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50 ans d'échecs des élites algériennes : de la discorde à l'allégeance et de la guerre civile à la mangeoire
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 06 - 04 - 2012

L'occupation française eut pour conséquences la désarticulation de la société algérienne traditionnelle et la disparition progressive des anciennes élites et notabilités guerrières et religieuses. Après la première Guerre Mondiale, de nouvelles élites issues soit des nouvelles couches bourgeoises en cours de formation, soit des anciennes familles aristocratiques ayant conservé un statut privilégié, firent leur apparition. C'est ainsi que l'Emir Khaled, petit-fils de l'Emir Abdelkader, fonda le Mouvement Jeunes-Algériens et que le Dr Bendjelloul présida la Fédération des Elus. Par la suite, trois personnalités émergeront du lot : Ferhat Abbas, Abdelhamid Ben Badis et Messali Hadj. Ces nouvelles élites ne se référaient plus ni à la tribu, ni à la confrérie religieuse, ni au khalifat islamique. Elles s'inscrivaient désormais dans le nouveau cadre idéologique imposé par la colonisation – du moins en théorie – celui de la liberté, de la démocratie et de l'égalité des citoyens en droits et en devoirs. Ces nouvelles élites retourneront contre le système colonial les principes mêmes au nom desquels il était supposé mener son « œuvre civilisatrice » en Algérie.
Après un lent processus de décantation, ces élites finirent par se regrouper, dans leur grande majorité, dans le FLN, autour d'un objectif commun, l'indépendance de l'Algérie, et d'une stratégie commune, la lutte armée menée par le peuple algérien contre le système colonial et ses forces de répression. Ceux parmi les élites qui refusèrent d'adhérer au FLN ou s'opposèrent à lui – tels Messali Hadj et le MNA, par exemple – ne purent proposer une alternative crédible et furent progressivement relégués au rang de « traîtres à la nation algérienne en lutte pour son indépendance ».
Une fois le cessez-le-feu proclamé, la course au pouvoir s'engagea et des alliances se nouèrent en coulisses. Le groupe de Tlemcen, constitué autour de Ben Bella et Boumediene, finit par prendre l'avantage sur les autres groupes et le nouveau pouvoir se constitua autour de deux institutions qui domineront le pays pendant 50 ans : l'appareil bureaucratique du FLN et l'ANP. Le système militaro-bureaucratique basé sur le parti unique et la prééminence de l'Armée se mit progressivement en place, larguant au fur et à mesure tous ceux qui refusèrent de prêter allégeance aux nouveaux maîtres du pays. Ainsi, Cheikh El Ibrahimi, Boudiaf, Aït-Ahmed, Krim Belkacem, Ferhat Abbas, Benkhedda, entre autres personnalités de premier plan, firent les frais de la politique d'exclusion adoptée par Ben Bella et Boumediene. Une nouvelle décantation s'opéra après le coup d'Etat du 19 juin 65 et une nouvelle équipe de technocrates se constitua autour du colonel-dictateur. Pendant que certains « prêtaient allégeance » au nouveau zaïm autoproclamé – Ahmed Taleb, Bélaïd Abdeslam, etc. – d'autres prenaient le chemin de l'exil – Harbi, Khider, Aït-Ahmed, Krim, Boudiaf, etc. –, celui de la clandestinité – les cadres du PCA – ou renonçaient définitivement à jouer un quelconque rôle politique – Ferhat Abbas, Benkhedda, Bentobal, etc.
Après l'effervescence des premières années sous Ben Bella, l'Algérie indépendante connut une vingtaine d'années (65-85) de « normalisation » à la soviétique et de « socialisme », à peine troublées par la mort du colonel-dictateur en décembre 78 et par la lutte pour la succession qui s'engagea dans les coulisses du pouvoir. Krim et Khider assassinés, Aït-Ahmed et Boudiaf n'ayant réussi à opérer aucune percée notable depuis leur exil en Suisse et au Maroc, les communistes ayant adopté leur fameuse politique de « soutien critique » au pouvoir « socialiste » de Boumediene, le calme régna en Algérie, avec El-Moudjahid brossant invariablement et quotidiennement le même tableau idyllique : tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et nos valeureux et sages dirigeants menaient le bateau Algérie vers un « avenir meilleur » fait de développement économique, de justice sociale et de promotion de l'homme. C'était à peine si un Kateb Yacine, un Malek Bennabi ou un Mouloud Mammeri, ces éternels empêcheurs de « développer en rond » étaient entendus par la grande masse du peuple et les nouveaux diplômés que l'école algérienne produisait à un rythme soutenu.
