Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 55.297 martyrs    Le chef de l'AIEA appelle l'entité sioniste à la plus grande retenue après ses attaques contre l'Iran    ANP: saisie de 85 kg de cocaïne à Adrar    Plus de 850 000 candidats entament dimanche les épreuves du baccalauréat    Foot/Tournoi amical (U17) /Algérie-Tunisie : la sélection algérienne poursuit sa préparation à Blida    Décès de l'ancien photographe de l'APS Mahrez Amrouche : le ministre de la Communication présente ses condoléances    L'Algérie préside la Commission de l'application des normes internationales du travail lors de la 113 session de la Conférence internationale du Travail    2.000 enfants issus d'Adrar et de Tamanrasset bénéficieront de séjours dans des villes côtières    Attaques sionistes contre l'Iran: une violation du droit international et de la Charte de l'ONU    Une équipe technique de la Sonelgaz en Syrie depuis avant-hier jeudi    Rima Hassane libérée !    La dépouille d'un jeune mort par noyade retrouvée    Lundi 30 juin 2025, dernier délai pour soumettre les candidatures    L'Algérien Mohamed Meridja réélu à l'exécutif    Comment la diplomatie peut-elle être une solution à l'immigration clandestine ?    La saison 2024/2025 sélectionne son champion    L'Ensemble ''Senâa'' de musique andalouse rend hommage à Mohamed Khaznadji    Des maisons de jeunes mobilisées pour accueillir les candidats durant la période d'examen    Décès de l'ancien photographe de l'APS Mahrez Amrouche    Le président de la République accorde un intérêt particulier aux radios locales et à leur développement    Plus d'un demi-million de cartes "Chifa" actualisées au niveau des officines conventionnées avec les organismes de sécurité sociale    Lancement lundi prochain de projets de recherche algériens retenus dans le cadre de l'initiative des alliances arabes pour la recherche scientifique et l'innovation    Soirée artistique à Alger en hommage à l'artiste martyr Ali Maachi    Début de la campagne moisson-battage dans les wilayas du nord, indicateurs annonciateurs d'une récolte abondante    Les performances de la troupe "Arokass" de Djanet, parmi les principales attractions de l'Exposition universelle d'Osaka    Fédération algérienne des sports aquatiques : ouverture des candidatures pour les postes techniques    Mme Hamlaoui reçoit le DG de l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie    Voile/Equipe nationale (Laser) : huit athlètes en stage de préparation à Alger Plage    La victoire était à la portée des Fennecs !    Les dockers du port de Marseille refusent de les embarquer !    L'AFC veut investir en Algérie    Mascara rend un hommage vibrant au martyr Ali Maâchi    L'Algérie est en mesure de relever toute sorte de défis !    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    Une nouvelle ère de rigueur pour l'investissement    Une série d'accords signés entre l'Algérie et le Rwanda    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



De la déviance au scandale
«L'izli ou l'amour chanté en kabyle» de Tassadit Yacine
Publié dans Le Midi Libre le 26 - 03 - 2009

Dans son dernier essai, l'anthropologue Tassadit Yacine adopte une approche dialectique pour étudier l'izli, initialement expression poétique codifiée et socialement admise de sentiments intimes chez les femmes et les jeunes garçons de Kabylie. Si Mohand Ou M'hand (1840/1905), dont le verbe est le corollaire et l'illustration de bouleversements historiques, donne à ce genre un caractère national avec l'installation violente de l'oppression coloniale qui pousse la société d'alors à se crisper jusqu'à la fossilisation sur ses valeurs traditionnelles irréversiblement obsolètes.
Dans son dernier essai, l'anthropologue Tassadit Yacine adopte une approche dialectique pour étudier l'izli, initialement expression poétique codifiée et socialement admise de sentiments intimes chez les femmes et les jeunes garçons de Kabylie. Si Mohand Ou M'hand (1840/1905), dont le verbe est le corollaire et l'illustration de bouleversements historiques, donne à ce genre un caractère national avec l'installation violente de l'oppression coloniale qui pousse la société d'alors à se crisper jusqu'à la fossilisation sur ses valeurs traditionnelles irréversiblement obsolètes.
Selon Tassadit Yacine, l'izli est avant tout un cri. Un cri de femme qui joue le rôle d'exutoire autorisé dans une société où l'homme domine partout et tout le temps. «Pour que l'ordre marche il faut l'indispensable béquille du désordre», écrit l'essayiste. Sans cette béquille lui garantissant la vie, l'ordre traditionnel dans la forme extrême qu'il a revêtu plus tard avec l'incursion coloniale, ne peut que mener à ces formes mortifères que les anthropologues coloniaux confondront trop vite avec l'essence même de la société traditionnelle.
