Les écrivains, les artistes, les intellectuels, les élites qui produisent du sens, des idées, des éclairages pertinents sur leur pays, sur le monde, qui imaginent, font douter et rêver, critiquent, s'indignent et «renvoient l'ascenseur» à leur société qui les crédibilise, les légitime et les encense, existent depuis toujours. La liste des écrivains, des cinéastes, des poètes, des dramaturges et universitaires américains qui se sont engagés est très, trop longue. Contre la chasse aux progressistes, opposés aux guerres (Vietnam, Irak, Panama, Cuba, etc.) menées par leur gouvernement, des élites made in America, fort talentueuses, très célèbres, ont mis leur carrière et l'avenir de leur famille en jeu pour dire non à l'injustice, à l'autoritarisme, au racisme, à la corruption dans leur pays et dans le monde en faisant pression sur leur gouvernement et leur parlement. Ils s'occupent, en fait, de ce qui les regarde. Contre la colonisation, le peuple algérien a trouvé à ses côtés des philosophes, des écrivains, des artistes, des universitaires, des dramaturges, des journalistes français. Ils ont pris tous les risques, allant même à devenir des… porteurs des valises du FLN de guerre, à héberger des fellaghas en «situation irrégulière» ou recherchés par la police française.Durant la guerre de libération nationale, les Algériens ont trouvé à leurs côtés des intellectuels, des artistes, des anonymes en Tunisie et en Egypte. Des milliers d'Algériens, chassés par le colonialisme qui avait brûlé leurs villages et leurs dechras, ont trouvé refuge, aide et assistance sur le sol tunisien. Si certains ont la mémoire courte et si des «élites» souvent de contrefaçon se taisent lorsque tombent des Tunisiens et des Egyptiens (et demain ailleurs, qui sait ?), la majorité de ce pays se souvient, du moins une ou deux générations. Le silence complice de ceux en qui, trop longtemps, la jeunesse algérienne a placé sa confiance, ses espoirs en faisant d'eux des modèles artistiques et des intellectuels censés éclairer le chemin, est devenu intolérable et ressemble de plus en plus à du «faux et usage de faux». Devant les souffrances des peuples arabes, algérien y compris, les massacres et destructions orchestrés par les régimes égyptien et tunisien, devant la chasse aux nationaux égyptiens et algériens chrétiens ou simplement non jeûneurs, l'aphasie des artistes et intellectuels est effarante. Or, il y a une réelle accélération des évolutions politiques, donc culturelles dans le monde arabe. Les issues sont, certes, encore incertaines, mais la mémoire collective et la jeunesse ne sont pas stériles. Seul Amine Zaoui résiste. A un moment important (février 2011) pour la démocratie, les libertés d'expression, de création, du culte dans le monde arabe, que bricole-t-on dans les «hautes sphères» qui gèrent la culture nationale ? Un projet de film sur Krim Belkacem, du réalisateur Ahmed Rachedi, est en attente depuis plus de deux ans. Pourquoi ? Tout d'abord, il est désormais impossible aujourd'hui et demain de faire des films de fiction dans lesquels Abane, Boudiaf, Krim Belkacem, le colonel Chaabani et tant d'autres seraient des martyrs tombés au champ d'honneur. Inacceptable pour les pygmées de la censure algérienne. Pour le film sur Krim Belkacem, qui engage tous les créateurs algériens, tous les fonctionnaires de la censure sont sur le front. Le ministère des Moudjahidine joue la montre. Mais cette administration n'a aucune légitimité, aucune compétence pour s'ingérer dans les champs de l'art, de la fiction et de la création. L'histoire avec un grand H appartient aux seuls historiens et la création aux seuls créateurs. L'article 6 de la loi sur le cinéma fait déjà des victimes et viendront bientôt des contestations ici et à l'étranger. Le scénario de A. Rachedi a été aussi soumis au Centre d'études historiques sur la guerre de libération qui a fait des «recommandations». Ce centre, dont la liste des scénaristes et des historiens reconnus par leurs pairs en Algérie et dans le monde qui le composent, est inconnue, n'a aucune compétence et aucune légitimité en la matière, car, comme toute administration, il obéit à sa «tutelle». Mais que disent donc le CNCA, le CDC et le CADC ?Réveillez-vous, les gars ! De jeunes créateurs, dans toutes les disciplines, vous regardent. Si une génération accepte des censures stupides, hors du temps et en violation de la Constitution, les suivantes seront obligées de reprendre le combat en maudissant les censeurs et leurs complices. A. B.