L'économiste, banquier et directeur d'un fonds d'investissement international, du groupe de la Banque islamique du développement, Anisse Terai, dans un entretien accordé au quotidien national " Liberté " a décortiqué la situation des banques algériennes publiques qui sont réduites au statut de caisses. Selon le même intervenant, le passage brusque des banques publiques d'une situation de surliquidité à une situation de sous-liquidité constitue un malaise profond pour les banques. En effet, la Banque d'Algérie est intervenue de différentes manières pour renflouer les caisses des banques commerciales, y compris par l'intermédiaire de l'Open market et du réescompte. Et de préciser : " Le gouvernement a lui aussi contribué à cet effort par le biais du Trésor, notamment avec l'autorisation du financement non-conventionnel et l'emprunt obligataire qui a été lancé il y a quelques années. Toutes les interventions déployées ces dernières années pour le financement des banques et de la dépense publique ont une chose en commun : elles relèvent toutes du financement intérieur en dinar algérien. À quelques exceptions marginales, l'État a évité ainsi d'avoir recours aux financements extérieurs en devises. En soit, c'est une bonne chose car, en l'état actuel du pays, nous n'avons pas encore la vision économique, la gouvernance, les institutions et les instruments nécessaires pour utiliser la dette extérieure comme un levier de de développement durable, alliant croissance économique, prospérité sociale et protection de l'environnement. En plus, au-delà de cette question de souveraineté, il faut d'abord capturer la liquidité locale en dinars. Les banques sont tirées d'affaire à court terme, mais en réalité la crise des liquidités n'est que l'expression d'un malaise beaucoup plus profond. Pour lui, " Les banques commerciales enregistrent un retard important en matière d'expertise et de technologie. Les services bancaires et les produits financiers proposés ne sont pas adaptés aux besoins des différents clients. Cela est particulièrement vrai pour les banques publiques, et pour cause, leurs orientations stratégiques ne sont pas bien déterminées. En plus, leur approche prudentielle et leur gestion des risques sont bien archaïques. Ainsi, les banques publiques sont inadaptées pour faire face aux réalités du marché globalisé. En ce sens, sans qu'il y ait pour autant un retour de manivelle dû aux financements non-conventionnels, les vrais problématiques du secteur bancaire algérien vont resurgir, après avoir été cachées par l'épouvantail du manque de liquidités.
Mise en cause du fonctionnement des banques algériennes et matérialisation de réformes bancaires et financières promises : Il a annoncé que " les dépôts de Sonatrach représentent une source importante de liquidités et cela pose un double problème. Tout d'abord c'est symptomatique de l'absence de stratégie d'investissement financier à Sonatrach, qui devrait diversifier ses placements et la gestion de sa liquidité en dinars et en devises. C'est aussi révélateur de la passivité des banques, publiques en particulier, qui sont réduites au statut de caisses alors qu'elles devraient contribuer activement à l'intermédiation financière à l'instar des autres institutions financières. En effet, dans le contexte algérien, les banques fournissent très peu d'efforts aussi bien pour lever des fonds, notamment par la collecte de l'épargne, que pour utiliser ces fonds afin de financer l'économie, notamment les investissements du secteur économique et la consommation des ménages. Elles prennent très peu d'initiatives et se contentent, d'une manière générale, de recevoir l'épargne des entreprises publiques et de financer les importations. Il est temps d'entamer une véritable réforme du secteur bancaire avec comme objectif principal de stimuler le secteur bancaire pour qu'il soit au service du développement durable du pays. Cela passe par la modernisation de la Banque d'Algérie, y compris dans ses missions de régulation et de supervision, afin qu'elle puisse à la fois agir avec plus d'agilité et poursuivre des stratégies de long terme. Ainsi la Banque d'Algérie pourra assurer la stabilité de la monnaie et la liquidité du marché. L'État-actionnaire doit lui aussi revoir ses priorités et sa stratégie en ce qui concerne les banques publiques qui doivent impérativement soutenir le secteur privé et les PME pour assurer la diversification de l'économie, la création d'emploi et l'inclusion bancaire.
Le système financier actuel ne mobilise pas assez de ressources et ne joue que peu son rôle d'intermédiation financière, il faut créer de nouvelles institutions financières Anisse Terai révèle en outre : " La situation de blocage actuelle relève plus du manque de vision et de l'instabilité institutionnelle, que d'un entêtement à laisser les choses en l'état. Les pouvoirs publics naviguent à vue et se refusent de développer un modèle intégré du secteur financier, qui au-delà des institutions financières devrait comprendre une bourse dynamique, des fonds d'investissement actifs et des sociétés de service financier innovantes. Dans cet état des choses, il est parfaitement compréhensible de voir les autorités se refuser à accréditer des nouvelles banques. D'autant plus que toutes les tentatives du secteur privé national pour lancer des banques ont connu des échecs retentissants. L'exercice de l'activité bancaire ne s'improvise pas ! Ceci étant dit, une réforme bancaire est plus que jamais nécessaire. Une telle démarche doit s'inscrire dans le cadre d'une vision économique cohérente, avec des politiques économiques, monétaires, fiscales et industrielles complémentaires. L'idée étant de renforcer la compétitivité de notre économie et d'améliorer notre productivité. Ce qui devrait nous permettre de capturer plus de valeur ajoutée et d'intégrer les chaînes de valeurs internationales. Pour ce faire, le gouvernement devrait lui aussi revoir ses politiques économiques et reformer l'action publique. La refondation de la gouvernance étant la clé de voûte pour transformer l'économie de rente en une économie diversifiée, productive, durable et solidaire. La Banque d'Algérie devrait aussi agir activement et plus régulièrement sur le taux d'intérêt directeur, pour assurer une position équilibrée entre la disponibilité des capitaux bon marché et le contrôle du niveau de l'inflation. Ceci s'accompagne également par une gestion active des réserves de change. La création d'un Fonds souverain pourrait offrir un outil supplémentaire pour une gestion responsable des réserves de change. C'est dans un contexte similaire seulement que le lancement des nouvelles institutions financières est possible et prend tout son sens.