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Et pourtant, il avait bien raison
Le 5 mars 1978 disparaissait Kaïd Ahmed
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 03 - 2018

Dans la nuit du 5 au 6 mars 1978, nous avons appris avec stupeur le décès, à Rabat, de notre frère Si Slimane, Kaïd Ahmed, à un moment où il jouissait de toutes ses capacités intellectuelles et physiques.
La mort l'a ravi à 56 ans, âge précoce pour le dirigeant qu'il était, âge où l'on atteint la plénitude de ses moyens... Cette mort, survenue brutalement, a mis un point final au parcours d'un militant au long cours. 40 ans après, que pouvons-nous dire de cet homme d'Etat, disparu à un âge où il pouvait encore servir ce pays qu'il aimait tant, si la malveillance des uns et le dépit envieux des autres n'avaient pas connu leur aboutissement pour qu'il quitte la scène politique officielle, parce que contraint et forcé ?
Oui, que pouvons-nous dire aux jeunes d'hier, devenus adultes, qui portent sur leurs épaules une vie de quarante années et plus, à ceux-là mêmes qui n'ont pas eu cette chance de le connaître dans la plénitude de sa force morale et intellectuelle ? Eh bien, on leur dévoilera ce grand dirigeant dans cette modeste présentation, qui met en exergue quelques aspects politiques et humains qui le qualifiaient si bien dans ce monde qui, aujourd'hui, a tellement besoin de valeurs essentielles qui fondent les Etats et leurs systèmes.
En effet, on leur dira, en nous excusant de notre tempérance, que Si Slimane, Kaïd Ahmed, ne peut être raconté en quelques pages, comme d'aucuns que l'Histoire ne saura consacrer pour leur indigence en matière d'érudition, de prééminence, de caractère et, on ne le dira jamais assez, de détermination dans leurs actions. Parce que Si Slimane était un tout. Il était cet Homme clairvoyant et on ne peut plus lucide, qui s'était investi totalement, des décennies durant, dans la marche du pays, parce qu'il vivait tout simplement, depuis sa jeunesse, par et pour son pays. Là, ce ne sont pas des expressions dithyrambiques, que j'emploie pour la circonstance, sans conviction, ou simplement pour embellir un portrait peint pour l'occasion. Franchement, si cela avait été le cas, j'aurais manqué de loyauté et de bonne foi ; pire que cela, j'aurais fait un affront à ma culture, celle justement qu'il prenait lui-même soin d'inculquer patiemment en pédagogue aux jeunes militants pleins de fougue et d'espoir que nous étions. Ce dirigeant ne vivait que pour de généreux principes, se montrant plein d'attention pour les jeunes et les militants respectueux et honnêtes, qui n'avaient pour ambition que le désir d'être toujours utiles à leur pays.
En effet, Si Slimane ne vivait que pour des principes généreux, en responsable soucieux de la bonne marche du pays, sans attirance aucune pour les honneurs et les biens en ce bas monde. C'est ce qui nous revient à l'esprit, présentement, en ce jour anniversaire d'un départ brutal, sans un «au revoir», d'une disparition qui nous a fait mal, de par sa soudaineté et sa fulgurance, la rendant plus pénible à nos yeux. Oui, une pénible vérité !
Autant d'interrogations qui nous reviennent en ce 40e anniversaire pour nous rappeler que la mort de Si Slimane — une amère réalité et une conséquence logique du destin, pour laquelle nous n'avons aucune médication — a laissé en nous, en ces moments douloureux, cette sensibilité et cette affection que nous ne pouvons cacher, de même que le sentiment du grand vide qu'il a laissé chez tous les militants qu'il avait su mobiliser, sensibiliser, former, éduquer et aussi aimer. Ainsi, que pouvons-nous dire aux jeunes, en ce 40e anniversaire de sa mort ? On ne saurait assez se remémorer ce que Kaïd Ahmed a entrepris dans l'intérêt de cette jeunesse avec laquelle il traçait l'avenir de notre pays.
