• Dans son livre Les maquis de la liberté, p 123-126. Alger, Enap. 1987, Robert Barrat écrit : La rigueur des temps et une certaine hostilité de la Justice militaire à mon égard me valurent d'accomplir en octobre 1960 un bref séjour dans la prison de Fresnes. Sur les quelque cinquante mille responsables et militaires nationalistes que les pouvoirs successifs ont jetés dans les prisons et les camps d'Algérie et de métropole, cinq cents environ vivent à Fresnes, certains depuis cinq ou six ans ; ils y ont formé une petite enclave de la République algérienne indépendante en terre française. Logé, le soir de mon incarcération, dans une cellule de la Division réservée aux prisonniers de droit commun, je fus réveillé le lendemain matin par un chant ample et profond. Ouvrant ma fenêtre, j'aperçus de l'autre côté des préaux des Algériens agrippés aux grilles de leurs cellules. C'était dimanche, jour de repos, et ils chantaient comme à l'accoutumée, leur hymne : Kassamen. Je ne fus pas laissé longtemps à ma solitude. Pris en charge par les responsables F.L.N., j'étais, dès le lendemain matin, changé de Division, pourvu de couvertures, de pantoufles, de cigarettes et de journaux. Des détenus venaient me serrer la main, m'apportaient les dernières nouvelles du procès du Réseau Jeanson qui venait de se terminer la nuit même (1) après 27 jours de Tribunal militaire. L'un de ces détenus s'adresse à moi : « On ne te dit pas merci car on ne dit pas merci à ceux qui font leur devoir ». Un passage à l'infirmerie, puis mon transfert à l'hôpital me permirent, en l'espace de quinze jours, de faire le tour de l'organisation F.L.N. à l'intérieur de la prison. Pratiquement maîtres de leurs quartiers depuis les grèves de juillet 1959, les Algériens avaient organisé leur existence selon un système où l'administration trouvait fort bien son compte, car il évitait toute espèce d'incident entre gardiens et prisonniers. Des responsables organisaient des cours, se chargeaient de la discipline intérieure, des travaux d'entretien et de la préparation des repas. Un journal interne, «Le Détenu », donnait des nouvelles, publiait des éditoriaux, transmettait des consignes. Pendant les récréations, des conférences d'information politique avaient lieu. Un détenu me disait : « Pour le Front, la prison est une école, le patriote algérien doit y parfaire son instruction et son éducation civique, politique et sociale. A moins que la répression ne liquide physiquement tous les nationalistes, le système se retourne ici contre lui-même parce qu'il permet le regroupement d'éléments nationalistes animés par une même foi et un même idéal… ». Pas un de ces hommes qui ne portât le poids d'un drame personnel, le souci d'une famille laissée en Algérie et dont il demeurait souvent plusieurs mois sans nouvelles. Pas un de ces hommes qui ne fût prêt à sacrifier encore plusieurs années de sa liberté, pour le triomphe de celle de leur patrie. Les Algériens de Fresnes m'apparurent des hommes libres. Je trouvai en eux des hommes sans haine. Aucun d'entre eux, malgré les souffrances endurées et l'angoisse devant l'avenir, ne prononça devant moi une seule parole de haine, n'exprima le moindre désir de vengeance contre les Français. Prêts à oublier le passé, mes interlocuteurs ne me laissèrent cependant aucune illusion sur les chances d'un quelconque compromis en cas de négociation. Ou leur revendication fondamentale d'indépendance totale serait satisfaite ou le combat continuerait. * (1) Où Denise, la femme de R. Barrat, était en train de passer en jugement, faute de preuves, le verdict l'acquitte.