Tout allait bien, donc, et le temps de la discorde semblait bien loin. Les nouvelles élites formées par l'école algérienne ne connaissaient ni Messali, ni Aït-Ahmed, ni Ferhat Abbas, ni Benkhedda, ni Boudiaf, ni Krim Belkacem, mais qu'importe : « la vérité du pudding, c'est qu'on le mange », comme dit le proverbe anglais. Chadli Bendjedid ayant lâché un peu de lest par rapport à son trop austère prédécesseur, la nouvelle classe moyenne tout occupée à se procurer qui une Honda, qui un appartement, qui une « blonda », qui donc pouvait se douter que de gros nuages gris allaient bientôt assombrir le magnifique ciel toujours bleu d'Algérie et cacher le radieux soleil qui prodiguait si généreusement sa douce lumière? Et, d'ailleurs, après vingt années de domestication et d'allégeance aveugle, y-avait-il encore des élites dans le pays? Les nouveaux diplômés n'étaient-ils pas formés pour devenir de simples technocrates chargés d'appliquer la politique décidée en haut lieu par le chef incontesté et quelques rares « cerveaux » inspirés par on ne sait quel archange?
Mais, sous les eaux dormantes, n'y avait-il pas quelques « dangereux spécimens », toujours attachés à une vision du monde complètement différente de celle que véhiculait l'orthodoxie des tenants du pouvoir – socialisme irréversible, arabisme, etc. –, qui travaillaient certains milieux – l'université et la mosquée, notamment – et propageaient des idées « subversives », à la faveur du relâchement voulu par Chadli et de la baisse de vigilance de la trop efficace SM? Les spécialistes en « chasse aux sorcières » du régime se lancèrent bien, au début des années 80, dans une vaste campagne de répression visant à couper à la racine la « mauvaise herbe » « islamiste » et « berbériste » qui tentait de s'implanter dans le pays, mais un imprévu viendra déranger tous les plans et remettre en question toutes les hypothèses de travail : l'effondrement des prix du pétrole en 1986 et le surendettement qui étrangla le pays du jour au lendemain, l'obligeant à se plier aux injonctions des bailleurs de fonds occidentaux et à entamer en catastrophe des réformes visant à faire entrer l'Algérie dans le monde de l'« économie de marché ». Adieu vaux, vaches, cochons, villa, Honda et blonda. Il faut de nouveau se serrer la ceinture et revenir aux dures années de disette, après avoir connu les quelques fastes – hélas, trop courtes – années du PAP lancé par tonton Chadli. Il y a en politique deux façons de faire passer une pilule trop amère : verrouiller totalement le champ politique – c'est la solution du coup d'Etat militaire et de la dictature – ou l'ouvrir, afin de soulager un peu la marmite qui risque d'exploser. C'est cette dernière que Chadli et ses alliés adoptèrent. Toute la lumière n'a pas encore été faite sur les événements d'octobre 88 et les luttes qui s'engagèrent à l'intérieur des cercles du pouvoir entre les « conservateurs » et les « réformateurs ». Toujours est-il que l'un des résultats du processus de réformes fut la proclamation de la Constitution de février 89, qui mit – théoriquement – fin à l'ère du parti unique et ouvrit toutes grandes les portes à travers lesquelles vont s'engouffrer les deux forces qui travaillaient par le bas la société algérienne : l'« islamisme » et le « berbérisme ».
Ben Badis, Ferhat Abbas et Messali se seraient-ils reconnus dans les nouvelles élites qui émergèrent à la fin des années 80? Toujours est-il qu'Ali Benhadj, Abdallah Djaballah, Saïd Sadi et Louisa Hanoun devinrent du jour au lendemain les nouvelles « stars » du champ politique algérien, aux côtés de leurs aînés, Abassi Madani et Mahfoud Nahnah. Il était bien loin désormais le temps des technocrates et autres apparatchiks des années 70, de leurs certitudes carrées et de leurs trop fameux – fumeux, dirions-nous aujourd'hui – plans de développement tirés sur la comète : révolution agraire, 1000 villages socialistes, industrie « industrialisante », médecine gratuite, wa ma achbaha dhalika… Plus question de développement économique et de justice sociale. C'est désormais l'identité qui sera à l'honneur parmi les nouvelles élites et qui leur servira de moyen d'acquisition de la légitimité et aussi de tremplin dans leur tentative de s'affirmer en tant qu'acteurs incontournables décidés à en finir avec le système militaro-bureaucratique FLN-ANP.
Après l'échec des technocrates qui avaient loyalement servi le système militaro-bureaucratique, allions-nous assister, parmi les élites, à une prise de conscience générale quant aux dangers de l'unanimisme de façade et de la politique d'exclusion? Hélas, trois fois hélas, c'est tout à fait le contraire qui se produisit. Ce fut le « clash des ignorances » qui s'imposa d'entrée de jeu et chaque camp y alla de sa vulgate, excommuniant, menaçant et accusant à tour de bras tous ceux et toutes celles qui s'avisaient de leur porter la contradiction. Avons-nous donc la discorde dans les gènes? C'est à se demander comment Ferhat Abbas, Messali et Ben Badis avaient pu cohabiter pendant de longues années dans notre pays. Car, au moment où on s'attendait à voir fleurir mille et une roses de tolérance et de respect de l'adversaire politique, après tant d'années de pensée unique et d'hibernation des idées, on assista au contraire à un déferlement de nouvelles certitudes prêtes à tordre le coup à tout ce qui oserait s'opposer à elles.
