Manifestement, l'accord entre l'Iran, la Turquie et le Brésil visant à désamorcer la crise du nucléaire iranien n'a pas convaincu Washington et ses alliés occidentaux rejoints par la Russie. La Chine, même si elle a accepté le principe de la résolution, reste en attente des résultats du «dialogue stratégique économique» engagé hier avec les Etats-Unis. Pour Hillary Clinton, le projet de résolution contre l'Iran est un «message clair» que devront comprendre les responsables iraniens au risque de se voir isolés sur la scène internationale. La secrétaire d'Etat américaine a estimé hier à Pékin que le projet de résolution à l'ONU contre l'Iran, accepté notamment par la Chine, enverrait «un message clair» à Téhéran. «Le projet de résolution sur lequel se sont mis d'accord tous les partenaires du groupe des 5+1», les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et l'Allemagne, envoient un message clair à la direction iranienne. «Respectez vos obligations ou affrontez un isolement croissant et les conséquences», a déclaré Hillary Clinton. La chef de la diplomatie américaine s'exprimait à l'ouverture du «Dialogue stratégique et économique», une rencontre annuelle bilatérale, se tenant cette année à Pékin. «La perspective d'un Iran doté de l'arme nucléaire nous inquiète tous. Et pour résoudre cette menace, ensemble nous avons mené une double approche : engagement et pression, visant à encourager la direction iranienne à changer de voie», a-t-elle souligné. «Puisque nous continuons de coopérer à New York, il incombe à l'Iran de démontrer par ses actions qu'il va être à la hauteur de ses responsabilités», a-t-elle ajouté.Après des mois de discussions diplomatiques, les Etats-Unis sont parvenus, la semaine dernière, à convaincre la Chine et la Russie de soutenir le projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour un quatrième train de sanctions contre l'Iran. Visiblement, la Russie et la Chine ont arraché des contreparties de ce fléchissement de positions, notamment en ce qui concerne les dossiers de l'OTAN et son projet d'implantation dans les ex-Républiques soviétiques indépendantes et le dossier du Tibet dont les ingérences occidentales agacent Pékin. Le Conseil de sécurité a examiné la semaine dernière le nouveau projet de sanctions pénalisant l'Iran pour son programme nucléaire. Les cinq membres permanents (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne) et l'Allemagne constituent le groupe de six grandes puissances chargées du dossier nucléaire iranien. Les puissances occidentales accusent l'Iran de chercher à se doter de l'arme nucléaire. Téhéran nie, affirmant ne vouloir développer que sa puissance nucléaire civile. Rappelons que l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a été informée dimanche dernier de l'accord sur l'échange d'uranium signé entre l'Iran, le Brésil et la Turquie, dans un effort pour résoudre la question nucléaire iranienne, ont rapporté dimanche dernier des médias. Selon la chaîne de télévision iranienne Press TV, le chef de l'AIEA Yukiya Amano a reçu dans la journée une lettre envoyée par l'Iran, l'informant de la proposition d'un échange de combustible nucléaire prévu dans l'accord conclu avec la Turquie et le Brésil. L'AIEA avait appelé l'Iran à confirmer par écrit cet accord qui prévoit d'informer l'agence onusienne dans un délai d'une semaine, à partir de la date de sa signature. L'accord en question a été conclu la semaine dernière à Téhéran entre les ministres des Affaires étrangères iranien Manouchehr Mottaki, brésilien Celso Amorim et turc Ahmet Davutoglu. Il prévoit l'échange en Turquie d'uranium faiblement enrichi (3,5%) iranien contre du combustible enrichi à 20% fourni par les grandes puissances et destiné au réacteur de recherche à Téhéran. Bien que Moscou ait exprimé son accord pour le projet de résolution contre l'Iran, Mahmoud Ahmadinejad continue à espérer que la Russie soutiendra l'accord conclu avec la Turquie et le Brésil. Le président iranien a déclaré dimanche dernier que son pays attendait que la Russie défende l'accord de l'Iran avec la Turquie et le Brésil pour échanger une partie de son uranium faiblement enrichi en Turquie en échange de combustible pour son réacteur de recherche. «Nous attendions d'un pays voisin et ami [ndlr : la Russie] [qu'elle défende] la déclaration de Téhéran», a précisé M. Ahmadinejad en référence à cet accord tripartite alors que la Russie vient d'apporter son soutien aux sanctions contre l'Iran que Washington tente de faire voter par le Conseil de sécurité de l'ONU pour ses activités nucléaires. «Si j'étais à la place des responsables russes, j'aurais pris position en faisant plus attention», a ajouté le président iranien à l'issue du Conseil des ministres, selon l'agence de presse Isna. Après des mois de discussions, Washington a réussi cette semaine à arracher un compromis à ses quatre partenaires permanents du Conseil de sécurité en vue d'un quatrième train de sanctions contre Téhéran. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a confirmé, lors d'un entretien téléphonique avec la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, l'accord de Moscou au projet de résolution. Les grandes puissances accusent l'Iran de chercher à se doter de l'arme nucléaire. Téhéran nie, affirmant ne vouloir développer qu'un programme nucléaire civil. Les observateurs s'interrogent cependant sur l'attitude iranienne qui continue à tenir tête aux puissances mondiales. Même l'opposition iranienne s'est impliquée dans cette crise renvoyant dos à dos le gouvernement iranien et l'Occident. Mir Hossein Moussavi, leader de l'opposition, a dénoncé à la fois les sanctions que veulent imposer les grandes puissances à l'Iran pour sa politique nucléaire et «l'aventurisme» du gouvernement en politique étrangère, a rapporté hier son site kaleme.com. «Ces jours-ci, on parle de sanctions contre notre nation. Nous pensons que la situation actuelle résulte de la mauvaise gestion et de l'aventurisme en politique étrangère, mais nous ne pouvons pas être d'accord avec des sanctions qui affectent la vie des gens», a déclaré M. Moussavi lors d'une rencontre avec des familles de militaires tués lors de la guerre Iran-Irak (1980-88). «Sans renoncer à nos revendications, nous nous tenons aux côtés de la nation», a ajouté l'ancien Premier ministre de l'imam Khomeiny durant la guerre Iran-Irak, devenu le principal opposant au président Mahmoud Ahmadinejad depuis la réélection contestée de ce dernier en juin 2009. Finalement, que reprochent les puissances occidentales à l'accord tripartite conclu à Téhéran lors du sommet du G15 ? La Turquie étant l'alliée stratégique de l'Occident et le garant des intérêts géopolitique de l'OTAN dans la région du Moyen-Orient. Le Brésil étant membre du G20, ayant toujours opté pour une politique internationale modérée et conciliante et jouissant d'une crédibilité avérée aussi bien auprès de l'Occident que des pays musulmans. Cet accord aurait-il été perçu comme un affront de l'Iran face aux injonctions des 5+1 ? Ou s'agit-il d'une crainte des puissances occidentales de voir deux pays émergents, en l'occurrence la Turquie et le Brésil, occuper le haut du pavé de la diplomatie internationale au moment où les puissances nucléaires connaissent un recul et une crise économique qui menacent leur suprématie dans tous les domaines ? L'hypothétique menace nucléaire iranienne serait-elle plus imminente que la menace réelle qu'Israël fait peser sur la paix et la stabilité au Moyen-Orient ? Le dossier du nucléaire iranien met à nu, au-delà des enjeux et intérêts, l'attitude de deux poids, deux mesures des puissances qui se présentent comme un arbitre des conflits mondiaux. A. G.