Durant l'époque romaine, pour humilier les vaincus et leur faire courber l'échine, on les faisait défiler sous un joug de labour. Pendant l'occupation française en Algérie, l'administration coloniale usa des mêmes méthodes, mais de façon plus raffinée, plus infraliminale, pour ainsi dire. Ainsi, lorsqu'un Européen désirait un quelconque service de l'administration, il était reçu dans un bureau, invité à s'asseoir et écouté avec attention et déférence. Mais lorsque c'est un indigène qui recourt aux mêmes prestations, il doit passer au guichet. Celui-ci a été aménagé de façon à ce que l'administré se courbe et se plie en deux, comme s'il se prosternait devant un roi. Il était ainsi conditionné pour savoir qui il était et à qui il avait affaire, pour le cas où il aurait des velléités citoyennes. Plus de cinquante ans après l'indépendance, on continue de réaliser des administrations, des banques et autres institutions avec des guichets à 1,2 m du sol, trop petits et aménagés de façon à se sentir un moins que rien. Encore mieux ou encore pire, c'est selon, le préposé au guichet, qui est un bonhomme tout à fait ordinaire et gentil, arbore une mine des plus méprisantes lorsqu'il se met sur son trône. Il vous toise d'un air hautain, vous écoute avec lassitude, vous fait répéter, farfouille dans les pièces que vous lui présentez avec l'air de les prendre avec des pincettes. Il prend tout son temps lorsqu'il doit remplir un simple document ou poser un cachet humide, n'ayant cure des «indigènes» qui se bousculent et qui attendent que l'on veuille bien s'occuper d'eux. Mais ô justice immanente, il arrive aussi à notre fier et condescendant préposé de se retrouver souvent de l'autre côté du guichet, dans d'autres administrations. Alors, il redevient le gentil petit bonhomme qu'il a toujours été et devant le judas d'infamie devant lequel il plie l'échine, il voudrait bien crier au guichetier qui l'écrase de son mépris, qu'il n'est pas un indigène comme les autres, mais un authentique collègue !