Le résultat ne se fit pas attendre et, de nouveau, les porteurs de rangers et de galons se « portèrent volontaires » et se « sacrifièrent », par « devoir pour la patrie en danger ». Ils chassèrent l'« homme aux cheveux blancs » qui avait ouvert la boîte de Pandore, après avoir congédié le réformateur en chef et son gouvernement, annulèrent les élections en cours remportées dès le premier tour par les « islamistes », et se mirent à l'œuvre en employant les seules méthodes qu'ils connaissent : un bon coup de matraque sur la tête, suivi d'un coup de rangers au visage et, pour finir, un petit tour au sous-sol où l'on réserve aux « invités de marque » un traitement de faveur à base de baignoire, chiffon mouillé, bouteille, tenailles, gégène et autres « douceurs » du même genre…
Ainsi donc, après l'échec des « historiques », emportés par la course au pouvoir de l'été 62, suivi de celui des technocrates formés à l'école coloniale, dont les laborieuses constructions s'effondrèrent comme un château de cartes avec les prix du pétrole, vint celui des nouveaux diplômés de l'école algérienne, échec plus cuisant encore, car il se traduira par une immense tragédie. Et, toujours présent et veillant au grain, accourant de lui-même sans qu'on ait besoin de l'appeler, l'homme aux rangers, porteur de galons, est là pour balayer d'un seul geste sec et brutal tous les « fauteurs de troubles » qui prétendent à « faire de la politique ». Malédiction? Malchance? Manque de jugeote? Défaut de fabrication présent dès le début dans la machine nationaliste qui a chassé l'occupant? Le résultat est malheureusement là, incontournable : échec, échec, échec.
Il n'est pas besoin de revenir sur toutes les horreurs que nous avons connues pendants près de dix ans. Il suffit de dire que la tempête a laminé tout ce que comptait le pays comme cerveaux capables de concevoir une autre façon de faire. Egorgés, liquidés d'une balle dans la tête, déportés, forcés à l'exil ou réduits au silence d'une manière ou d'une autre : tel fut le lot des nouveaux diplômés de l'école algérienne qui, toutes tendances politiques confondues, avaient échoué à mettre en place un champ politique pluraliste débarrassé de la pensée unique et de la politique d'exclusion. Le retour aux affaires de boutef ne fera que remettre au goût du jour une soupe fade et indigeste faite d'envolées nationalistes à la Boumediene et de fausses promesses de redorer le blason national – erfa3 rassek ya bba! – qui cachent mal une cupidité sans bornes et une insatiable soif de pouvoir. Oubliés les dizaines de milliers de victimes de la sale guerre, les bombes et les massacres, les disparus, les torturés et les déportés. Ils seront tous passés par pertes et profits. Place à la mangeoire! Place à Khalifa et le petit frère Saïd! Le pétrole grimpera bientôt au-dessus des 100 dollars. Il n'y a pas à dire : fakhâmatouhou a la baraka.
« Qui est qui? » serait le nom approprié de cette nouvelle ère qui dure depuis 13 ans. Comment distinguer en effet dans cette troupe de comédiens de cirque et de clowns, qui fait office d'intelligentsia et de classe politique, le démocrate du nationaliste ou de l'islamiste? L'attrait de la mangeoire est tellement puissant et l'être humain tellement faible! Il n'y a plus grand-chose à dire au sujet des élites, si ce n'est leur stérilité et leur totale domestication par le système de la mangeoire, mis à part quelques rares exceptions qui confirment la règle. Pendant que le pays fait du sur-place, se contentant de gaspiller la rente pétrolière dont une grande partie sert à enrichir la nouvelle classe de prédateurs qui a pris possession des commandes, aucune initiative de redressement ne pointe à l'horizon.
L'Algérie est en panne, elle n'a plus d'élites. Messali, Ferhat Abbas et Ben Badis avaient-ils un jour imaginé ce funeste destin pour notre pays? Il ne reste plus à la nouvelle génération qui aspire à devenir la nouvelle élite – ceux et celles qui ont aujourd'hui l'âge que ces pionniers avaient dans les années 25-30 – qu'à reprendre le combat là où il s'est arrêté en 1962, afin de mener la révolution algérienne à son terme et construire enfin l'Etat de droit que deux générations d'Algériens et d'Algériennes instruits n'ont pas réussi à instaurer jusqu'à présent, par aveuglement, cupidité, égoïsme et arrogance, pour les uns, ou, au contraire, par suivisme, inconscience, indifférence ou négligence, pour les autres.


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