Rappelons-nous que Kaïd Ahmed affectionnait particulièrement le travail avec la jeunesse, en éducateur et en pédagogue qu'il était, convaincu, dès les premières années, en tant que militant et jeune dirigeant politique, que le meilleur investissement devait être celui dirigé vers cette force vive et enthousiaste garante de la pérennité et du développement du pays. N'est-il pas ce dirigeant politique qui, dans son discours d'ouverture du 1er Congrès de la Jeunesse de l'union démocratique du manifeste algérien (Judma), organisé du 26 au 30 août 1953 à Tagdempt, capitale de l'Emir Abdelkader et haut lieu de la résistance à l'invasion française, avait fustigé avec force le colonialisme français en Algérie et sa longue liste de crimes et méfaits, appelant la jeunesse algérienne à s'organiser et à se préparer à affronter son destin.
Il ponctuera son adresse ce jour-là en déclarant : «...C'est dire qu'il est temps de songer à d'autres principes efficaces pour hâter le terme d'un enfer épuisant. Soyez d'excellents pasteurs et mettez en garde vos frères contre la ruse des mauvais bergers. Dans vos périmètres, parcourez les rues et les campagnes. Soyez le journal et la radio des infortunés. Soyez partout à tout moment et en toute circonstance au service de la bonne et juste cause : la libération du pays. La patrie, le peuple, les générations montantes sont en danger de mort. Vous serez demain des héros ou alors les victimes d'un triste oubli. De toute manière, dites-vous bien que le tourbillon ne manquera pas de vous emporter dans sa rage. Pour la grandeur et le salut du pays, jeunesse algérienne, sel et produit de cette terre, réveille-toi. Vive l'Algérie démocratique, libre et humaine !»
N'est-ce pas là un discours prémonitoire, annonciateur de la Révolution du 1er Novembre 1954 ? De même qu'aujourd'hui, les situations de déliquescence prononcée que nous subissons en raison de l'indifférence d'esprits façonnés dans le moule de la truanderie ne sont pas sans rappeler également, à quelques décennies d'intervalle, depuis ce funeste 5 mars 1978, les positions claires et audacieuses de Si Slimane... Et la question reste encore posée : que pouvons-nous raconter aux jeunes sur ce géant de l'Histoire contemporaine de l'Algérie ? D'emblée, et pour faire l'économie de tout le parcours de ce haut dirigeant qui a marqué de son sceau et le pays et les hommes et son temps, au sein des institutions de l'Etat et du parti du FLN, voyons ce qui, demain, ad vitam aeternam, le positionnerait au «sommet de la hiérarchie». D'abord et avant tout, ses pensées, incontestablement... ! Car le mieux qu'il possédait dans le florilège de ses textes, c'était ses belles pensées qu'on peut toujours cueillir et proposer comme une offrande, en hommage à une vie pleine de valeurs — au pluriel —puisqu'il en avait tellement. Et, c'est dans cet esprit, que nous allons publier, prochainement, l'ouvrage post-mortem intitulé : «Réflexions d'un visionnaire», recueil où il nous gratifie de précieuses informations et analyses sur divers sujets d'ordre politique, économique, social et culturel, qu'il a eus à traiter de son vivant. Là, évidemment, nous aurons à loisir de découvrir l'homme de réflexion d'abord, et le visionnaire ensuite, dans son meilleur rôle, qu'il a toujours affectionné... celui du parler vrai, à cœur ouvert, sans fard ni complaisance, dans une compilation intelligente de ses nombreuses publications. Racontons encore Si Slimane aux jeunes... Et la meilleure façon qui nous vient à l'esprit est ce dialogue inédit et fort instructif que l'auteur avait imaginé tenir avec son propre fils, lors de la présentation de son ouvrage : Kaïd Ahmed, homme d'Etat.
