Pour tromper un ennui mortel ou une vive impatience, passer le temps en attendant son tour chez le médecin, bien des patients transforment les salles d'attente en un véritable espace d'expression. Une sorte d'agora ou se télescopent plaintes et confidences. Il s'agit plutôt d'un défouloir ou les colères, les ressentiments, et plus rarement les joies se donnent libre cours. Rien n'échappe à ceux ou celles qui déversent « analyses » sur la vie politique ou sociale. Comme dans les salons de coiffure, autres lieux d'une expression sociale, on confie ses soucis, on « philosophe » sur le temps et l'époque. Comme si l'inconnu à qui on se confie nous rassure d'oreilles indiscrètes, on se montre moins méfiant et on se « lâche ». On évoque sur un ton libre, parfois badin les soucis du quotidien et les problèmes de la famille. Ce n'est nullement l'endroit indiqué pour se concentrer sur la lecture d'un journal, encore moins d'un livre. Le droit à la concentration ou à la méditation est allégrement bafoué. C'est un défouloir pour des êtres en proie à un stress énorme. Les femmes surtout n'hésitent pas à parler d'expériences intimes et douloureuses. Telle qui a perdu un frère, une mère ou sa fille et n'arrive toujours pas à s'en remettre. Elle cherche des oreilles attentives pour se délester du poids de sa souffrance. Une autre se fait surtout du souci pour les enfants. Elle craint la recrudescence de la violence et de l'utilisation des drogues dans les écoles. Chacune de celles qui l'écoutent a aussi une histoire à raconter, des détails à ajouter. Chacune quête des conseils, cherche au fond à se rassurer. Etrangement, les discussions les plus courantes tournent autour des litiges familiaux. Les sempiternels désaccords entre belle-mère et belle-fille s'étalent. Tantôt c'est une vieille qui déverse sa bile sur la belle- fille chargée de tous les maux. Tantôt, ce sont de plus jeune qui se répandent en invectives sur des femmes décrites sous des traits de sorcières. Sans état d'âme ni retenue, on déballe son linge sale. Et si la belle mère reste cette éternelle « grincheuse qui recherche la petite bête », la belle-fille en prend aussi pour son grade. Elle peut être cette « fainéante qui se lève tard et ne s'occupe pas de son mari ». Autant de critiques lancés ça et là par des femmes qui se font tort mutuellement sans le moindre remord. Dans ce brouhaha de commentaires peu élogieux, quelques cas sortent de l'ordinaire. On soupire et on se rassure de trouver des cas de bonne entente et de respect mutuel chez ces deux catégories qui cultivent une animosité légendaire. Dans d'autres sociétés, la salle d'attente est surtout un lieu ou les assistants du médecin nouent le contact, rassurent le patient qui trouve une pile de magazines à sa disposition. On n'a même pas besoin d'écriteau recommandant silence. Dans bien des cas à Alger ou ailleurs , c'est l'infirmière de service qui s'introduisant dans la salle pleine d'éclats de voix et de rires prient de ne pas trop déranger .