Même mort, Mohamed Merah, le tueur vaguement illuminé de Toulouse, a trouvé le moyen de tirer une dernière balle. Le projectile, une clé USB, envoyée par la poste, a fait mouche : il a touché le cœur de cible, l'image même d'Al Jazeera. Ce grand network qatari, qui ne reculait devant rien, pas même devant l'horreur indicible, a refusé de diffuser les images des crimes du jeune serial killer français, filmés par lui-même, avec une caméra auto-sanglée. Officiellement, la chaîne a notamment pris sa décision «conformément à son code d'éthique». En apparence, Al Jazeera, contexte électoral français oblige, semble avoir répondu aux suppliques des familles des victimes. Elle a surtout cédé aux injonctions et aux pressions des principaux candidats aux élections présidentielles. Nonobstant les intérêts financiers qataris en France et l'amitié très intéressée entre l'émir du Qatar et le président-candidat Nicolas Sarkozy, la décision d'Al Jazeera exprime, in fine, une crainte évidente de compromettre sa présence en France. Cette inquiétude est d'autant plus réelle que le Parquet de Paris avait annoncé un référé pour interdire la diffusion d'images légalement litigieuses, moralement répréhensibles et psychologiquement insoutenables. S'abstenir de diffuser de telles images, n'est pas en soi sujet à caution. Le respect de la douleur et du deuil des familles éplorées vaut bien une attitude de retenue, somme toute parfaitement normale. C'est plutôt l'invocation de «son code de l'éthique» et l'auto-affirmation de «ne pas être une chaîne de sensationnel» qui auraient prêté à sourire si le sujet n'était pas aussi tragique. En outre, la chaîne feint d'ignorer qu'elle a une vision à géométrie variable de la déontologie et une conception tout à fait sélective et très élastique de l'éthique. N'est-ce pas cette station qui a déjà diffusé, à profusion et ad nauseam, des images insoutenables et d'une inexpressible barbarie ? Décapitations, démembrements, égorgements, massacres, cadavres en série et en décomposition : le catalogue de la boucherie a souvent servi, sans gêne aucune, de banque d'images sensationnelles pour une Jazeera qui se veut sérieuse et sobre. Les images des tueries en Libye, celles de la mort de Kadhafi et des processions autour de sa dépouille mortuaire, la pendaison de Saddam Hussein, ou encore les enfants palestiniens écrasées par les bombes de l'armée israélienne, en sont un illustratif échantillon. Cette même télé, qui filme de l'œil gauche ce qu'elle refuse d'enregistrer de l'œil droit, s'était funestement distinguée en posant une question sondagière sur le bien-fondé des attentats terroristes en Algérie. «êtes-vous pour les attentats ?», telle était alors l'infâme question. La même chaine diffusait des vidéos d'AQMI annonçant des attentats criminels par la formule macabre «naboutthou lakoum hadihi él bouchra.» Al Jazeera, qui invoque, avec sérieux, l'éthique, c'est comme si, de son temps, la célèbre Mme Claude des nuits chaudes parisiennes, allait enseigner la vertu dans un couvent de pucelles. N. K.