Rôles n La réalité économique a bouleversé aujourd'hui le fonctionnement des ménages. Autrefois, les choses étaient simples, les femmes dans leur immense majorité, ne travaillaient pas et les hommes veillaient jalousement sur les revenus et les dépenses quotidiennes du foyer. Un scénario qui, aujourd'hui, a largement volé en éclats. La détérioration du pouvoir d'achat semble être l'une des causes essentielles d'une «guéguerre» qui s'est installée au sein de plusieurs couples. Samia, 48 ans, femme de médecin, doit se débrouiller chaque mois avec une somme fixe «généreusement» octroyée par son époux pour faire face aux dépenses de sa petite famille. «Mon mari me donne 35 000 dinars par mois, pour tous les besoins du ménage. Avec ces augmentations des prix des produits, je souffre le martyre pour boucler le mois. Chaque fois qu'une dépense inattendue survient, je dois aller le trouver pour lui demander de l'argent. Il le fait très volontiers, mais cela me gêne et je tends à limiter les dépenses pour ne pas avoir à le faire, surtout, qu'il doit ‘'piocher'' dans son argent de poche. Finalité, c'est toute la famille qui se prive de certaines denrées essentielles, comme par exemple, les fromages, les légumes, les desserts…», dit-elle d'un air désolée. Heureuse situation, pourtant, par rapport à celle de Baya, 49 ans, épouse d'un ingénieur en génie civil, qui lorsqu'elle dépasse la somme allouée par son mari, se voit retenir ces sommes sur sa «paie» du mois suivant. «Il doit rembourser à son tour l'avance sur salaire consentie par son employeur. Pour faire face aux dépenses quotidiennes du foyer, je suis dans l'obligation de «tricher» chaque jour, en privant mes enfants de certains aliments pourtant nécessaires. Pas de dépenses superflues, sinon, c'est la catastrophe. Il m'arrive rarement d'acheter de la viande. Le poisson, personne ne le revendique à la maison», souligne notre interlocutrice. Le système glissant d'une gestion du budget familial commun devant l'érosion du pouvoir d'achat, Saïd et son épouse Naïma, respectivement directeur de projet dans une entreprise publique et directrice marketing dans une grande boîte de communication, adoptent les dépenses communes pour se permettre certaines achats et faire face aux aléas du marché «en perpétuelle instabilité». «Pour assurer le minimum vital aux enfants, nous avons opté pour une méthode franche du type ‘'les bons compte font les bons amis''». A chaque fin de mois, chacun dresse une liste de ses dépenses et en informe l'autre. Au début, ce système était choquant pour l'un et l'autre, puis je me suis aperçue que cela nous permettait de faire vivre décemment nos enfants, avec un minimum de privations alimentaires et vestimentaires, et aussi, de savoir combien nous dépensons», dit-elle avec un large sourire. Combien ? «Pas moins de 70 000 dinars mensuellement quand il n'y a pas d'imprévus», ajoute-t-elle. Son mari Saïd, affirme : «La guéguerre financière qui couve à l'intérieur d'un couple éclate souvent à cause d'une planification des dépenses qui ne tient pas la route avec la réalité du marché. Il m'arrive de revenir presque bredouille du marché bien qu'y ayant laissé des plumes» Un débat prend forme avec un aspect de remontrances. Il reproche à son épouse «d'accaparer toutes les dépenses nobles, loisirs, sorties, cadeaux…» et lui laisse l'aspect routinier, «comme le loyer, l'alimentation et les vêtements pour les enfants, des dépenses qui mènent directement au fiasco, et les emprunts pour boucler les fins de mois». Qui a dit qu'un couple qui travaille peut faire face facilement aux aléas de la vie ? Certainement pas Wahiba, cadre dans une banque, mariée à un vétérinaire. «Lorsque nous avons emménagé dans un appartement, après plusieurs années chez les beaux-parents, il était important pour moi de verser mensuellement des traites à l'Aadl tout en faisant face également au remboursement des frais occasionnés pour l'achat de certains articles électroménagers par facilité. Mon mari, lui, s'occupe de l'alimentation, des charges, de l'habillement et du reste.» Comment ? «Difficilement, puisque nos enfants considèrent les privations comme une offense, alors que leurs parents travaillent tous les deux. Rarement la viande, les laitages sauf pour le lait et toute la panoplie nécessaire à la croissance d'un enfant», dit-elle, et de conclure : «Nous ne bouclons jamais la fin du mois, sans faire d'emprunts. Je ne vous dis pas lorsque nous devons honorer une facture ou une ordonnance médicale !» R. K.