«Hier, nous étions au bord du précipice ; aujourd'hui, nous avons fait un grand pas en avant»
Cette assertion archiconnue de Kaïd Ahmed, évoquée en ce jour particulier, n'est-elle pas une sentence remarquablement juste, une sorte de prémonition, d'avertissement accueilli en son temps par la dérision et la moquerie dont nous mesurons aujourd'hui toute la pertinence ? Le visionnaire qu'il était voulait expliquer, dans un style qui lui était propre, qu'«hier nous étions en difficulté et qu'aujourd'hui nous nous sommes empêtrés davantage en pataugeant dans la gadoue». Il est vrai que l'Homme évoluait à contre-courant, dans un environnement de certitudes absolues «des lendemains qui chantent», alors que le système en place donnait déjà des signes d'essoufflement qui n'échappaient pas au dirigeant averti, blanchi sous le harnais. Kaïd Ahmed, malgré ses prises de position énergiques et claires pour rectifier la trajectoire, ne pouvait qu'être inaudible, la puissante machine de propagande bien huilée et les officines spécialisées se chargeant d'effacer toute trace de discours discordant.
Ainsi, ce haut dirigeant à qui on prêtait beaucoup de galéjades, en forçant le trait et en entretenant perfidement l'image d'un homme sans envergure, était en fait, «un homme politique sérieux, lucide, qui avait derrière lui une longue expérience du terrain qui lui a permis de connaître la nature humaine, les ambitions, les faiblesses et les vertus des plus petites aux grandes gens».
J'ai déjà eu l'occasion d'écrire sur ce haut responsable au moment où certains se taisaient, d'autres feignaient l'amnésie ou le couvraient d'opprobre. Aujourd'hui, l'occasion m'est donnée d'exprimer cette envie de raconter aux jeunes ce qu'était celui qui n'est connu, au sein de leur génération, que par des descriptions caricaturales, insidieusement élaborées et distillées. Il est temps de leur dire, à travers cette contribution, qui se veut un témoignage sincère d'un cadre qui a eu l'insigne honneur de militer sous sa responsabilité, que la mosaïque bigarrée des regards de l'époque n'arrivait pas à admettre le comportement de ce dirigeant à l'opiniâtreté avérée, ne le percevant que sous l'angle de l'adversité, évitant ainsi tout débat serein et constructif pour faire place à la moquerie et au persiflage. Et il faut dire aux jeunes que ce militant de cœur et de conviction n'était ni un troubadour caustique et agressif ni un facétieux blagueur. Il était le responsable enthousiaste, fougueux assurément, mais charismatique et doté d'une vision pour une Algérie qu'il voulait prospère, comme le sont les vastes contrées du Sersou où il est né.
Aujourd'hui, il s'avère nécessaire de remettre les choses à leur place. Il nous faut apprécier les responsables politiques, que nous avons connus et pratiqués, à leur juste valeur et à la lumière du contexte dans lequel ils ont exercé leurs fonctions. Il est indispensable, en effet, de les situer selon leurs mérites et leurs états de service, au profit de la nation. Il faut surtout ne pas offrir de fauteuils à ceux qui ne méritent que des strapontins ; en d'autres termes, ne pas célébrer ceux qui n'ont eu qu'un rôle subalterne ou aucun..., et ils sont nombreux, ces pseudos responsables qui jouissent de réputation surfaite ou, mieux encore, vivent d'imposture.
Mais qui est Kaïd Ahmed ? me dit mon fils
C'est une question que m'a posé mon fils. Alors, lui ai-je répondu de la manière la plus simple.
- Mon fils, lis ce livre que je viens d'écrire, ainsi tu te feras une idée plus claire que celle que tu pourrais capter au détour d'une discussion avec un responsable de ma génération, autre que moi. Parce que dans ce livre tu auras le plaisir de voyager dans le temps, à travers 12 chapitres qui te mèneront dans le vaste patrimoine de Si Slimane, depuis sa prime jeunesse, jusqu'à ce fameux «mémorandum», adressé à ses pairs du Conseil de la Révolution, telle une «feuille de route» – que des militants avertis ont qualifié de «testament» –, en visitant cet élogieux parcours de jeune militant et responsable au sein du mouvement national, puis du moudjahid et enfin du dirigeant politique avisé, après l'indépendance du pays.
Ainsi, tu comprendras aisément mon fils, pourquoi j'ai tenu à écrire un ouvrage sur celui qui n'a voulu abdiquer face aux événements et aux hommes, ne baissant point les bras devant l'adversité et les vicissitudes du temps, parce qu'il ne vivait que pour cette Algérie qu'il souhaitait prospère et radieuse.