«L'izli représente la dose et la forme de déviance socialement admise», écrit plus loin l'auteure qui examine soigneusement les mécanismes traditionnels de cette liberté conditionnelle du verbe féminin. Ainsi face aux Tiqsiddin, longues pièces de poésie écrites par les hommes et dont les sujets sont souvent épiques, donc «sérieux» les izlan sont souvent courts et légers donc «frivoles». Ce sont en réalité de véritables condensés de situations de tensions douloureuses exprimés dans un style le plus souvent allusif et humoristique. Pour circonvenir les conséquences de l'amour, cause potentielle de désordre, la société traditionnelle consent aux femmes et aux adolescents, encore bergers (imaksawen), cette forme d'expression mais «il y a une sorte de règle du jeu de la marginalité, qui en quelque sorte la socialise ; on ne s'écarte pas de n'importe quelle façon ni au-delà de toute limite», souligne l'essayiste. Ainsi, les izlan sont composés par les femmes et destinées à être chantées devant les femmes lors des fêtes, des activités quotidiennes ou des rites saisonniers. Ils ont comme cadre, Tala, une place loin du village, proche de la fontaine et de la nature. Leur forme est strictement codifiée. «Ainsi n'y a-t-il jamais description réaliste du corps, mais évocation stylisée et symbolique de seulement quelques éléments choisis, pratiquement toujours les mêmes : les yeux, la bouche, la chevelure, etc. (…) Mieux, ce n'est pas seulement un corps sélectionné qui est rendu, c'est un corps habillé ou plus volontiers encore, paré.»
De tamnafeqt, à imenfi à Si Mohand : de la contestation à la révolution
Pourtant, l'izli, au fil du temps, passe de la révolte individuelle à l'insurrection et trouve son apogée dans le verbe de Si Mohand. Ce poète de la rupture, dont le destin et le verbe dépassent le cadre de la région natale, pressent l'avenir. Après avoir analysé deux formes de contestation s'exprimant également par l'izli, celle de la femme qui refuse qu'on la marie de force, tamnafeqt, et celle de l'insurgé, amenfi, dit «bandit d'honneur», Tassadit Yacine dans une conclusion magistrale aborde le cas révolutionnaire de Si Mohand.
L'auteure prend le soin de rappeler l'impact, partagé par toutes les régions du pays, de la colonisation sur la société kabyle. Rejoignant les analyses de Frantz Fanon et Mouloud Mammeri, l'essayiste souligne que durant l'époque coloniale la société va pour protéger ses valeurs, se crisper sur un rigorisme extrême qui évacue tous les exutoires jusque là permis par une société sûre de sa stabilité. «(…) la perte de toute initiative historique et, en dernier acte, l'occupation coloniale ont acculé le corps social à une pratique stricte jusqu'à la sévérité. Cela explique en grande partie l'usage, même codifié, de la violence et l'imposition de contraintes quelquefois draconiennes à tout épanouissement du sentiment». Dans ce contexte de déréliction émerge le verbe mohandien, à la fois issue et précurseur de situations totalement nouvelles. Ce fils d'une caste élevée n'a plus en effet ni considération «ayla», ni pouvoir symbolique «tagmat», ni prestige «tirrubda» et «il ne peut même plus se prévaloir des avantages gratuits de la virilité «tirrugza».
«A situation insolite une expression renouvelée. Les rites, les conventions et les feintes de l'izli ne peuvent plus satisfaire une existence déboussolée, sans port d'attache, sans havre tutélaire. (…) Mohand est d'une indifférence à peu près totale à l'égard des règles du jeu social (l'ancien temps est mort et le nouveau n'est pas encore né). Son discours ne sera pas seulement déviant, il sera scandaleux. Le scandale, c'est l'infraction portée sur la place publique. L'Izli était l'expression d'un habitus, l'asefru est un défi.» Le dernier essai de Tassadit Yacine offre de nombreuses pistes de réflexion ainsi qu'un ensemble de poésies pleines de vie et d'une grande beauté.
Paru aux éditions Alpha,Alger, 2008.
