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Riposte culturelle au Cachemire
Regain de la répression indienne
Publié dans La Tribune le 04 - 10 - 2016

Depuis 1947, trois guerres ont opposé l'Inde et le Pakistan sur le Cachemire. La partie administrée par New Delhi vit sous un régime d'exception. Le 8 juillet, Buhrhan Muzaffar Wani, chef d'un groupe séparatiste, a été tué par des militaires indiens. Il était devenu un symbole de la résistance armée grâce aux réseaux sociaux. Une partie des opposants continuent à se battre en utilisant toutes les ressources de la culture.
Une galerie d'art contemporain dans une ville en pleine occupation. Le 12 janvier 2015, pour la première fois de son histoire, l'Etat du Jammu-et-Cachemire voyait naître un lieu culturel. Située à Srinagar, la capitale d'été (1) de cette région administrée par l'Inde, Gallerie One se voulait un endroit où les artistes pourraient exposer leurs œuvres et les étudiants, observer et apprendre. «Ce sera enfin un espace permanent pour l'art, ici, au Cachemire», déclarait alors Syed Mujtaba Rizvi. Comme plus de 96% des habitants de la vallée du Cachemire, ce jeune homme est musulman (2). Il a été à l'origine de cette initiative, surprenante dans une zone de conflit où groupes rebelles et soldats de l'armée indienne s'affrontent depuis plus de soixante ans. L'art peine à exister face aux quelque 700 000 soldats déployés dans cette vallée de l'Himalaya, auxquels une loi spéciale, votée en 1990, accorde l'impunité ainsi que le droit de tuer des suspects et de saisir leurs biens. A force de persévérance, Rizvi a pourtant rassemblé la somme nécessaire à la création d'un tel espace. Les autorités locales chargées du tourisme ont mis à sa disposition un bâtiment de 460 mètres carrés.
Le 23 février 2015, ces mêmes autorités ont décidé de fermer Gallerie One, sans préavis et en recourant à la force, allant jusqu'à vandaliser certaines œuvres. «L'occupation est aussi culturelle, lance Rizvi. L'art permet une élévation sociale et culturelle. Il est évident qu'un régime oppressif n'en veut pas dans une zone qu'il occupe.»
«Les médias ne peuvent plus raconter ce qu'ils veulent»
Aujourd'hui, il tient un café à Srinagar. Cet espace permet à des artistes cachemiris de toutes les générations de lire de la poésie, chanter, jouer de la musique, selon des pratiques traditionnelles ou modernes, politiquement engagées ou pas. L'art cachemiri peut exister tant qu'il ne se revendique pas comme tel, constate amèrement le maître des lieux. Après la destruction de la faculté d'art de Srinagar lors des grandes inondations de 2014, «le département a été relogé dans un endroit encore plus exigu que le précédent. C'est un vieux bâtiment abandonné situé dans le complexe universitaire de Srinagar».
Enseignant d'histoire de l'art dans cette université, Showkat Kathjoo explique que certaines formes d'expression sont tolérées, d'autres exclues. Traditionnellement, «l'artisanat est très important pour l'économie cachemirie. Mais, pour l'art contemporain, rien n'est fait». Et pour cause. «Les artistes peuvent exprimer leur rébellion à travers leur travail. Ils ont donc très peu de chances d'obtenir un endroit pour exposer.» Pour le pouvoir, cet étouffement de la création est stratégique : «Nous (les Cachemiris musulmans), on veut toujours nous représenter comme des personnes violentes, qui prennent les armes et tuent des gens, constate Rizvi. Les poètes, les artistes et les écrivains sont toujours relégués au second plan.»
Ce que confirme le spécialiste du Jammu-et-Cachemire Dibyesh Anand, qui dirige le département des sciences politiques et des relations internationales à l'université de Westminster. «Le conflit est utilisé pour alimenter le nationalisme indien, explique-t-il. Quand quelqu'un est tué au Cachemire, les médias indiens s'en emparent afin d'en faire un problème national. De cette façon, ils déshumanisent les Cachemiris en les représentant comme violents.»
Quant aux médias occidentaux, ils restent silencieux, ou presque. «Pendant la guerre froide, les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'étaient pas opposés aux revendications d'indépendance des Cachemiris face à l'Inde prosoviétique. Les Etats-Unis étaient alors alliés au Pakistan, qui les aidait contre l'Union soviétique en Afghanistan, et soutenaient les rebelles cachemiris. Après la fin de l'URSS, l'Inde est devenue un marché potentiel pour l'Occident.» A partir de 1998, la France se pose en partenaire privilégiée de New Delhi, notamment dans le domaine de l'armement aéronautique. «Le Cachemire a occupé de moins en moins de place dans les médias occidentaux, conclut Anand. L'idée que l'Inde est la plus grande démocratie du monde convient à la communauté internationale, qui préfère ignorer ce qui s'y passe.»
