Résumé de la 2e partie n Emilie se souvient que le médecin s'est isolé pour parler à sa mère. Que lui a-t-il dit ? Je crois que j'ai commencé à avoir peur à ce moment-là. Sans savoir pourquoi, j'avais peur c'est tout. Quand ils sont revenus, ma mère était blanche, elle m'a secouée, elle s'est mise à me dire des choses horribles, que j'étais une traînée et tout ça, une garce. Que le médecin allait être obligé de regarder dans mon ventre, parce que j'avais fait de vilaines choses avec un garçon. «J'ai pleuré, pendant l'auscultation, je me souviens que j'ai pleuré. J'étais dégoûtée. J'avais honte, j'avais peur. Je ne sais plus.» Le drame est installé. A treize ans et demi, la petite Emilie est enceinte. Elle ne le savait pas. Elle n'avait pas cru, elle n'avait pas su vraiment ce qui s'était passé avec Bertrand, et cette chose qui lui arrive lui paraît tellement incroyable : «J'étais pas plus bête qu'une autre ou plus naïve. Je savais des choses. Mais comme tous les gosses de mon âge, je les savais mal, et cela ne me préoccupait pas. Ma mère n'en parlait jamais. Je n'avais pas de sœur aînée, et les copines disaient n'importe quoi. Tout ça faisait partie d'une espèce de légende qui ne nous concernerait que plus tard, quand on serait vieux.» Emilie n'aime pas se souvenir de ce jour-là. A dix-huit ans, elle en frissonne encore. Ce qui est sûr, c'est que la situation est grave, et que ses parents n'étaient pas prêts, et pour cause, à l'affronter avec le maximum de délicatesse et d'efficacité. Pour Emilie, le monde est soudain devenu hostile. La voilà en marge de tout, une espèce de monstre pour ses parents. Elle ne retourne pas à l'école. Sa mère lui dit : «On ne va pas à l'école quand on est enceinte de quatre mois ! Je t'interdis de parler de cela à quiconque, tu m'entends ? J'espère que tu n'as rien dit à tes camarades ? Tu ne t'es pas vantée de «ça» devant elles ?» Non. Emilie n'a rien dit, et pour cause, elle avait presque oublié son petit camarade de vacances. Ce Bertrand de quinze ans dont elle ignore le nom de famille, et même la ville où il habite. Dans un premier temps, ses parents l'ont assaillie de questions. Ils voulaient tout savoir sur cet affreux gamin qui avait «violé» leur fille. Et puis ils ont abandonné et c'est la mère qui a décidé : «Que personne ne sache c'est beaucoup mieux. De toute façon, il n'y a pas d'autre solution que celle proposée par le médecin.» De cette solution, Emilie ignore tout. Ses parents en ont parlé entre eux, ils ont pris des contacts, disent-ils. A dix-huit ans Emilie se souvient de l'air qu'ils avaient tous les deux quand ils parlaient de la «seule solution». «Je savais que l'avortement existait, j'en avais vaguement entendu parler. Mais je savais aussi que le médecin avait dit : «Pas question, il est trop tard, et à son âge ce serait trop dangereux.» Alors je me demandais quelle pouvait être cette unique solution. On m'avait cloîtrée dans ma chambre. Officiellement, j'étais malade des poumons et contagieuse. On ne me traitait pas mal. Je ne peux pas dire que mes parents s'étaient transformés en bourreaux. S'ils l'étaient, ils ne s'en rendaient pas compte, j'en suis sûre. C'était trop dur pour eux, maintenant je comprends à quel point ils ont dû être tourmentés, perdus, dépassés. Mais sur le moment, je les trouvais méchants. Ils n'arrêtaient pas de me faire ravaler ma honte... Comme si cela avait pu changer quelque chose. Et le pire, c'est que je devais avoir honte d'une chose que je ne comprenais pas, que je ne réalisais même pas. A treize ans, on ne se rend pas compte que l'on peut avoir un enfant et être mère. (A suivre...)