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Voyage dans le monde des «loueurs de bras»
Ils viennent de toutes les régions du pays à la recherche d'un travail dans la capitale
Publié dans Le Midi Libre le 18 - 07 - 2010

Il est midi, carrefour d'Amra, Chéraga. En ce début du mois de juillet, le soleil au zénith tape sec. Plus de trente degrés à l'ombre. Le grand rond-point qui dessert chéraga, Ouled-Fayet, l'entrée de l'autoroute pour Alger ou Tipasa et l'ouverture récente de la bretelle de Douéra et qui mène aussi vers les grossistes en matériaux de construction, est très fréquenté.
Il est midi, carrefour d'Amra, Chéraga. En ce début du mois de juillet, le soleil au zénith tape sec. Plus de trente degrés à l'ombre. Le grand rond-point qui dessert chéraga, Ouled-Fayet, l'entrée de l'autoroute pour Alger ou Tipasa et l'ouverture récente de la bretelle de Douéra et qui mène aussi vers les grossistes en matériaux de construction, est très fréquenté.
Des milliers de véhicules transitent par ce point, le jour. A la tombée de la nuit, c'est une noria de camions de gros tonnage qui vient décharger leurs contenus dans les dépôts des grossistes en ciment, briques rouges, faïence ou dalles de sol, sable, rond à béton et autres matériaux qui entrent dans la composition de l'acte à bâtir. L'endroit est aussi très fréquenté par des gens qui louent leur force de travail. Une main d'œuvre qui ne réchigne pas à l'ouvrage. Ils sont de diverses régions du pays.
De l'Est, de l'Ouest et de l'Algérie profonde. A l'ombre d'un arbre rabougri, une protection dérisoire contre les effets des dards du soleil, un groupe de gens guette le moindre véhicule qui ralentit à sa hauteur. C'est là que les entrepreneurs ou simples autoconstructeurs viennent sollciter ces «loueurs de bras» pour un quelconque travail qui ne nécessite pas un "savoir faire". Ils sont des "tâcherons" payés à la tâche, selon le langage spécifique de cette catégorie de travailleurs. Ils sont employés dans l'agriculture, mais le plus souvent dans le bâtiment ou dans la manutention.
Le carrefour est un endroit "stratégique" pour de nombreux jeunes gens dans la force de l'âge à la recherche d'un travail. Il faut être fort physiquement pour exercer dans la manutention qui se fait à la force des bras. Le secteur offre bien des opportunités de travail à ces jeunes du fait de la proximité des dizaines de revendeurs de matériaux de construction qui ont élu domicile sur cet important axe routier. Décharger ou charger les mastodontes est leur spécialité.
Un travail sans savoir-faire
En un tour de main, un camion de vingt tonnes est vite soulagé de sa marchandise. Notre véhicule s'arrête au niveau de ce groupe. Aussitôt, nous sommes entourés par une dizaine de bonhommes qui croyaient avoir affaire à un entrepreneur à la recherche d'une force de travail. Ils s'enquièrent de la nature du travail que nous avons à leur proposer. Nous jouons à contrecœur le jeu. Mon accompagnateur dit qu'il a pour ce soir deux camions de vingt tonnes (2x400 sacs) de ciment à décharger. Le groupe, après des palabres, se divise en deux. Quatre pour un camion et quatre autres pour l'autre camion. Il faut négocier maintenant le prix. Les tractations sont serrées. Deux des jeunes acceptent les 1.400 DA pour un camion que nous leur offrons. Les six autres refusent et exigent 1.600 DA par camion. Comme dans toute négociation, la majorité l'emporte. Les deux autres se rangent du côté de leurs camarades et s'alignent sur leur prix. Faisant preuve de compréhension, nous acceptons leurs conditions. Marché conclu. Les détails de l'opération sont vite expédiés dans "la confiance". Un sentiment qui nous a permis d'entrer dans le fond de la pensée de ces malheureux qui, sans se faire prier, ont évoqué pour nous leurs itinéraires avant d'atterrir à cet endroit. Djebbir Karim a 32 ans et est originaire de Ain Tagouraït (Tipasa). Il est célibataire et il pointe depuis trois ans à cet endroit, qu'il pleuve, vente ou fasse beau. Le bonhomme, physiquement bien bâti, parle calmement. Ses traits fins trahissent néanmoins une profonde amertume qu'il n'arrive pas à dissimuler. Son teint basané, sans doute un effet du soleil auquel il est exposé tous les jours que Dieu fait, lui qui est né tout près des rivages de la Méditerranée, ajoute à cette impression qu'il dégage. "Je suis là par nécessité", justifie-t-il. "Dans ma ville natale, il n'y a pas de postes de travail", se désole-t-il. Il relate ses pérégrinations à la recherche du précieux sésame. Sans succès. Il a vu un espoir fondre comme neige au soleil, le jour où il a terminé un stage effectué au sein d'un quotidien en langue nationale. Karim nous apprend qu'il est diplômé en PAO (Programme asssité par ordinateur). Il espérait en son for intérieur qu'à l'issue du stage il allait être intégré au sein de l'équipe technique du journal.
