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Manhattan Transfer
Un grand roman de Dos Passos nous parle de la naissance du New York de Wall Street. A relire en cette veille du 1er mai
Publié dans La Tribune le 30 - 04 - 2009

Quelle idée avez-vous de New York depuis que la crise en est partie, secouant le monde en séismes financiers et en répliques ? Je sais bien que les choses se décident à Washington mais tout nous montre que le centre se trouve à New York et pas seulement le centre de l'économie américaine. New York… Cette ville ne fut pas toujours ainsi et face à la vieille Europe elle a dû venir, au jour, au monde avant de le dominer. Quand cela s'est-il passé et comment ?
Pas dans les livres d'histoire ni dans les documents académiques trop secs, trop cadrés par les critères universitaires et les enjeux idéologiques. Cette historie de crise m'a remis en mémoire un roman, un des plus beaux romans américains Manhattan Transfer de John Dos Passos. Pas seulement parce que Dos Passos y introduisait ses innovations esthétiques qui contribuèrent au cachet de la littérature américaine. Pas seulement parce que Dos Passos donne de New York une image fabuleuse et qu'il en détruit ou en construit le mythe. Manhattan Transfer nous plonge – littéralement – dans ce New York du début du XXe siècle à travers une série de personnages dont le destin restera solitaire tout au long du roman comme celui de Bud Korpenning ou dont les vies vont se croiser et se séparer pour se retrouver comme celui d'Hellen et de Jimmy Herf. Roman foisonnant. New York n'a encore basculé d'aucun côté, sous le pouvoir d'aucun camp social. Ville en bois ou en briques, elle vit essentiellement par le port où débarquent des marchandises mais aussi des espérances, des rêves d'argent et d'enrichissements, des utopies sociales ; une ville qui gagne sans cesse sur sa ceinture rurale. Une ville de loups et de requins qui ne pensent qu'à s'enrichir, spéculer, dominer la ville. Une ville de laissés-pour-compte qui tentent de s'en tirer par une affaire, par un coup de dés, par une aubaine inespérée. Une ville de fugitifs qui prennent la ville pour la meule de foin qui sauve l'aiguille. Mais aussi une ville d'hommes et de femmes qui la croient capable de donner leurs chances aux valeurs de création, de spiritualité, d'altruisme et de convictions socialistes. Entre ces virtualités, le combat n'est encore gagné pour aucun camp.
Inutile et trop fastidieux de vous reprendre tous les personnages qui peuplent le roman. Ils sont trop nombreux et tous dans des trajectoires fascinantes. Mais deux d'entre eux peuvent servir de trame essentielle. D'abord Hellen Tatcher. Ensuite Jimmy Herf. Le roman commence quasiment avec la naissance d'Hellen. Sa mère fragile et son père, petit employé intègre, comptable, vont essayer de lui donner une éducation complète où la musique et le théâtre auront une importance capitale. Jimmy, né à New York d'un amour dont on ne sait rien d'autre qu'il fut un amour puissant reviendra dans la ville et perd sa mère. Au milieu d'une famille riche dont il supportera mal la culture, les ambitions, les idées il se construira d'autres convictions, d'autres intérêts et deviendra journaliste.
Tous les autres personnages présentent un vif intérêt. Ils sont de tous types. Bun Korpenning qui arrive en fugitif. Emile le Français qui tient à faire son trou et Congo, son copain italien, qui reprend la mer, Baldwin l'avocat qui veut se construire une carrière sans s'encombrer de trop de scrupules. Les arrivistes immensément riches et aux fortunes douteuses qu'on retrouve toujours accoquinés de militaires et de demi-mondaines. Merivale allié de Jimmy Herp qui tente de construire les premières alliances politiques avec les autres riches pour faire barrage aux «étrangers» et aux juifs qui, à cette époque, en Amérique, représentaient plus les idées socialistes que les autres groupes sociaux. Oglethorpe qui se déclasse mais par amour pour l'art etc.
