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Iran, impressions de voyage
Publié dans La Tribune le 01 - 02 - 2014

On ne revient pas d'Iran sans quelque poil à gratter en poche. Ce que j'ai pu voir et entendre, en compagnie de Pierre Conesa, connaisseur du pays et auteur de La Fabrication de l'ennemi, au cours d'un bref séjour à Téhéran et à Qom, suffit à bousculer des préjugés paresseux dont je n'étais pas exempt en partant.
Que ce soit côté officiel ou société civile, on sent un soulagement certain avec la nouvelle donne politique. «L'étau se desserre, on sort du tunnel.» En toile de fond, le sentiment s'impose d'une évolution irréversible parce que la modernité est en marche, et la machine à séculariser aussi. Il y a plus d'abonnés à Internet en Iran qu'en Turquie. Et plus d'étudiantes diplômées que
d'étudiants. La verticale théocratique n'est plus adaptée à une mégalopole comme Téhéran, ni à une population qui a doublé en trente ans, et d'un niveau éducatif sans rapport avec celui de ses voisins. Seule une injection de violence du dehors pourrait enrayer ce dégel, comme l'avait fait l'agression militaire
irakienne en favorisant l'union sacrée autour de Khomeiny. «Ahmadinejad, nous a-t-on confié, fut un cadeau de Bush à notre peuple.» En se voyant rangé dans l'axe du mal, juste après avoir livré aux USA des renseignements cruciaux sur les talibans, on s'est jugé là-bas humilié et trahi.
Transpire le changement de génération. Les jeunes n'ont plus le culte de la mort. Ils veulent vivre, jouir et consommer. Les femmes sont frondeuses et poussent d'en bas. L'individu, en Iran, vient de naître. Il lui sera difficile, semble-t-il, de revenir en arrière.
Insolite, le mixte instable de démocratie et de théocratie, trop fragmenté et pluriel pour être dit «totalitaire». La dispersion des centres de pouvoir (et on ne sait jamais lequel tient le manche, ni sur quelle affaire) rend impraticable la formule «L'Etat, c'est moi» ou le Parti, c'est moi. Le Guide peut être contesté par des confrères ayatollahs (religieusement indépendants) et quand il se lance dans une tirade extrémiste, après Genève, d'autres haussent les épaules («C'est pour sauver la face et calmer ses excités, pas un drame.»). Dans quel autre pays de la région le président est élu à 53% des voix, contre tous les appareils en place ?
En Arabie saoudite ?
Malgré une théorie du complot encore en vogue, et d'odieux dérapages, le discours anti-juif paraît avoir un faible enracinement dans la population. Outre la présence d'une synagogue et d'églises chrétiennes en centre-ville, Cyrus n'a pas disparu des tréfonds. On se dit et on est antisioniste, mais on entend
aussi : «L'homme de la rue, ici, est plus anti-arabe qu'antisémite.» La conjoncture palestinienne a enclenché une escalade à risque. Ne s'agissait-il pas d'abord de réinsérer et de légitimer le Perse dans l'univers mental arabe ? Mais on a beau dire, la Palestine est loin.
Chaque peuple a sa dose d'ethnocentrisme, la chose du monde, hélas, la mieux partagée. Celle du Français est élevée (et dans l'émotion sportive, confine au tribalisme). Celle de l'Iranien n'est pas mince non plus. On se prend à penser que rendre présent à l'un l'image qu'a l'autre de lui, et qu'il a pu se former en fonction de ses intérêts, de son information ou de ses a priori ancestraux, ne serait pas mauvais pour détendre l'atmosphère. Les mêmes événements donnent lieu à deux mémoires inversées, selon les angles de vue. Chaque partie ressasse ses griefs (légitimes) sans voir que l'autre en a autant pour son service. Telle exaction étant pour Pierre une juste croisade et pour Paul une scandaleuse agression.
