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Histoires vraies : Un poil de chevreuil
Publié dans Info Soir le 23 - 07 - 2017

Mathias est en train de se battre avec une tuyauterie récalcitrante, et le patron du café fulmine en attendant la réparation. Le matériel est tout neuf, il l'a acheté il y a deux mois. Pas moyen de servir correctement une bière à la pression ! A Munich, c'est important de servir correctement une bière pression !
— Arrangez-moi ça pour demain, ou débarrassez-moi de cet engin !
Mathias, l'installateur, dévisse et revisse cette maudite pièce qui devrait marcher et ne marche pas. Très absorbé par son travail, il ne prend pas garde à la discussion de deux hommes au bar. Le patron non plus. Il descend à la cave chercher un pichet de bière, en attendant que Mathias ait fini.
Les deux clients discutent pourtant assez fort. Mathias est obligé de les déranger un moment pour étaler ses outils sur le comptoir. La tête penchée derrière le bar, il entend alors cette phrase :
— Tu m'as piqué cette fille !
Le ton est mauvais, agressif, et Mathias, en relevant la tête vers celui qui vient de parler, remarque qu'il n'a pas l'air pauvre. La veste de cuir, le pullover fin, bref une allure générale fait que Mathias a cette pensée. Puis il reporte son attention sur la machine — si elle ne veut pas fonctionner, il va perdre un client.
Mathias a vingt-huit ans, il démarre dans la vie comme installateur de machines à café et de bière à la pression. Un patron de bistrot mécontent, et sa petite entreprise toute neuve ne fera pas long feu.
Le patron est dans sa cave, la trappe est ouverte derrière le bar, et Mathias lui crie:
— Vous actionnerez la manette rouge quand je vous le dirai. D'accord ?
— D'accord...
À l'autre bout du comptoir le ton monte entre les deux hommes. Mathias comprend à peu près le sens de leur dispute. Le garçon chic reproche à un autre, un peu plus âgé que lui, de vouloir lui «souffler» une fille. Il dit :
— Je l'ai eue avant toi ! Je t'interdis de poser ta patte sur elle !
Et l'autre rétorque :
— Mais fous-moi la paix ! C'est tout de même à elle de décider, non !
Les deux consommateurs sont jeunes. Le plus âgé — vingt-cinq ans environ — semble plus calme, un peu méprisant devant l'énervement de l'autre qui s'agite devant son verre et prend des poses menaçantes.
— Laisse tomber, je te dis ! C'est mon territoire!
— J'en ai rien à foutre de tes menaces ! D'ailleurs, fous le camp d'ici !
Deux coqs se disputant une femelle à dix heures du soir. Des types qui n'ont rien d'autre à faire. Mathias, lui, a vraiment autre chose à faire. Il crie au patron :
— Allez-y maintenant ! La manette rouge!
À cet instant précis, Mathias est à trois mètres environ des deux hommes. Au moment où il redresse la tête pour actionner la manette de pression, il voit parfaitement la scène.
Celui qui vient de dire «Fous le camp» tourne le dos à l'autre pour saisir son verre de bière, signifiant ainsi que la discussion est close pour lui. Mais l'autre, le plus jeune, a un couteau à la main. Et Mathias le voit planter ce couteau, sans prévenir, sans un mot, dans le dos de l'autre. L'enfoncer profondément, délibérément dans le dos de son compagnon.
Sidéré par la rapidité du geste, Mathias n'a pas le temps d'intervenir, il n'a même pas vu le garçon sortir le couteau. Et l'agresseur court aussitôt vers la porte et disparaît, tandis que Mathias hurle :
— Patron, sortez delà ! Il l'a tué ! Sortez de là !
A suivre


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