Dans ce New York, deux avenues ou deux boulevards vont «se faire» un nom encore très local : Wall Street et Broadway. Nous suivons leur marche vers leur statut dominant par le chassé-croisé des personnages qui rejoindront leurs camps définitifs au bout d'incertains conflits ou de réticences honteuses. Hellen se mariera d'abord avec Oglethorpe qui lui frayera son premier chemin au théâtre mais éprouvera une attirance irrésistible pour des gens riches comme Stan ou comme G. Baldwin l'avocat sans scrupules. Mais Cassie, sa colocataire dans un logement qui abrite une tribu de paumés, tient à être une artiste tout entière vouée à la dimension spirituelle de son art, la danse. Elle le paiera cher, avec son amoureux d'abord qui trouve qu'elle fait trop de chichi. Cassie restera dans l'affreux appartement alors que Hellen, devenue Elaine avec Oglethorpe, va devenir Ellie avec le jeune et richissime Stan, naviguera de grand hôtel en grand hôtel.
Congo reviendra régulièrement à NewYork pour claquer son fric avec Emilé, serveur dans un restaurant et qui entreprend une veuve héritière d'un petit commerce florissant. Sur le port arrivent toujours de nouveaux migrants.
Par Baldwin et par Hellen, par Merivale nous voyons la progression du pouvoir de l'argent dans la ville.
La bourgeoisie se forge lentement mais sûrement ses instruments de domination. Dans la ville, les syndicats lui tiennent encore tête et les idées socialistes sont solidement implantées. Hellen finira par rencontrer Jimmy Herf, ami de Stan. Ils se marieront. Jimmy, issu de la bourgeoisie mais qui n'en partage pas les idées ni les ambitions, qui a encore dans son compte les reliquats de son héritage, est déjà journaliste. Le mariage d'Hellen et Jimmy constituera un point de bascule dans le roman. On peut penser dès lors qu'Hellen, Elaine, Ellie symbolise New York et qu'elle s'est donnée aussi bien à l'artiste Oglethorpe qu'à l'enfant doré Stan, qu'à G. Baldwin le peu scrupuleux, qu'à Jimmy l'idéaliste. Cela coïncide avec la montée des périls en Europe avec l'approche puis le déroulement de la Première Guerre mondiale. Cela coïncide avec les premières escarmouches entre ouvriers et patrons à New York. John Dos Passos nous déroule avec un luxe inouï des détails comment se trament les rapports de groupes, comment se combinent des facteurs multiples et hétérogènes qui façonnent peu à peu New York dans une extraordinaire complexité des sentiments, des ambitions, des hésitations. Rien n'est joué pour personne dans cette ville en transmutation et à tout moment tout peut basculer pour tous. Dans la mort. Dans la faillite. Dans l'échec amoureux. Dans le suicide. Dans la trahison. Wall Street est en train de devenir Wall Street. Dans le combat qui se déroule implacablement, la bourgeoisie New-yorkaise impose sa domination. Les salons, les clubs, les restaurants sélects sont autant d'endroits dans lesquels se constituent les réseaux qui deviendront des forces influentes et capables d'agir sur le terrain. Les alliances se nouent alors que la Première Guerre mondiale vient de donner paradoxalement au regard de la révolution bolchevique un coup fatal aux perspectives socialistes.
Dans tout ce roman il n'est pas question d'analyse politique bien sûr. Ces luttes et ces transformations, vous les voyez à travers le destin des personnages, leurs actes, leurs drames, leurs bifurcations, leurs hésitations ou leurs paroles. C'est cela la marque de la littérature américaine. Elle n'est pas bavarde, elle s'attache aux faits, aux gestes, aux vêtements et aux attitudes. Existe-t-il un lien entre la fortune du béhaviorisme, l'héritage de l'empirisme anglais et cette façon d'écrire que s'est donnée la littérature américaine ? Je ne le sais pas vraiment bien que je soupçonne quelques rapports.
Hellen ne restera pas avec Jimmy. Hellen sera trop attirée par les lumières des buildings naissants dans l'après-guerre.