La perspective que maints Iraniens d'aujourd'hui (opposants y compris) ont sur la France d'aujourd'hui, n'est pas, à cet égard, sans intérêt.
Sans remuer l'imbroglio des remboursements d'Eurodif et des prises d'otage au Liban, le passé rôde sous le présent. Plusieurs faits qui ne sont plus guère
présents à notre esprit le restent de l'autre côté.
Se souvient-on, chez nous, que nous fûmes en 1979 les alliés actifs et fournisseurs de l'agresseur irakien, et même cobelligérants, en violation
flagrante du droit international ? Avec mise sous embargo du pays agressé ? Cette guerre catastrophique fut pour l'Iran l'équivalent de notre 14-18. Sauf qu'elle n'est pas vieille de cent mais de quarante ans.
Nous ne sommes guère plus conscients d'héberger toujours sur notre territoire, avec des appuis publics visibles (parlementaires et maires), les Moudjahidine du Peuple, secte politico-religieuse, à ce jour sans représentativité dans le pays, et qui a combattu aux côtés de Saddam Hussein contre la mère patrie ? Elle a tué par des attentats la moitié du gouvernement et causé des milliers de morts civils. «Où sont les " terroristes ", nous demande-t-on, chez vous ou chez nous ?»
On se dit surpris que nous restions muets sur les armes nucléaires d'Israël,
non-signataire du TNP, comme sur celles de l'Inde et du Pakistan. Lequel de ces trois pays, non du seuil mais du terre-plein, a accepté et reçu trois mille visites de l'Agence de Vienne ?
Et que nous ayons jadis fermé les yeux, quoique dûment alertés, sur l'usage d'armes chimiques par Saddam Hussein contre les soldats iraniens et pas seulement les Kurdes irakiens n'est pas oublié. Deux poids deux mesures... Que la France du général de Gaulle soit devenue plus américaine que les Américains ne laisse pas non plus d'étonner. Disons à la décharge de nos désappointés que l'histoire de la IVe République et de la Sfio ne leur est guère familière.
On sous-estime toujours le poids des traditions.
Il est déplaisant de chausser des lunettes étrangères. Ce qui est saillant pour l'un est anodin pour l'autre. L'examen aller-retour des contentieux réciproques – nous avons, bien sûr, les nôtres – faciliterait le déminage. Faisons un rêve
d'encyclopédiste terre à terre, à l'usage de nos représentants et industriels jetés dans le vaste monde : une fiche pays par pays, portant mention, au recto, des griefs et préjugés que tel ou tel peut avoir contre la France, et au verso ceux que nous avons à son encontre. Que de temps gagné de part et d'autre !
Il est sans doute trop tard pour que la France rattrape son retard sur des concurrents moins intimidés que nous et déjà à pied d'œuvre – Chinois, Coréens, Indiens et bien sûr Américains (le suzerain garde les mains libres, les interdits, c'est pour les autres). Des petits gestes d'attention (reprise de la ligne Air France et plus de souplesse dans les visas) pourraient y aider. Il y a huit mille étudiants iraniens en Allemagne, deux mille en France, et aux USA, une centaine de milliers. Certains Occidentaux, notamment italiens, semblent voir plus loin que le bout de leur nez.
