Hervé Moulin lève la tête et tend l'oreille. Depuis plus d'un mois, il lui semble entendre, de temps à autre, comme un gémissement qui viendrait de l'appartement du dessus. Au début, il a évacué le problème en haussant les épaules ; mais les jours passant, cette sorte de plainte feutrée a fini par devenir obsédante ; elle se fait entendre quand on l'attend le moins, au milieu d'un film ou quand on cherche à s'endormir. Pour Hervé, elle est devenue un problème — un problème dont il est résolu à trouver la solution. «Je vais sonner chez les dames du dessus», pense-t-il. Et aussitôt, il grimpe l'escalier jusqu'au palier supérieur. Il sonne, sonne. Personne ne vient ouvrir. Il commence à redescendre, «soudain il se fige. Il vient de percevoir la plainte, distinctement, plus distinctement que jamais. Il se met à tambouriner à la porte. — Il y a quelqu'un ? Répondez ! Il y a quelqu'un ? Le gémissement se fait plus pressant. A n'en pas douter, c'est un appel au secours. Hervé se sent très mal. «Je vais appeler la police», pense-t-il. Mais au moment où il reprend l'escalier, il est arrêté par un cri d'angoisse, un cri guttural, sans expression, mais d'autant plus effrayant. Hervé fait demi-tour et se campe devant la porte. Il n'y a aucune raison d'en douter : quelqu'un est en train de souffrir à l'intérieur de cet appartement. Se tournant de côté, Hervé se rue sur la porte d'entrée. Une fois. Deux fois. Il compte sur ses cent kilos et sur son élan pour venir à bout d'une huisserie au demeurant assez légère. Au troisième coup, la porte cède. Hervé entre aussitôt. — Il y a quelqu'un ? demande-t-il. La plainte le conduit vers la chambre la plus éloignée, au fond du couloir — la disposition de l'appartement est quasiment la même que chez lui. Hervé pousse la porte de la chambre : une vieille femme est là, livide, sale, sentant l'urine. Elle est attachée à son fauteuil et bâillonnée. Quand elle aperçoit Hervé, elle lui lance un regard qui le transperce. On y lit beaucoup de soulagement et beaucoup d'espoir. Hervé lui retire son bâillon. — Merci, monsieur... Merci beaucoup, dit-elle très faiblement. N'appelez pas... la police. Je vous en supplie. Emmenez-moi seulement... hors d'ici... Loin d'elle ! — Loin de qui, madame ? — Loin de ma sœur ! C'est elle... qui me séquestre comme cela... Mon Dieu ! La voilà, c'est elle ! La vieille femme paraît hystérique. Hervé tente de la rassurer. De l'entrée lui parviennent des exclamations : — Qu'est-ce que c'est ? crie une voix. Qui a défoncé ma porte ? Hervé se précipite hors de la chambre. L'horrible sœur — une femme entre deux âges qu'il a souvent croisée dans l'escalier et qui s'est toujours montrée très aimable avec lui — le dévisage avec un regard où se lisent l'angoisse et le défi. — Qu'est-ce que vous faites ici ? lui demande-t-elle. — J'ai entendu votre sœur appeler, je suis venu lui porter secours. — Quelle sœur ? De quoi parlez-vous ? Hervé esquisse un sourire. — Vous l'avez mise dans un triste état, dit-il. Je crois qu'il vaudrait mieux que j'appelle la police. Et il se dirige vers la sortie. — Attendez ! Je n'ai jamais fait de mal à ma sœur. Cet état, elle s'y est mise toute seule. Compris ? Hervé fait non de la tête. — Si vous voulez m'écouter trois minutes, dit-elle, je veux bien tout vous expliquer. (A suivre...)