Le roman se termine par la séparation de Hellen et de Jimmy. Elle se rendra dans une soirée dans laquelle est présent Baldwin, une soirée dans laquelle elle jouera ce rôle enfin attendue d'elle de ne plus exister que pour ces hommes qui ont gagné la bataille. Jimmy ira dans une autre soirée puis résistant aux avances d'une fille, il partira. L'aube le surprendra, les pieds en cloques sur une route vers les dernières limites de New York avec un quart de dollar en poche, son dernier argent. Il demandera à un chauffeur de le prendre en stop. Pour où ? , demandera le chauffeur. Pour loin, le plus loin possible. Le départ de Jimmy signe la défaite de ses idées de gauche, celles de Dos Passos certainement. New York est dans les mains et les bras des Baldwin.
John Dos Passos ne nous raconte pas seulement dans ce livre des destins croisés, des luttes, des espérances et des appétits. Son écriture est d'une beauté à couper le souffle. Il a un sens du détail, des lumières et des couleurs, des gestes les plus anodins pour créer des atmosphères, des épaisseurs aux personnages, pour nous donner à voir des scènes. Ecriture très visuelle qui transforme New York elle même en personnage. Non pas ville cadre d'une action, mais ville en action. Je ne pense pas avoir lu un texte qui rende aussi bien une ville hormis les romans d'Aragon pour Paris. Manhattan Transfer est aussi, à mes yeux, le texte dans lequel les innovations de Dos Passos passe le mieux, ont le plus d'effets en tout cas plus que dans la Grosse Galette par exemple. Roman politique par excellence Manhattan Transfer ne ne se commet jamais à parler directement de politique. Les vrais enjeux de la politique se déroulent dans cette infinité de petites batailles sourdes, souterraines qui finissent par donner la victoire à un groupe ou à
un autre.
Il nous parle des mouvements profonds qui agitaient cette ville, pas de la représentation que s'en faisaient les hommes. Bien sûr, il construit ainsi sa propre représentation. Il construit une contre-représentation dans laquelle aucune fatalité ni aucune essence n'entrent en jeu. Tous ces hommes broyés, cassés ou atteignant les plus hauts sommets, sont les produits de leur propre histoire, celle qu'ils ont faite. Face à cette crise partie de New York, Dos Passos se lève comme le témoin que tout n'est pas affaire de circonstances. La main de l'homme peut beaucoup faire.
M. B.
Biographie de John Dos Passos
Né le 14 janvier 1896, décédé le 28 septembre 1970, d'origine portugaise, John Dos Passos étudie à Harvard. A seize ans il signe ses premiers poèmes et publie des critiques littéraires pour la revue Harvard Monthly. Il se rend en Espagne pour étudier l'architecture et en France pour l'anthropologie. Il participe à la Première Guerre mondiale en Italie et en France comme ambulancier. Il écrit Initiation d'un jeune homme (1920) et Trois soldats (1922) en Espagne.
Il entre en journalisme comme reporter en Espagne, au Mexique et au Proche-Orient, il écrit deux romans sur New York, les Rues de la nuit (1923) et le célèbre Manhattan Transfer (1925). Il publie en 1938 la trilogie USA, qui comprend le 42e Parallèle (1930), l'An premier du siècle (1932), la Grosse Galette (1936). Très engagé, Dos Passos soutient Saco et Vanzetti en publiant Face à la chaise électrique en 1927, défend la cause des mineurs, des prisonniers politiques, et, enfin, du Vietnam. L'écrivain désabusé mais solidaire et idéaliste publie un roman autobiographique en 1951, Le pays que j'ai choisi.
Dos Passos assumera jusqu'au bout son idéal socialiste
Traductions françaises de John Dos Passos
Manhattan Transfer (Gallimard – 1976)
Devant la chaise électrique : Sacco et Vanzetti, histoire de l'américanisation de deux travailleurs étrangers (Gallimard – 2009)
La Grande Epoque (Gallimard – 2007)
Lettres à Germaine Lucas-Championnière (Gallimard – 2007)
USA (Gallimard – 2002)
La Belle Vie (Gallimard – 2002)
L'Initiation d'un homme : 1917 (Gallimard – 1997)
42e parallèle (Gallimard – 1986)
La Grosse Galette (Gallimard – 1986)


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