Comme un sentiment de reproche, mon fils m'a apostrophé pour n'avoir pas consigné plus tôt ce parcours aux multiples facettes :
- Père, pourquoi as-tu attendu si longtemps pour rappeler au bon souvenir de ceux de ta génération une personnalité historique de cette trempe et sensibiliser les jeunes de mon âge autour des idées nobles qu'il véhiculait ?
- Bonne question, mon fils, à laquelle je me dois de te répondre de la manière la plus franche. Vois-tu, selon «l'air du temps», ou, si tu préfères, selon les standards admis à notre époque, nous étions timides dans nos interventions, nous faisions dans l'obligeance en quelque sorte..., du moins certains parmi nous. On vivait une ambiance où la culture de l'oubli a failli emporter ce que des générations de valeureux militants avaient réalisé de beau, de sérieux, avant, pendant et après notre glorieuse Révolution de novembre 1954.
Sincèrement, pour te répondre directement, je ne me sens point visé par tes reproches car, depuis, j'ai fait mon mea-culpa, réalisant mon manque d'audace, en ces temps-là. Alors, j'ai décidé de lever le voile sur un «historique», comme tu le dis si bien.
J'ai décidé en toute conscience d'exhumer des faits historiques avérés, à l'aide de documents et de témoignages authentiques, en évitant soigneusement de commettre un ouvrage qui ferait office de tribunal, ayant pour seule ambition déclarée de susciter une réaction saine qui provoquerait, dans un esprit de droiture et de justice, une réflexion, un débat que je souhaiterais fécond et fructueux pour la mémoire de Si Slimane et, par extension, pour la mémoire collective, bien malmenée, lorsqu'il s'agit d'établir ou de rétablir l'histoire des Hommes qui ont été des pionniers dans le mouvement national, dans la réalisation du saut qualitatif ayant conduit à une des révolutions majeures du siècle dernier, et enfin dans la construction du pays, après une indépendance acquise de haute lutte.
Vois-tu, mon fils, je n'ai pas produit un plaidoyer, encore moins un brûlot pour accuser les uns et condamner les autres, j'ai réalisé l'ouvrage pour rétablir la vérité sur l'Homme, considérant cela comme mon devoir et un droit de témoigner, afin d'aller vers cette dimension nécessaire voire indispensable, celle qui permet d'évoquer ces rapports humains où il existe de nombreux mensonges, de contre-vérités et de fausses reconstructions de ce qui était, de ce qui est... Car tout ce qui présente «ce qui n'est pas ou n'a jamais été» comme étant «ce qui est et ce qui s'est véritablement passé» entraîne l'injustice, selon un philosophe africain. Ainsi, dans Kaïd Ahmed, homme d'Etat, j'avais pris la liberté de rappeler des faits historiques méconnus ou occultés — c'est selon — qui retracent le cheminement et les dures épreuves subies par ce grand Homme durant sa carrière politique, parce qu'il avait fait le choix d'une démarche autre, qui ne s'accommodait pas avec les compromis boiteux qui, dans son esprit, flirtaient souvent avec la compromission.
J'ai essayé de rapporter honnêtement et fidèlement ce que je sais de cette personnalité nationale, par devoir de vérité uniquement, sans intention aucune de provoquer, de charger ou de culpabiliser qui que ce soit. Cependant, ce devoir de vérité me réserve le droit de déclarer, à haute voix, parce qu'ayant vécu des moments inoubliables avec ce grand dirigeant, à l'instar de mes amis de la jeunesse et du parti du FLN, qu'il a été récompensé par l'ingratitude... Arrêtons-nous là pour l'instant.
