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«Malville, malvie, rumeurs, absence de dialogue, manque de relais et instances officielles boudées»
Le Dr Safar Zitoun Madani, sociologue, fait la lecture des émeutes
Publié dans La Tribune le 12 - 01 - 2011


Photo : Riad
Entretien réalisé par Karima Mokrani
La Tribune : Vous êtes sociologue urbain. Quelle lecture faites-vous des émeutes qui se sont déclarées, ces derniers jours, dans plusieurs villes du pays ?
Dr Safar Zitoun Madani : Pour commencer, je vous raconte un fait que j'ai vécu personnellement. Il y a quelques années, j'étais avec un groupe d'experts internationaux qui devaient se réunir pour une séance de travail autour de la mise en œuvre d'un programme social. Le respensable du groupe m'a rapporté que le ministre (qui n'est plus en exercice), apprenant de sa bouche qu'il y avait un sociologue dans le groupe, répondit : «Quand j'entends le mot sociologue, je rigole», a-t-il dit. C'est pour vous dire le mépris que développent certains de nos dirigeants envers les sociologues. On ne fait appel au sociologue qu'après une explosion. Après coup. Or, ce qui aurait été rationnel, c'est d'intégrer les sciences sociales dans les projets de développement dès leur conception même. Consulter les gens qui travaillent sur la société, qui font des recherches et des études, avant de prendre un certain nombre de décisions. C'est pour éviter justement un certain nombre de situations, extrêmement difficiles à redresser et à contrôler.
Considérez-vous donc ce qui s'est passé est d'une extrême gravité ?
Ce qui s'est passé est extrêmement grave parce qu'il a touché dix-huit wilayas du pays. Les émeutes se sont déclenchées dans des lieux diversifiés. Le problème pour nous, les sociologues, c'est que, pour le moment, nous ne disposons pas d'informations, de données précises pour pouvoir faire une lecture juste de ce qui s'est passé. Certains disent que les jeunes émeutiers sont des adolescents, âgés entre 14 et 15 ans. D'autres avancent que parmi eux certains étaient âgés entre 30 et 35 ans. Nous n'avons pas de données précises sur la répartition géographique. Aussi, nous nous demandons si ce sont les jeunes des quartiers qui ont fait ces émeutes ou ce sont d'autres venant d'autres quartiers.En tant que sociologue urbain, ce qui m'intéresse justement, c'est le fait que ces émeutes ont eu lieu dans des villes. Ce qu'on appelle la violence urbaine. Il y a toute une littérature sur ce phénomène. Durant les années 70-80, des émeutes ont eu lieu dans un certain nombre de quartiers en Angleterre. Il y a aussi les émeutes Watts, à Los Angeles (Etats-Unis). Les émeutes urbaines en France. Il y a aussi nos émeutes comme celles qui se sont produites en octobre 1988. Chez nous, les émeutes urbaines sont un phénomène récurrent. Ça n'a jamais cessé. La presse rapporte souvent des informations faisant état de routes fermées, de pneus brûlés… pour des problèmes de coupures d'électricité, de chaussées non entretenues, etc. Le phénomène de l'émeute, j'allais dire, est ordinaire. Ça se banalise dans le paysage revendicatif algérien.
Mais ça n'atteint pas le niveau de violence des émeutes de ces derniers jours…
Les émeutes sont une sorte d'appel lancé par les populations quand elles voient que les canaux de communication avec les responsables locaux et autres décideurs sont coupés. C'est une forme de revendication à travers laquelle la population demande de l'écoute. «On ne nous écoute pas, donc on agit. On casse. On provoque des troubles pour qu'on vienne nous voir et prendre en considération nos doléances.» Ce sont donc des émeutes quotidiennes, récurrentes qui expriment la malvie des jeunes. Ce que nous appelons aussi la mal-ville. La ville est mal aménagée, manque de commodités, etc.Ce sont les jeunes qui vont au charbon. Les parents, derrière, laissent faire. Une sorte de pacte tacite. Les adultes se disent que c'est peut-être de cette manière-là que les choses
vont aboutir.Cette forme de protestation, c'est la manière par laquelle réagissent les populations qui se considèrent en marge du développement. Des populations qui vivent dans des cités de la périphérie, sans commodités, sans considération des autorités locales. Les populations se sentent négligées, elles essaient donc d'attirer l'attention. Ceux qui manifestent veulent dire la chose suivante : «Nous voulons plus de villes, plus d'urbanité. Nous voulons que notre quartier soit mieux considéré, mieux pris en charge. Nous n'acceptons pas d'être des laissés-pour-compte.» Le manque de dialogue entre les gouverneurs à tous les niveaux et les populations provoque ces émeutes. C'est une sorte de demande de participation. De démocratie. A ces problèmes d'ordre local s'ajoutent d'autres d'ordre général. Par exemple, le chômage. Des jeunes font des émeutes parce qu'ils sont sans boulot. Pour les émeutes de ces derniers jours, les augmentations des prix des produits de large consommation furent l'élément déclencheur.