Grande était sa désillusion lorsqu'au terme de sa formation, on lui dit "au revoir". La mort dans l'âme, il suit les conseils de son camarade qui, lui, l'oriente vers le carrefour de Amara à Chéraga. Il lui vante les mérites de la ville qui est un perpétuel et immense chantier. On construit tout le temps, lui dit-il, lui assurant qu'il trouvera facilement un boulot, le temps de voir venir les choses. Le boulot, il le trouvera, mais pas celui auquel il aspirait. Ses camarades lui conseillèrent de faire de la manutention. Il apprend, à leur contact, les rudiments et les ficelles du "métier". En quelques temps, les secrets de l'art de charger et décharger un camion sont vite assimilés. Il s'est mis dans le bain très vite. Au début, il gagnait assez d'argent. Il se permettait même d'envoyer un pécule à ses parents qui attendaient beaucoup de lui. Mais le métier a ses risques qu'il n'a su prévoir. Les particules de ciment qu'il avalait quotidiennement le faisait souvent souffrir.
Un boulot aux dures conditions
Les dinars qu'ils percevaient au prix de durs efforts partaient chez le médecin et le pharmacien. Parfois, il s'absentait de travailler pendant deux ou trois jours, le temps qu'il se rétablissait. Il faut dire que les conditions de vie auxquelles il s'exposait n'arrangeaient pas les choses. Il logeait à l'intérieur des carcasses de villas ou ensembles de logements en construction en compagnie de ses camarades d'infortune. Il était aussi un abonné des "gargottes", des espaces où les règles d'hygiène étaient le cadet des soucis de leurs tenanciers. "Une vie de misère", résume-t-il. Et il ne voit pas le bout du tunnel pour bientôt, s'est-il alarmé. Il rêve d'un emploi stable à la mesure de ses compétences. Un emploi où il jouirait de tous les droits, notamment à la protection sociale et un salaire décent. Son camarade, Maâmer Bouazza, vit aussi la même situation. Il parle, parle longuement comme pour exorciser un mal qui le ronge de l'intérieur. Il est âgé de 32 ans, lui aussi. Tout aussi célibataire que Karim et tout aussi fort physiquement. Lui, il est originaire de Talla Assa, un douar du côté de Ténès (Chlef) et il est un "ancien" du rond-point de Amara. "Cela fait onze ans que je suis là", se souvient-il, avouant qu'il n'a pas eu la chance de suivre un parcours scolaire. "Je ne perds pas au change", dit-il avec un air malicieux en jetant un regard furtif à Karim. Comme son camarade, il a "émigré" à Alger par nécessité. "Il n'y a rien dans notre douar", se plaint-il. Il a chargé et déchargé un nombre incalculable de camions de matériaux de construction. Sable, agrégats, rond à béton, briques rouges et autres. Maâmar est le chef d'orchestre de l'équipe. Il a le sens de l'organisation du travail. Sa méthodologie est simple. A chacun de ses camarades, il définit un rôle dans le chargement ou déchargement d'un camion et il est surtout apprécié par ses camarades avec qui il partage le travail. "Dans une organisation, il faut un chef qui dirige et ce rôle m'est atttribué par mes camarades", dit-il avec une fierté certaine. Mais tout n'est pas rose pour notre chef d'équipe. Il craint par dessus tout les maladies et les blessures. Et pour cause, si un des leurs tombe malade ou se blesse, il n'y a rien à faire pour lui venir en aide. Il se rappelle de Mohamed. Ce gars s'est cassé le bras.
