Tigzirt sur mer, l'un des joyaux de la côte kabyle, entre Azzefoun et Dellys, s'est toujours prévalue d'une situation privilégiée qui la plaçait au cœur des estivants parmi l'une des destinations les plus convoitées. Et cela s'est confirmé au fil des décennies, au point où l'ancienne cité punique avec sa basilique romaine réputée s'est retrouvée entièrement bétonnée... Et Tigzirt sur mer s'est transformée, à l'instar de bien des cités, en cité dortoir... Déception. C'est le mot qui convient après notre virée dominicale. Déception à laquelle une terrible tristesse empreinte d'une nostalgie non feinte s'est ajoutée, renforçant ce sentiment de déprime qui ne nous a plus quittés depuis... Impossible de retrouver, un tant soit peu, le charme d'antan de « Iomnium » l'antique que de nombreux estivants comparaient à une petite Suisse. Nous avons été déçus dès l'entrée de la ville. A quelques mètres du barrage de police à l'entrée ouest, un bar restaurant créait un embouteillage inacceptable qu'aucune autorité ne semblait vouloir ou pouvoir contenir. Des poubelles malodorantes et des sacs de détritus éventrés déposés par le restaurant, jonchaient la chaussée, sans que cela semblât déranger quiconque. Première image décevante d'une ville en état de détresse. Et désillusion pour une ville aux promesses bafouées par des individus dont la seule règle est le profit à n'importe quel prix... Tigzirt n'est plus attirante et déjà la rancoeur s'installe, comme pour annoncer d'autres forfaitures. Il suffit de traverser la cité, en slalomant les ruelles, au milieu d'une cohorte de véhicules et d'une cacophonie intense pour se rendre à l'évidence. Les trottoirs comme les rues sont occupées, envahis, débordés, pris en otage et la ville étouffe, étranglée par tant d'incivilités. Des jeunes aux tenues venues d'ailleurs, des femmes aux voiles insolites, occupent des territoires autrefois accueillants. Des espaces hostiles flanqués d'immeubles qui sont autant d'injures à un urbanisme devenu sauvage et désormais acquis au grand dam des puristes et des nostalgiques. Non, Tigzirt n'est plus la cité tant convoitée et la station balnéaire que des Suisses et des Américains fortunés visitaient régulièrement au temps de sa gloire passée. On a terni plus qu'il ne faut ce joyau qui faisait la fierté des anciennes familles tigzirtoises, désormais recluses, et dont le seul regret est de n'avoir pas su en préserver l'authenticité villageoise. Le nouveau port, quoique réalisé à coups de milliards, aurait gagné à être implanté au cap de Taksebt. C'eût été l'emplacement favori si tant est que les décideurs, à l'époque, eussent privilégié le site au lieu d'intérêts douteux qui transpirent désormais sous la canicule... Et les plages, direz-vous ? C'est la même déception et pis encore car si elles sont bondées et assiégées comme toutes les gargotes et les restos qui essaiment partout, le but recherché est d'engranger des profits insensés, en faisant fi de toute réglementation et hygiène. A croire qu'il n'y a plus d'autorité et que l'autorité de l'Etat fait défaut. Les gens du terroir diraient : « tag ala men tag », non sans raison. Et l'estivant est emporté dans un tourbillon qui le mène, malgré lui, vers « Ich ikerry », face au nouveau promontoire, pour y découvrir des jeunes aux coupes de cheveux laqués et ridicules qui déposent à même les rochers des caisses de bières achetées aux nombreux dépôts-vente de la ville. Des dépôts d'alcool véritables sources de vices et dont les gérants peuvent être comparés à des marchands d'armes tant il est vrai que la plupart des divorces et des accidents de la route sont causés par cet alcool. Et tragédie plus intense : une jeunesse qui se croit dorée boit sans compter avant de jeter à l'eau, l'une après l'autre, les bouteilles, dans le seul but de s'amuser et de frimer ... Au même moment, à la plage du port, une femme en tenue afghane prend son bain au milieu d'une nuée de bambins ; son compagnon la surveillant de la plage, lui en kamis et casquette de G'Is américain... Mon Dieu, combien Tigzirt a changé ! Mais tout cela n'est rien devant la décrépitude des us et coutumes qui ont pris le large avec le vent du nord ; tout cela n'est rien devant le manque d'éducation permanent qui vous assaille à chaque moment. Tout cela est insignifiant, face au manque d'hygiène quasi permanent, à l'ombre des mosquées ou devant les fossés-poubelles encombrés de canettes de bière et de bouteilles et autant de sacs éventrés qui accompagnent le visiteur tout au long des routes de Kabylie. La pollution sonore et environnementale agressives à la limite du sensé croissent au fil des heures et ce n'est qu'à la nuit tombée qu'un semblant de calme précaire survient au moment où des fêtards invétérés quittent les lieux pour des espaces de pénombre aux recoins plus appropriés à des beuveries, causes probables d'accidents meurtriers dont des familles paient le prix fort. Tigzirt n'est plus Tigzirt et le pire c'est cette impression générale que nous en avons gardée, et qui nous fait apparaître ce paradoxe inquiétant comme quoi tout cela serait presque normal. C'est du moins notre impression au point que nous nous demandons si les autorités locales se rendent bien compte de ce qui se passe au quotidien chez elles. Chez nous ! Il suffirait pourtant que chacun accomplisse sa tâche et sa mission pour que Tigzirt reprenne quelques couleurs malgré toutes les balafres qu'on lui a infligées, au fil du temps. Mais pour cela encore faudrait-il rétablir urgemment l'autorité de l'Etat, qui fait à nos yeux grandement défaut, ici plus qu'ailleurs.