Quand la formule est sortie de la bouche d'un sociologue qui avait «pignon sur rue» et comptait parmi les Algériens les plus éclairés, elle avait soulevé une vive polémique, dans le meilleur des cas. Dans le pire, elle avait fait scandale. Tous ceux qui avaient un autre projet pour l'Algérie que celui «proposé» par les islamistes et que Houari Addi présentait comme un passage salutaire ont réagi. Avec la colère aux tripes, avec lucidité ou avec la peur au ventre, du fait que cela émane de là où on ne l'attendait pas. Saïd Sadi, avec le génie qu'on lui connaît, avait à l'époque trouvé la formule qui, si elle n'était pas spécialement adressée à l'universitaire oranais - il se peut même qu'elle soit antérieure à sa sortie - ramenait quand même les enjeux dans leur véritable nature : «On ne fait pas l'expérience avec la mort.» Depuis, le pays n'est pas mort mais ce n'est pas sûr qu'il se soit relevé de son coma profond. Une autre formule - décidément !- s'est greffée aux autres : la victoire militaire sur le terrorisme s'est transformée en victoire politique de l'intégrisme. En livrant la société, l'espace public et parfois les institutions de la République aux vigiles des ténèbres. Le résultat est sous nos yeux et nous le constatons tous les jours. Dans quelques velléités de résistance, dans l'indifférence résignée ou pire : dans l'abdication. Ce sont des jeunes avec des jeans déchirés aux genoux, des coupes de cheveux branchées et des casques à musique collés à l'oreille qui s'en sont pris avec une rare violence à une comédienne coupable de «déshonorer le quartier» en faisant du cinéma. Ce sont d'autres jeunes bon chic bon genre qui ont lynché un homme surpris récemment avec une bouteille d'eau à la bouche dans son véhicule. Ce sont des «militants» qui se sont mobilisés il y a quelques jours du côté de Béjaïa pour empêcher un concert de raï. Ce sont de braves bonhommes sans barbe ni qamis qui vont veiller, l'été venu, à la moralité de leurs «plages familiales» où le maillot de bain doit être interdit de séjour. Quand la ministre de l'Education est arrivée avec une réelle volonté de changer l'école en lui restituant sa double vocation d'espace d'acquisition des connaissances et de formation à la citoyenneté, ses plus farouches adversaires n'ont pas été forcément ceux qu'on attendait, il y en a jusque parmi ses voisins de table en Conseil des ministres ! Et maintenant Madame Greffou ! Vous vous rappelez, la sémillante pédagogue qui, il y a des années, apportait un discours frais, des projections prometteuses et un courage intellectuel rare pour l'école algérienne ? Elle vient de se rappeler à notre bon souvenir... en s'en prenant à tout ce qui est envisagé par Madame Benghabrit. Et avec quels arguments ! Son projet n'a rien à voir avec l'Algérie puisqu'il est conçu par l'Union européenne, le salut de l'éducation nationale est dans le retour aux écoles coraniques des années... 40 qui auraient inspiré... Silicon Valley, on en passe et des meilleurs. On ne l'attendait pas, celle-là. Comme on n'attendait pas Houari Addi, les jeunes aux jeans déchirés et les braves pères de famille, vigiles des plages. S. L.