Un douar hostile
Des souvenirs qui remontent à la surface et qui lui font mal au cœur. "Notre ami s'est cassé le bras", relate-t-il.Une situation qui peut arriver dans un chantier et qu'il pourrait admettre s'il n'y avait une "lacheté" de la part de cet autoconstructeur qui a réfusé toute assistance à leur ami. Un épisode qu'il n'oubliera pas de sitôt, a-t-il assuré, avouant que c'est grâce à l'entraide et à la solidarité de ses camarades que leur ami a été évacué à l'hopital où il a reçu des soins. L'autoconstructeur ne s'est nullement inquiété du sort du blessé et a même osé les critiquer pour avoir "déserté" le chantier et tenté de réduire le montant sur lequel il était convenu. L'air pensif, il n'arrive toujours pas expliquer le comportement inhumain de ce personnage. "Il viendra le jour où il payera", dit-il convaincu. Messaoud, Saïd et Aïssa ont narré le même parcours de ces damnés de la terre qui se rejoignent tous et arrivent à un même point. "Une vie de misère" qu'ils espèrent quitter le plus tôt possible. Ce groupe est là depuis ce matin. Aucune offre de service pour le moment. Bouazza craint "une journée sèche". Il reste, cependant, les camions qui vont entrer à partir de vingt heures, dit-il comme pour se rassurer lui même, pestant contre ces responsables qui ont pris la décision d'interdire l'entrée à Chéraga aux camions de gros tonnage. Autant de travail perdu pour lui et ses camarades. Nous avons passé deux heures de franches discussions. Les petites gens ont parlé, spontanément, un langage de cœur, loin de tout calcul. Un langage vrai qui a le mérite de toucher les cœurs les plus endurcis. Fasse que Dieu entende leurs souhaits et exauce leurs vœux.
Des milliers de véhicules transitent par ce point, le jour. A la tombée de la nuit, c'est une noria de camions de gros tonnage qui vient décharger leurs contenus dans les dépôts des grossistes en ciment, briques rouges, faïence ou dalles de sol, sable, rond à béton et autres matériaux qui entrent dans la composition de l'acte à bâtir. L'endroit est aussi très fréquenté par des gens qui louent leur force de travail. Une main d'œuvre qui ne réchigne pas à l'ouvrage. Ils sont de diverses régions du pays.
De l'Est, de l'Ouest et de l'Algérie profonde. A l'ombre d'un arbre rabougri, une protection dérisoire contre les effets des dards du soleil, un groupe de gens guette le moindre véhicule qui ralentit à sa hauteur. C'est là que les entrepreneurs ou simples autoconstructeurs viennent sollciter ces «loueurs de bras» pour un quelconque travail qui ne nécessite pas un "savoir faire". Ils sont des "tâcherons" payés à la tâche, selon le langage spécifique de cette catégorie de travailleurs. Ils sont employés dans l'agriculture, mais le plus souvent dans le bâtiment ou dans la manutention.
Le carrefour est un endroit "stratégique" pour de nombreux jeunes gens dans la force de l'âge à la recherche d'un travail. Il faut être fort physiquement pour exercer dans la manutention qui se fait à la force des bras. Le secteur offre bien des opportunités de travail à ces jeunes du fait de la proximité des dizaines de revendeurs de matériaux de construction qui ont élu domicile sur cet important axe routier. Décharger ou charger les mastodontes est leur spécialité.