C'est alors, qu'afin d'approfondir notre réflexion sur cet Homme qui a fait l'actualité, en son temps, qui a été l'épicentre de nombreux récits — sans aucun excès dans mon propos —, il m'a semblé pertinent de revisiter son itinéraire, bref son expérience, son éducation, ses compétences, son militantisme et sa personnalité, en te proposant et à tous les jeunes une formidable plongée dans le passé. Tu comprendras qu'hier au moins – loin de moi cette nostalgie pathologique – un Homme comme Kaïd Ahmed aura tenté, avec une extraordinaire détermination, au lendemain du recouvrement de la souveraineté nationale, jusqu'à son dernier souffle, d'apporter sa contribution sincère à l'édification du pays. Vois-tu, encore une fois, mon fils, qu'il est temps de raconter cet Homme qui a combattu à visage découvert des groupes de pression puissants et qui a eu la force de dénoncer publiquement les risques de dérive qui pesaient sur le pays ainsi que les aberrations économiques, érigées au rang de «dogmes». Il avait le don du parler vrai, de dire tout haut les choses, dans un style qui ne souffrait pas la langue de bois, armé uniquement d'une forte conviction et d'une profonde connaissance sociologique et culturelle de l'Algérie. Voilà la grande qualité de Si Slimane, celle qui faisait toute la différence, notamment avec ceux qui s'obstinaient à lui tailler des croupières. Il possédait, contrairement à ses détracteurs, une connaissance pratique et le pragmatisme nécessaire pour aborder les nombreuses questions complexes de l'édification du pays, sur les plans politique, institutionnel, économique, culturel et social. Son approche se doublait d'une formidable capacité d'immersion au sein de la société algérienne dans toute sa diversité. Comment ne pas le raconter mon fils, quand, saisissant sa plume à l'image de ces grands qui ont eu la force de dire en mourant, les mêmes choses qu'ils disaient en étant en bonne santé, il écrivait à ses pairs pour réfuter, une fois de plus, la dernière peut-être ?..., en décembre 1972, ce «commerce de pacotilles», entendez par-là «les carences institutionnelles et organiques qui ont engendré elles-mêmes une singulière dilution ou une concentration abusive des pouvoirs». Ah ! quels souvenirs suis-je en train de remuer. N'est-ce pas l'amour de la vérité qui finira par restituer les valeurs de ce dirigeant qui a été un mariage de deux intelligences : une dans la réflexion, l'autre dans la force de l'action ?
Et mon fils de renchérir, tout comme vos enfants, quand ils insistent pour mieux cerner et connaître l'Histoire de leur pays...
- Encore autre chose, père, n'a-t-on pas raconté les déboires de Kaïd Ahmed avec la révolution agraire, avec l'économie, avec le FLN, surtout, n'a-t-on pas dit qu'il était contre tout, en quelque sorte? Comment expliquer cette posture de défiance ?
- Non, mon fils, je ne veux pas que tu te fourvoies, comme beaucoup, en d'autres temps, qui ont gobé toutes les rumeurs et médisances qui se répandaient autour de cet Homme valeureux, dans l'unique but de lui porter atteinte et le discréditer aux yeux de l'opinion publique. Kaïd Ahmed n'a jamais été animé d'un quelconque sentiment de malveillance ou du désir de nuire. L'homme cultivé, policé, raffiné qu'il était, pouvait bousculer quelquefois, pour des raisons de principes, sans se départir pour autant du respect qu'il avait envers tous, parce qu'il connaissait et appréciait la valeur du cadre et de l'Homme, qu'on écrit en majuscule.
Mais malheureusement, et tu as certainement raison mon fils de me poser cette question, Kaïd Ahmed était connu dans l'opinion publique, à travers un écran dressé par «d'autres gens», ceux qui s'ingéniaient méthodiquement dans une entreprise de démolition de cette personnalité, qui n'était pas, loin s'en faut, un sujet de plaisanterie, tant dans son éloquence que dans son ardeur à convaincre, même lorsqu'il utilisait dans ses interventions l'art du calembour et le langage du terroir pour faire passer des messages, un stratagème bien étudié pour contourner le langage stéréotypé de rigueur en ces temps-là. Voici comment on pourrait le définir fidèlement, aujourd'hui, pour le présenter aux jeunes et à ceux de notre génération, qui n'ont connu de cet Homme que ce qu'«on» a bien voulu leur rapporter en insistant sur son «comportement autoritaire», son «parcours politique confus», sa «fortune colossale», lui «le chef de file, au sein du pouvoir, de cette dynastie des GPF (grands propriétaires fonciers), son «arrogance et son impertinence», ses «manières impérieuses», et enfin son «opposition à l'Algérie», puisque «féodal et contre la révolution agraire»...
