant à son tour plainte contre le portail internet Yahoo !, affirmant que c'est lui qui enfreint ses brevets et non le contraire. Facebook, alors en pleine préparation de son entrée en Bourse, avait admis qu'une victoire de Yahoo ! dans ce contentieux aurait un impact important sur ses résultats financiers. Facebook a porté plainte en réponse aux "décisions à courte vue de Yahoo ! d'attaquer l'un de ses partenaires et de donner la priorité aux contentieux par rapport à l'innovation", a-t-il fait savoir. Facebook accuse notamment Yahoo ! de violation de technologies déposées sur tout un éventail de produits incluant des adresses Internet de sites d'information, de jeux, de voitures, de voyages ou de partage de photos, comme Flickr. Facebook demande notamment au tribunal de rejeter complètement la plainte de Yahoo ! et d'exiger du portail Internet qu'il lui verse des dommages et intérêts en plus du remboursement de frais de justice. Après ce vif échange de « bons procédés », les deux géants, mus par leurs motivations respectives, que beaucoup d'analystes relient à leurs propres difficultés, annoncent début juillet avoir passé un accord publicitaire qui permet de passer l'éponge sur tous les différends en suspens. "Yahoo ! et Facebook ont passé un accord définitif pour lancer un partenariat publicitaire destiné à étendre leurs accords de distribution, et pour mettre fin à toutes les plaintes en cours entre les deux entreprises en relation avec les brevets", ont déclaré les deux entreprises dans un communiqué commun. L'accord permettrait notamment à Yahoo ! d'ajouter un bouton "Like" dans ses publicités, selon le site d'information high-tech TechCrunch. En outre, Facebook et Yahoo ! pourraient aller plus loin et "partager l'ensemble de leurs brevets sans échanger d'argent". "Selon les termes de l'accord, qui comprend des licences croisées sur un portefeuille de brevets, les parties vont coopérer pour" mieux promouvoir et distribuer les publicités à la fois sur Yahoo ! et sur Facebook, ajoute le communiqué. "Yahoo ! et Facebook vont également coopérer pour amener la vaste couverture d'évènements médiatiques de Yahoo ! vers les utilisateurs de Facebook, en collaborant à l'intégration du réseau social sur le site de Yahoo !", détaillent les deux groupes. "Nous sommes heureux d'intensifier notre partenariat avec Facebook et je suis reconnaissant à Sheryl [Sandberg, directrice d'exploitation de Facebook, NDLR] et son équipe d'avoir travaillé dur avec notre équipe pour parvenir à cet accord dynamique", a déclaré Ross Levinsohn, directeur général de Yahoo ! par intérim. "Le fait de combiner le contenu à valeur ajoutée et la portée de Yahoo ! [...] à Facebook fournit aux annonceurs des opportunités sans égales", a-t-il conclu. Les péripéties de dépôt de plainte puis de l'annonce de l'accord entre les deux géants ont constitué une opportunité pour les analystes de tenter de comprendre les véritables ressorts qui ont motivé l'un et l'autre des deux géants. Clairement, pour Yahoo, les observateurs y ont décelé des signes de frilosité née des errements stratégiques du groupe. La première erreur stratégique, qui est sans doute la pire, est ce rendez-vous du PDG de l'époque, Terry Semel, en 2002, avec les fondateurs de Google. Yahoo ! veut acheter Google pour 1 milliard de dollars. Puis tarde trop. Le prix passe à 3 milliards. Yahoo laisse tomber. Google vaut aujourd'hui plus de 200 milliards. En 2008, deuxième erreur majeure du portail. Alors que Microsoft offre 44 milliards de dollars pour acquérir Yahoo, Jerry Yang refuse parce que selon lui, l'entreprise vaut plus que cela. Ni son départ du poste de CEO en janvier 2009 et son remplacement par Carol Bartz ne changeront grand chose. Finalement, durant la même année Microsoft et Yahoo arrivent à un accord sur la technologie utilisée pour leur moteur de recherche (Yahoo utilisera les résultats de Bing). Au cours des années, l'entreprise n'a cessé de faire des acquisitions de services ou en lancer de nouveaux, qu'elle a ensuite souvent fini par fermer (Mybloglog, Delicious, Altavista, AlltheWeb, Yahoo Buzz,...). Fin 2011, Bartz est remerciée. Les revenus de Yahoo sont passés de 6,5 milliards en 2009 à 5,2 milliards en 2011, même si le staff du groupe a réussi à couper dans les dépenses. Pourtant 5 milliards c'est beaucoup d'argent : c'est loin d'être négligeable mais c'est insuffisant. Les analystes estiment qu'il manque à Yahoo l'essentiel : une stratégie et une vision claire. Du côté de Facebook, le tableau n'est pas plus reluisant, notamment après une entrée en Bourse plus que décevante. L'agence 33Across, spécialiste de l'analyse d'audience a publié le 3 juillet 2012 les résultats de son sondage qui dévoile comment les entreprises et agences américaines gèrent leurs campagnes publicitaires sur Facebook et les autres supports. Ce désamour est significatif selon le spécialiste de l'analyse d'audience 33Across. Depuis son entrée tumultueuse au Nasdaq, le réseau social n'attire plus les annonceurs comme il le faisait auparavant. Sur les 2200 sociétés ou marques américaines sondées, 71 % favorisent le Web à 80 % pour leurs campagnes publicitaires plutôt que Facebook. Un chiffre en hausse de 23 %. Parmi les données du mois de mars 2012 relatives à Facebook contre le "reste du Web" (Rest of Web ou ROW, en anglais), 16 % des annonceurs appréciaient tout autant le réseau de Mark Zuckerberg que les autres supports publicitaires de la Toile. Aujourd'hui, ce chiffre ne présente plus que 4 %. Le danger semble réel pour Facebook, et Allie Kline, directrice du marketing chez 33Across, met en garde : « Ce qui était particulièrement surprenant pour moi était le changement radical dans l'attitude des annonceurs et agences envers Facebook, après son introduction en Bourse. L'avenir de Facebook repose en grande partie sur les dépenses publicitaires des annonceurs - à la fois sur le web et les terminaux mobiles - et cette enquête indique qu'ils ont un certain travail à accomplir pour rétablir la confiance des annonceurs dans leurs investissements sur Facebook. »