Un travail sans savoir-faire
En un tour de main, un camion de vingt tonnes est vite soulagé de sa marchandise. Notre véhicule s'arrête au niveau de ce groupe. Aussitôt, nous sommes entourés par une dizaine de bonhommes qui croyaient avoir affaire à un entrepreneur à la recherche d'une force de travail. Ils s'enquièrent de la nature du travail que nous avons à leur proposer. Nous jouons à contrecœur le jeu. Mon accompagnateur dit qu'il a pour ce soir deux camions de vingt tonnes (2x400 sacs) de ciment à décharger. Le groupe, après des palabres, se divise en deux. Quatre pour un camion et quatre autres pour l'autre camion. Il faut négocier maintenant le prix. Les tractations sont serrées. Deux des jeunes acceptent les 1.400 DA pour un camion que nous leur offrons. Les six autres refusent et exigent 1.600 DA par camion. Comme dans toute négociation, la majorité l'emporte. Les deux autres se rangent du côté de leurs camarades et s'alignent sur leur prix. Faisant preuve de compréhension, nous acceptons leurs conditions. Marché conclu. Les détails de l'opération sont vite expédiés dans "la confiance". Un sentiment qui nous a permis d'entrer dans le fond de la pensée de ces malheureux qui, sans se faire prier, ont évoqué pour nous leurs itinéraires avant d'atterrir à cet endroit. Djebbir Karim a 32 ans et est originaire de Ain Tagouraït (Tipasa). Il est célibataire et il pointe depuis trois ans à cet endroit, qu'il pleuve, vente ou fasse beau. Le bonhomme, physiquement bien bâti, parle calmement. Ses traits fins trahissent néanmoins une profonde amertume qu'il n'arrive pas à dissimuler. Son teint basané, sans doute un effet du soleil auquel il est exposé tous les jours que Dieu fait, lui qui est né tout près des rivages de la Méditerranée, ajoute à cette impression qu'il dégage. "Je suis là par nécessité", justifie-t-il. "Dans ma ville natale, il n'y a pas de postes de travail", se désole-t-il. Il relate ses pérégrinations à la recherche du précieux sésame. Sans succès. Il a vu un espoir fondre comme neige au soleil, le jour où il a terminé un stage effectué au sein d'un quotidien en langue nationale. Karim nous apprend qu'il est diplômé en PAO (Programme asssité par ordinateur). Il espérait en son for intérieur qu'à l'issue du stage il allait être intégré au sein de l'équipe technique du journal.
Grande était sa désillusion lorsqu'au terme de sa formation, on lui dit "au revoir". La mort dans l'âme, il suit les conseils de son camarade qui, lui, l'oriente vers le carrefour de Amara à Chéraga. Il lui vante les mérites de la ville qui est un perpétuel et immense chantier. On construit tout le temps, lui dit-il, lui assurant qu'il trouvera facilement un boulot, le temps de voir venir les choses. Le boulot, il le trouvera, mais pas celui auquel il aspirait. Ses camarades lui conseillèrent de faire de la manutention. Il apprend, à leur contact, les rudiments et les ficelles du "métier". En quelques temps, les secrets de l'art de charger et décharger un camion sont vite assimilés. Il s'est mis dans le bain très vite. Au début, il gagnait assez d'argent. Il se permettait même d'envoyer un pécule à ses parents qui attendaient beaucoup de lui. Mais le métier a ses risques qu'il n'a su prévoir. Les particules de ciment qu'il avalait quotidiennement le faisait souvent souffrir.