Mais mon fils, ceux qui l'ont peint de la sorte ne savaient-ils pas, qu'eux-mêmes véhiculaient toutes ces tares et tous ces manquements à l'éthique de la révolution socialiste qu'ils clamaient à tue-tête, et qu'ils mettaient en œuvre de manière fausse et inconséquente ? Kaïd Ahmed, quant à lui, préférait aller vers l'essentiel, méprisant les discours trompeurs et le clinquant. Il avait certainement ses raisons de se révolter contre certains pour n'écouter que sa conscience, «cette terre natale de la vérité», selon la formule des sages. Il faisait ce qui lui semblait rationnel et convenable en ne s'alarmant point des commérages, rumeurs et toutes sortes de bavardages invraisemblables, insensés. Ses contempteurs étaient les plus à plaindre, à ses yeux.
Mon fils, tenace à souhait, ne voulant pas en démordre, me lance sur un ton péremptoire :
- Et ce fameux «mémorandum», cette «feuille de route» dont tu parlais au début de notre échange, c'est quoi au juste ?
- Ce document exceptionnel, quelque peu singulier, c'est la cerise sur le gâteau. Il résume parfaitement la personnalité de Kaïd Ahmed, son épaisseur politique et sa profondeur d'analyse. Une fois examiné par ceux qui apprécient les bonnes idées, les idées fortes, cela constituera, à n'en point douter, une occasion renouvelée de se remémorer ce grand dirigeant qui, de toute son existence, a été l'esclave consentant de principes que beaucoup de responsables n'ont pas su ériger en mode d'emploi dans leur vie de tous les jours. Tu apprécieras, en parcourant les chapitres de ce mémorandum, la grandeur de Kaïd Ahmed, sa vision politique, sa lucidité, sa fermeté sur les principes, son haut degré de conscience, ses hautes valeurs morales et patriotiques, sa connaissance et son assurance dans le traitement des problèmes de l'Etat. Ironie de l'Histoire, l'image méticuleusement travaillée le présentait en inculte, donc insensible à tout mouvement de l'Histoire et des évènements qui ont marqué la vie du pays, après l'indépendance. Laissons place aux écrits qui sont, bien heureusement, le témoignage irréfragable faisant foi du caractère, de la vaste culture politique et du courage de l'Homme qui «ne pouvait se soustraire au devoir quand la nécessité le commande, quand la conscience l'ordonne, quand l'intérêt majeur d'une cause commune l'exige.
Pour Kaïd Ahmed, mon fils, ce mémorandum était un appel solennel à toutes les bonnes volontés et consciences politiques de la Nation qui privilégiaient les intérêts supérieurs du pays et la pérennité de l'Etat algérien aux carrières éphémères, par définition. Le louvoiement politicien n'était pas «la tasse de thé» de l'ancien éducateur qui ne mâchait pas ses mots, mais les choisissait avec tout le soin et l'art du pédagogue et du politique, au sens noble.
La gestion des cadres, par exemple – un des sujets de ce document – doit connaître une refonte totale pour éliminer le carriérisme et «l'aplatventrisme» qui nourrissent les mauvais compromis conçus et construits sur le dos de la Nation, de la société algérienne et de l'Etat. Cette exigence majeure avait atteint sa cote d'alerte dès 1972, quand Kaïd Ahmed pointait du doigt le danger, soulignant qu'«une telle situation appelait inévitablement et favorisait l'envahissement du pays par une meute d'affairistes venus de tous les horizons et qui, par l'intermédiaire de compradores insatiables, tissaient des liens avec les réseaux dont l'emprise sur les centres de décisions du régime transformait le pouvoir en une illustration caricaturale n'ayant plus ni attache ni aucun trait d'union avec l'Algérie résistante.»