Depuis le début de l'insurrection armée au Jammu-et-Cachemire, dans les années 1990 (entre cinq mille et dix mille recrues estimées en 1996 (3)), les médias indiens ont le champ libre pour représenter les Cachemiris à leur convenance. «Les soutiens aux talibans ou, plus récemment, à l'Organisation de l'Etat islamique sont mis en avant, même s'ils se réduisent à quelques graffitis — par exemple “Welcome talibans” — ou encore à quatre individus masqués agitant un drapeau noir dans une manifestation comptant des milliers de personnes. Selon moi, ces groupes-là n'existent pas au Cachemire indien, même s'il y a d'autres forces islamiques», assure le professeur.
Parmi les principaux groupes rebelles, on trouve l'organisation islamique Hizbul Mujahideen, qui souhaite s'unir au Pakistan, ainsi que le Front de libération du Jammu-et-Cachemire (Jammu and Kashmir Liberation Front, JKLF), laïque, qui milite pour l'indépendance (4). Aujourd'hui, la lutte armée attire beaucoup moins que dans les années 1990 (5). Selon Anand, les Cachemiris sont divisés sur cette question, mais la majorité veut l'azadi (la liberté). De ce fait, il leur est presque devenu habituel d'encourager ceux qui tiennent tête à l'Inde. En avril 2016, quand l'équipe de cricket des Indes occidentales (Caraïbes) a gagné contre l'Inde, certains Cachemiris ont manifesté leur joie dans les rues de Srinagar, ce qui a donné lieu à des agressions et à des arrestations. En juillet, la mort du chef de Hizbul Mujahideen, Buhrhan Muzaffar Wani, 22 ans, abattu par l'armée, a donné lieu à des manifestations massives, lourdement réprimées : au moins cinquante civils ont été tués, huit mille blessés, les journaux interdits, les réseaux sociaux suspendus.
Pour le Parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party, BJP), le parti nationaliste du Premier ministre Narendra Modi, «le Cachemire est un moyen de museler l'opposition en Inde, explique Anand. Tous ceux qui s'aventurent à parler des exactions des militaires indiens sont rangés dans la case “antinationaux”, et leur discours progressiste est automatiquement décrédibilisé. Il n'y a aucun musulman ou chrétien élu dans la majorité gouvernementale au Parlement» — alors que l'Inde compte officiellement 14,2% de musulmans.
Fahad Shah, journaliste natif de la vallée, a créé en 2011 The Kashmir Walla, premier journal en ligne du Jammu-et-Cachemire. Il le conçoit comme une autre voix face aux puissants médias indiens, dans lesquels «il est extrêmement difficile de bien couvrir le conflit. Des sujets sont censurés». Les événements de juillet en ont fourni la démonstration. En avril 2015 déjà, New Delhi avait suspendu la diffusion d'Al-Jazeera English pendant cinq jours parce que la chaîne avait montré une carte du Cachemire où la zone contrôlée par le Pakistan n'était pas distincte du territoire administré par l'Inde.
Shah concède que son journal touche principalement les jeunes anglophones de la vallée et des lecteurs en Inde ou à l'étranger. Mais, pour lui, il reste un rempart face à la désinformation : «Les médias traditionnels ont créé des mythes sur le Cachemire, et le journalisme numérique ainsi que les réseaux sociaux peuvent les briser. Internet est devenu une sentinelle pour tout ce qui est publié sur le conflit. Les médias ne peuvent plus raconter ce qu'ils veulent sans qu'il y ait de réactions.»
Les difficultés viennent aussi de la société cachemirie elle-même. En 2013, Fahad Shah a subi un violent lynchage sur les réseaux sociaux après avoir défendu Pragash, un groupe de rock composé exclusivement de filles de la vallée. Alors que le grand mufti (l'autorité religieuse) avait émis une fatwa contre elles en déclarant que la musique était anti-islamique, le journaliste a rappelé la tradition musicale féminine soufie de la vallée. Les attaques qui ont suivi ne l'ont pas découragé : « Il faut que nous apprenions à critiquer notre société. C'est là le rôle des médias. Quand nous avons parlé de ces filles qui faisaient de la musique, on m'a appelé plusieurs fois pour me dire d'arrêter mes activités. Une fois, à la suite d'un article sur la liberté d'expression au Cachemire, un de nos journalistes a été menacé par téléphone : “Ta famille est au Cachemire, arrête de travailler avec Fahad.”» Il préfère ne pas s'étendre sur l'origine de ces intimidations. The Kashmir Walla continue, mais les filles de Pragash, elles, ont arrêté leurs activités.