Un boulot aux dures conditions
Les dinars qu'ils percevaient au prix de durs efforts partaient chez le médecin et le pharmacien. Parfois, il s'absentait de travailler pendant deux ou trois jours, le temps qu'il se rétablissait. Il faut dire que les conditions de vie auxquelles il s'exposait n'arrangeaient pas les choses. Il logeait à l'intérieur des carcasses de villas ou ensembles de logements en construction en compagnie de ses camarades d'infortune. Il était aussi un abonné des "gargottes", des espaces où les règles d'hygiène étaient le cadet des soucis de leurs tenanciers. "Une vie de misère", résume-t-il. Et il ne voit pas le bout du tunnel pour bientôt, s'est-il alarmé. Il rêve d'un emploi stable à la mesure de ses compétences. Un emploi où il jouirait de tous les droits, notamment à la protection sociale et un salaire décent. Son camarade, Maâmer Bouazza, vit aussi la même situation. Il parle, parle longuement comme pour exorciser un mal qui le ronge de l'intérieur. Il est âgé de 32 ans, lui aussi. Tout aussi célibataire que Karim et tout aussi fort physiquement. Lui, il est originaire de Talla Assa, un douar du côté de Ténès (Chlef) et il est un "ancien" du rond-point de Amara. "Cela fait onze ans que je suis là", se souvient-il, avouant qu'il n'a pas eu la chance de suivre un parcours scolaire. "Je ne perds pas au change", dit-il avec un air malicieux en jetant un regard furtif à Karim. Comme son camarade, il a "émigré" à Alger par nécessité. "Il n'y a rien dans notre douar", se plaint-il. Il a chargé et déchargé un nombre incalculable de camions de matériaux de construction. Sable, agrégats, rond à béton, briques rouges et autres. Maâmar est le chef d'orchestre de l'équipe. Il a le sens de l'organisation du travail. Sa méthodologie est simple. A chacun de ses camarades, il définit un rôle dans le chargement ou déchargement d'un camion et il est surtout apprécié par ses camarades avec qui il partage le travail. "Dans une organisation, il faut un chef qui dirige et ce rôle m'est atttribué par mes camarades", dit-il avec une fierté certaine. Mais tout n'est pas rose pour notre chef d'équipe. Il craint par dessus tout les maladies et les blessures. Et pour cause, si un des leurs tombe malade ou se blesse, il n'y a rien à faire pour lui venir en aide. Il se rappelle de Mohamed. Ce gars s'est cassé le bras.
Un douar hostile
Des souvenirs qui remontent à la surface et qui lui font mal au cœur. "Notre ami s'est cassé le bras", relate-t-il.Une situation qui peut arriver dans un chantier et qu'il pourrait admettre s'il n'y avait une "lacheté" de la part de cet autoconstructeur qui a réfusé toute assistance à leur ami. Un épisode qu'il n'oubliera pas de sitôt, a-t-il assuré, avouant que c'est grâce à l'entraide et à la solidarité de ses camarades que leur ami a été évacué à l'hopital où il a reçu des soins. L'autoconstructeur ne s'est nullement inquiété du sort du blessé et a même osé les critiquer pour avoir "déserté" le chantier et tenté de réduire le montant sur lequel il était convenu. L'air pensif, il n'arrive toujours pas expliquer le comportement inhumain de ce personnage. "Il viendra le jour où il payera", dit-il convaincu. Messaoud, Saïd et Aïssa ont narré le même parcours de ces damnés de la terre qui se rejoignent tous et arrivent à un même point. "Une vie de misère" qu'ils espèrent quitter le plus tôt possible. Ce groupe est là depuis ce matin. Aucune offre de service pour le moment. Bouazza craint "une journée sèche". Il reste, cependant, les camions qui vont entrer à partir de vingt heures, dit-il comme pour se rassurer lui même, pestant contre ces responsables qui ont pris la décision d'interdire l'entrée à Chéraga aux camions de gros tonnage. Autant de travail perdu pour lui et ses camarades. Nous avons passé deux heures de franches discussions. Les petites gens ont parlé, spontanément, un langage de cœur, loin de tout calcul. Un langage vrai qui a le mérite de toucher les cœurs les plus endurcis. Fasse que Dieu entende leurs souhaits et exauce leurs vœux.


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