Pareille analyse, livrée il y a plus de 40 ans, est d'une actualité brûlante qu'il faudrait peser chaque mot de cette longue phrase tant, aujourd'hui, le combat de l'Algérie contre le sous-développement, l'ignorance, la pauvreté, l'indigence culturelle, l'exclusion, les archaïsmes, la bureaucratie, la corruption et la négation des institutions et des compétences est loin d'être gagné et que les mêmes causes produisent les mêmes effets : des dégâts incommensurables sur la perception de l'intérêt public, du civisme, des valeurs humaines, du respect de l'éthique. En fait, le temps n'a rien à y voir, quand il ne donne pas l'étrange et dangereuse impression qu'il n'avance pas. Quelle fraîcheur pour un texte de 1972 ! Seuls les Hommes, les grands, savent poser les véritables équations pour construire une Nation qui a su arracher son indépendance..., mais n'a pas atteint son émancipation plurielle.
Donc, tu lances le débat ? me demande mon fils, pour clore notre discussion...
- Mais nous y sommes en plein, mon fils. Pourquoi avoir écrit cet ouvrage? Pour le remiser parmi les reliques chargées de poussière dans des bibliothèques désertées par le public ?
Je voudrais que cet ouvrage fasse l'objet de bonnes discussions, selon l'esprit de Kaïd Ahmed qui croyait en la vertu du débat et qui le provoquait en toute circonstance. Ainsi mon fils, reprends les bonnes feuilles de l'ouvrage et tu remarqueras qu'il disait à certains responsables zélés qui préféraient la trique pour «corriger» les étudiants en 1968 :
«Le parti doit convaincre par le débat et non par la force. Attention, j'exige et je vous ordonne de faire en sorte qu'aucun étudiant ne soit puni pour ses idées !» Vois-tu mon fils, Kaïd Ahmed ne s'embarrassait d'aucun complexe, pour livrer sa réflexion sur l'expérience des pays et des hommes, sur les événements marquants et les faits de société, dans le but de susciter le débat fécond et créer l'opportunité de fructueuses confrontations. Enfin... Kaïd Ahmed, homme d'Etat est un ouvrage qui œuvre à rétablir les faits et uniquement les faits, pour restituer l'Homme dans sa véritable dimension et tenter de lever définitivement la chape de plomb diffuse qui, 40 années après sa disparition, continue à envelopper cette personnalité de premier plan, ostracisée de son vivant en raison de ses positions politiques et de ses principes pour lesquels il n'envisageait aucun marchandage. Le bannissement intérieur avant l'exil et la mort auront marqué les dernières années de l'existence du militant inoxydable qu'était l'enfant des Hauts-Plateaux. Le processus conscient «d'amnésie», 40 années après sa mort, connaîtra bien évidemment, un jour, son dénouement, parce qu'utilisé en représailles contre sa mémoire, celle d'un homme en rupture de ban avec ses frères de combat et avec un système qu'il qualifiait, de son vivant, «d'obsolète et porteur de dangers pour l'avenir du pays».
En quittant le pays pour l'exil, il adressera une lettre à son cousin Djaâfar, dont voici l'édifiant contenu :
«Après des mois de torture morale, d'angoisse et d'inquiétude dont la seule et unique raison demeure le sort de ma patrie, je quitte momentanément ce qui m'est cher. Ma pensée ne procède pas de mesquineries et de petitesses que j'ai dû subir. Elle découle de tant de souvenirs, de serment et d'engagement qui me rappellent, à chaque instant, la flamme de ceux qui sont morts pour autre chose que cela.
Si je t'ai quelquefois fort bousculé, comme je l'ai fait avec d'autres militants parmi ceux qui me faisaient l'amitié de ne pas suivre le processus d'isolement organisé, suscité et entretenu par quelques hommes du pouvoir, c'est que je me refusais à faiblir sous le prétexte de m'associer à un monde dont tout me séparait depuis quelques années. Tu ne peux pas tout comprendre, d'autant qu'attaché à mes principes, je me refusais également à narrer certains faits que vous n'auriez pu supporter ou apprécier à leurs justes conséquences. Vous suivre était pour moi cautionner des choses impensables pour l'opinion, ignorante et mal informée autant que muselée. Vous suivre, c'était prostituer mon militantisme et mon passé. Sans doute la recherche du confort moral et matériel est devenue la règle de ce pays. Sans doute je donnais l'impression d'un Don Quichotte. Ce qui est vrai réside dans ma connaissance de l'Histoire, des faits et des hommes. Voilà, le fin mot...»
K. B.


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