Dommage que les liens culturels, qui sont le fort et le ressort de notre réputation, soient à ce point distendus. Voir diminuer à ce point la demande de France dans un pays si longtemps francophile, où l'on voit en devanture de librairie des traductions en persan de Ricœur, Foucault, Bourdieu ou Bernanos, cause quelques pincements de cœur au promeneur à l'écoute, invité par l'Association pour la philosophie et la sagesse. Peu de chose, me dira-t-on, à côté des perspectives apocalyptiques que peaufinent, depuis vingt ans,
nos bureaux claustrophiles et spécialisés. Ce qui déconcerte le candide renifleur, c'est le déni, par la plupart de nos interlocuteurs, avec ou sans turban, d'une évidence : la guerre de religion multiforme et transfrontière entre sunnites et chiites (qui vaut bien celle entre catholiques et protestants dans l'Europe du XVIe siècle). Pour les uns (religieux), le clivage est entre les «bons et les mauvais musulmans», ce qui fait sourire ; pour les autres (séculiers), entre des fanatiques manipulés par Israël et l'Occident (les
takfiristes, excommunicateurs professionnels) et de braves croyants, éventuellement salafistes, mais qui ne font de tort à personne, ce qui fait aussi sourire. Déni typiquement idéologique, sans doute imposé par le mythe de l'Oumma : qu'en resterait-il, sinon ? On nous fait remarquer que ce sont les
sunnites qui prennent ici et là l'initiative des hostilités, et que le chiite, par doctrine et tempérament, s'efforce de n'y pas répondre, sauf en auto-défense. Ainsi au Bahreïn. Ainsi surtout en Irak, où Ali al-Sistani aurait su freiner l'élan des milices de son bord, pressés d'en découdre après les
massacres contre les lieux saints chiites. Ce qui s'est passé au Liban, sous cet angle, serait sans doute de nature à corriger le propos...
Cela dit, esquissons
le décor à gros traits.
Il n'est pas inepte de voir dans le chiisme la gauche de l'islam. Avec ses deux piliers théologiques (le binôme rationalité/justice), sa tradition lettrée (son entraînement interprétatif des textes), ses racines sociales (minoritaires, opprimés, défavorisés), la place d'honneur faite au savoir et, relativement, aux femmes elles-mêmes. Catholique par le clergé, mais quelque peu protestant en esprit. Un Shariati sunnite serait assez étonnant, tout comme un religieux sunnite marxisant ou «tiers-mondiste». Même si la lutte de classe n'a pas été le fil directeur de la révolution islamique (à Téhéran, selon non l'axe nord-sud de la ville mais est-ouest), ce n'en a pas moins été un soulèvement des gueux (ruraux urbanisés). Les deux mille princes d'Arabie saoudite ne pouvaient pas voir le chambard d'un bon œil. Qu'un gouvernement socialiste noue une bonne entente avec la droite extrême israélienne peut expliquer en termes tocquevilliens : les affaires du dehors se traitent en fonctions des affaires du dedans. Que le même choisisse de s'allier avec le pays le plus rétrograde de la planète, l'Arabie wahhabite, tête d'une Sainte Alliance irriguant les courants les plus obscurantistes de l'islam donnera plus de fil à retordre à nos historiens.
Il faut de tout pour faire un clergé, catholique ou chiite, et il y avait sans doute autant d'idiots chez nos curés de campagne au XIXe que chez les mollahs d'aujourd'hui. Mais on aimerait trouver chez les mentors de notre belle province autant de finesse d'esprit, d'ampleur de vue et de pondération qu'on en a pu déceler à Qom chez tel ayatollah, président du Séminaire, ou, à Téhéran, chez tel autre grand religieux, traducteur de Kant et de Habermas. Nos directeurs de conscience dans le vent paraissent, en comparaison, aussi creux qu'étriqués.
Historien des religions, notoirement inexpert en politique, je n'ai rien d'un
iranologue. De succinctes impressions ne tiennent pas lieu d'analyse. Me reste seulement à l'oreille la réponse à la question que nous posions, Pierre Conesa et moi, à un scientifique iranien, guère partisan du régime :
- «Pourquoi devrions-nous croire vos dirigeants ?», - «Parce que c'est l'intérêt vital de notre pays, contre quoi, tôt ou tard, l'idéologie ne peut rien.»
Archéo-islamiste ou néo-conservatrice, l'idéologie fait décidemment grand tort à l'intérêt national autant qu'à la maîtrise des barbaries. Ici et là-bas.
R. D.
in le blog de Regis Debray


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