Ces émeutes ont commencé à Fouka, dans la wilaya de Tipasa. Comment expliquez-vous cela ?
Je pense que ce n'est pas par hasard si cela a démarré à Fouka. C'est un quartier qui a subi une opération de rénovation durant les années 90, mais cette opération n'a pas été menée à terme. C'est aussi un quartier où habite une population assez marginalisée. Ce qui est important, c'est que les gens se connaissent entre eux. Il y a une sorte de culture collective.A Bab El Oued, il faut rappeler que depuis les inondations de 2001, il y a eu plusieurs opérations de relogement. Et comme dans chaque opération de relogement, il y a des familles qui en bénéficient les premières et d'autres qui sont dans l'attente. Il y a ainsi un terrain favorable au développement de la rumeur. Les gens entendent dire qu'ils n'auront pas de logement. C'est la rumeur qui joue un rôle fondamental en tant qu'élément
fédérateur.
Pourquoi ces émeutes ont-elles atteint un tel degré de violence ?
Ce n'est pas propre à nous. Les émeutes de Watts étaient d'une grande violence. Celles qui ont lieu en France aussi. Il y a eu beaucoup de dégradations de biens, beaucoup de voitures incendiées. Ce qui est particulier chez nous, c'est que les émeutiers ont ciblé tout ce qui représente l'Etat, mais aussi tout ce qui représente la réussite sociale et économique. Ce qui est symbole de la réussite et symbole de l'économie formelle. C'est une hypothèse que je formule.
Comment interprétez-vous cela ?
Au-delà des frustrations et des conditions de malvie, cette jeunesse est née dans les années 90. Les années du terrorisme. Dans des quartiers où s'est développé, dès leur jeune âge, le mépris de l'Etat : «L'Etat est une entité malfaisante, nos gouvernants des impies…» Il y a dans l'imaginaire collectif cette image négative de l'Etat dans lequel les jeunes ont été socialisés.
Et pour ce qui est du symbole de l'économie formelle ?
Le problème qui se pose, c'est que l'Etat - les décideurs - a voulu nettoyer la ville du commerce informel sans s'interroger sur sa structuration. Il a tapé sur les gens qui sont au bout de la chaîne, les petits vendeurs, alors que ce commerce informel est un système qui inclut une organisation extrêmement complexe (des importateurs, des grossistes…). Les opérations d'éradication de l'informel ont été menées de façon à produire plus de rancœur. L'Etat a créé des situations que les jeunes considèrent comme un déni de droit. Dans nos villes, en dehors du secteur informel, les jeunes ne trouvent pas le moyen de gagner leur vie. Autre point commun, ces jeunes-là n'ont pas d'institutions de socialisation en dehors de la rue. Maisons de jeunes et autres. La famille comme institution de socialisation est complètement absente. Les institutions officielles sont boudées. Elles ne sont pas fréquentées par ces jeunes parce qu'elles ne répondent pas à leurs besoins. Nous avons donc affaire à des jeunes qui vivent dans la rue.
Livrés à eux-mêmes…
Non, pas livrés à eux-mêmes. Les jeunes ne sont jamais livrés à eux-mêmes. Ils se construisent des microsociétés dans la ville, ce n'est pas nouveau. A New York, par exemple, il y a eu une étude appelée «La société du coin de la rue» qui montre comment se structure la population des jeunes dans la rue. Les jeunes font construire leurs propres réseaux d'amitié, réseaux commerciaux. Il y a une hiérarchie, des jeunes qui sont des leaders et d'autres qui obéissent. C'est une contre-société qui se met en place. Elle vit dans la rue et par la rue. C'est une société à part qui fonctionne selon ses règles, ses lois, ses normes.Troisième point, c'est le manque d'institutions relais entre le pouvoir et les populations. Peut-être que nos décideurs pensent bien faire en procédant, à leur manière, au relogement des familles. 10 000 familles relogées sur 45 000, c'est quand même important en un laps de temps aussi court. Le problème, c'est peut-être qu'il fallait introduire des instances de participation où sont représentés les concernés. Il fallait les mettre directement dans le coup pour ne pas laisser se développer la rumeur. Encore une fois, c'est la communication qui pose problème et ce n'est pas uniquement algérien. Dans tous les pays du monde, les opérations d'intervention dans les villes, dans les sites urbains, sont très lourdes et créent des effets collatéraux qu'il fallait prévoir dès le départ.Le quatrième point important, c'est que le politique, le système politique de type représentatif - pas seulement chez nous - est complètement remis en cause. Il fonctionne de manière à ce que les besoins des populations ne parviennent pas aux instances élues.
Pensez-vous que le gouvernement, en prenant les décisions annoncées après les émeutes, a reculé devant les lobbies de l'informel ?
Je ne peux pas me prononcer sur la question. Vous savez, les pouvoirs doivent calmer les choses. On ne peut pas laisser la spirale des émeutes se développer de manière indéfinie.


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