Pour Fahad Shah, les choses pourraient s'améliorer si le conflit trouvait un écho international. «La situation au Cachemire est proche de celle qui prévaut en Palestine. Rien ne pourra changer tant que des personnalités influentes n'en parleront pas. C'est important que des gens du monde entier puissent désormais lire des choses sur le Cachemire, voir de l'art ou écouter de la musique qui vient d'ici.» Le gouvernement indien cherche au contraire à démontrer que le Cachemire fait partie intégrante du pays. Les journalistes étrangers n'ont d'ailleurs pas besoin de visa pour s'y rendre. Cependant, quand la ligne éditoriale est clairement critique envers la politique de l'Inde, cela ne reste pas sans conséquence. En 2011, David Barsamian, journaliste américain connu pour dénoncer les violations des droits humains commises par l'armée au Cachemire, s'est vu refuser l'accès au pays (6).
D'autres initiatives viennent s'ajouter à celles de Fahad Shah ou de Syed Mujtaba Rizvi. Le morceau I protest (Remembrance) (Je proteste (souvenir)) de MC Kash — pour «Kashmir» —, le premier rappeur de la vallée, a été étroitement associé aux manifestations de 2010. Déclenchées par l'assassinat de trois civils cachemiris, celles-ci ont été violemment réprimées : cent douze manifestants ont été tués (7). Dans sa chanson propulsée par Internet, Roushan Illahi (son vrai nom) qualifie l'occupation de «régime meurtrier». Pour lui, «l'art traditionnel cachemiri ne suit plus l'évolution de la société et ne parle pas des problèmes qui touchent notre génération. La souffrance des gens, les meurtres, les viols n'y sont pas abordés. C'est pour cela que nous nous ouvrons à d'autres formes d'art. L'émergence du rap, du graffiti, de la culture hip-hop en est un exemple.» MC Kash affirme que son studio a été perquisitionné plusieurs fois et que son téléphone est sur écoute.
Désormais, refuser l'occupation «devient la norme»
Pourtant, selon M. Khurram Parvez, militant de l'association de défense des droits humains Jammu Kashmir Coalition of Civil Society, une nouvelle tendance émerge au sein de la société. De la même manière que la génération précédente avait pris les armes dans les années 1990, celle d'aujourd'hui prend position contre l'Inde par l'écriture et par l'art. A l'époque, les Cachemiris ne voulaient déjà pas de l'occupation. Mais, à cause «des violences et des dogmes qui lui étaient associés, la résistance faisait peur, explique M. Parvez. Maintenant, l'occupation n'est plus acceptée. La refuser devient la norme». C'est pour cela qu'une musique contestataire comme le rap a explosé dans la vallée : «Il y a aujourd'hui des centaines de rappeurs», assure MC Kash. Quant aux plates-formes en ligne qui dénoncent le conflit, Shah assure qu'elles fleurissent.
Cette nouvelle génération se rassemble autour de projets. En témoigne le documentaire Bring Him Back (Ramenez-le). Sorti en 2015, il raconte la lutte de la mère de Maqbool Bhat, figure emblématique du JKLF, qui essaye de faire rapatrier la dépouille de son fils, pendu dans la prison de Tihar, en Inde. Le film a été réalisé par Fahad Shah, l'affiche par Syed Mujtaba Rizvi, et MC Kash a donné une de ses chansons dédiées au résistant. Plus qu'une simple collaboration, ce film montre l'unité idéologique de cette génération, qui mêle l'art, la culture et l'information pour combattre l'occupation. En 2015, la première bande dessinée de la vallée voyait le jour : Munnu : A Boy from Kashmir. Son auteur, Malik Sajad, un ami de Rizvi, y retrace son enfance tumultueuse, en prise quotidienne avec le conflit.
Depuis 2010, la résistance numérique et culturelle connaît une vraie effervescence, parce qu'elle permet d'échapper à la répression physique violente et au contrôle, omniprésents.
Raphaël Godechot
In Le Monde diplomatique


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