Selon Tassadit Yacine, l'izli est avant tout un cri. Un cri de femme qui joue le rôle d'exutoire autorisé dans une société où l'homme domine partout et tout le temps. «Pour que l'ordre marche il faut l'indispensable béquille du désordre», écrit l'essayiste. Sans cette béquille lui garantissant la vie, l'ordre traditionnel dans la forme extrême qu'il a revêtu plus tard avec l'incursion coloniale, ne peut que mener à ces formes mortifères que les anthropologues coloniaux confondront trop vite avec l'essence même de la société traditionnelle.
«L'izli représente la dose et la forme de déviance socialement admise», écrit plus loin l'auteure qui examine soigneusement les mécanismes traditionnels de cette liberté conditionnelle du verbe féminin. Ainsi face aux Tiqsiddin, longues pièces de poésie écrites par les hommes et dont les sujets sont souvent épiques, donc «sérieux» les izlan sont souvent courts et légers donc «frivoles». Ce sont en réalité de véritables condensés de situations de tensions douloureuses exprimés dans un style le plus souvent allusif et humoristique. Pour circonvenir les conséquences de l'amour, cause potentielle de désordre, la société traditionnelle consent aux femmes et aux adolescents, encore bergers (imaksawen), cette forme d'expression mais «il y a une sorte de règle du jeu de la marginalité, qui en quelque sorte la socialise ; on ne s'écarte pas de n'importe quelle façon ni au-delà de toute limite», souligne l'essayiste. Ainsi, les izlan sont composés par les femmes et destinées à être chantées devant les femmes lors des fêtes, des activités quotidiennes ou des rites saisonniers. Ils ont comme cadre, Tala, une place loin du village, proche de la fontaine et de la nature. Leur forme est strictement codifiée. «Ainsi n'y a-t-il jamais description réaliste du corps, mais évocation stylisée et symbolique de seulement quelques éléments choisis, pratiquement toujours les mêmes : les yeux, la bouche, la chevelure, etc. (…) Mieux, ce n'est pas seulement un corps sélectionné qui est rendu, c'est un corps habillé ou plus volontiers encore, paré.»
De tamnafeqt, à imenfi à Si Mohand : de la contestation à la révolution
Pourtant, l'izli, au fil du temps, passe de la révolte individuelle à l'insurrection et trouve son apogée dans le verbe de Si Mohand. Ce poète de la rupture, dont le destin et le verbe dépassent le cadre de la région natale, pressent l'avenir. Après avoir analysé deux formes de contestation s'exprimant également par l'izli, celle de la femme qui refuse qu'on la marie de force, tamnafeqt, et celle de l'insurgé, amenfi, dit «bandit d'honneur», Tassadit Yacine dans une conclusion magistrale aborde le cas révolutionnaire de Si Mohand.
L'auteure prend le soin de rappeler l'impact, partagé par toutes les régions du pays, de la colonisation sur la société kabyle. Rejoignant les analyses de Frantz Fanon et Mouloud Mammeri, l'essayiste souligne que durant l'époque coloniale la société va pour protéger ses valeurs, se crisper sur un rigorisme extrême qui évacue tous les exutoires jusque là permis par une société sûre de sa stabilité. «(…) la perte de toute initiative historique et, en dernier acte, l'occupation coloniale ont acculé le corps social à une pratique stricte jusqu'à la sévérité. Cela explique en grande partie l'usage, même codifié, de la violence et l'imposition de contraintes quelquefois draconiennes à tout épanouissement du sentiment». Dans ce contexte de déréliction émerge le verbe mohandien, à la fois issue et précurseur de situations totalement nouvelles. Ce fils d'une caste élevée n'a plus en effet ni considération «ayla», ni pouvoir symbolique «tagmat», ni prestige «tirrubda» et «il ne peut même plus se prévaloir des avantages gratuits de la virilité «tirrugza».
«A situation insolite une expression renouvelée. Les rites, les conventions et les feintes de l'izli ne peuvent plus satisfaire une existence déboussolée, sans port d'attache, sans havre tutélaire. (…) Mohand est d'une indifférence à peu près totale à l'égard des règles du jeu social (l'ancien temps est mort et le nouveau n'est pas encore né). Son discours ne sera pas seulement déviant, il sera scandaleux. Le scandale, c'est l'infraction portée sur la place publique. L'Izli était l'expression d'un habitus, l'asefru est un défi.» Le dernier essai de Tassadit Yacine offre de nombreuses pistes de réflexion ainsi qu'un ensemble de poésies pleines de vie et d'une grande beauté.
Paru aux éditions Alpha,Alger, 2008.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.