Ce soir-là, une douzaine de jeunes gaillards font irruption dans mon wagon presque vide du métro d'Alger. Un moment, j'avais pensé que c'est une équipe de football européenne qui faisait un stage incognito à Alger. En effet, ils sont tous en short. La majorité sont de type européen et deux de type méditerranéen. «Ces deux-là sont peut-être d'origine algérienne», pensais-je. Tous ont une carrure de sportif. Le moins costaud du groupe est l'unique Noir de «l'équipe». Il était en train d'expliquer à ses amis Blancs sa théorie de l'évolution et l'influence du climat sur le développement. Selon lui, un climat froid incite à l'activité et au travail, et un climat chaud incite à la fainéantise. «J'ai déjà vu cette tête quelque part», pensais-je encore. «Quand il fait moins deux degrés, les gens sont bien éveillés et ça fouette l'esprit», fait-il remarquer. «Quand il fait moins deux, je reste sous ma couette», lui répond le bronzé assis à côté de lui. «Mais, c'est le froid qui a poussé les gens à inventer cette couette. Les conditions qui ont poussé à l'invention de la couette ont facilité d'autres inventions et le développement», riposte-t-il, instantanément. «Je vous ai compris !» lui lance en souriant un grand blond aux baskets noirs, faisant allusion sans doute au fameux discours de Charles de Gaulle à Alger. La remarque du grand blond n'a pas calmé le jeune Black qui s'est mis à donner des exemples concrets d'inventions pour appuyer sa théorie. Il fait notamment une remarque d'une logique désarmante : c'est la fréquence de la pluie et de la foudre aux Etats-Unis qui ont permis à Benjamin Franklin d'inventer le paratonnerre. Eureka, le bavard noir ressemble à Carl Lewis ! S'il est le moins costaud de l'équipe, il est de loin le plus loquace. A vrai dire, c'est un moulin à paroles. Heureusement qu'il était sympa ! D'ailleurs, il parle comme quelqu'un que j'ai déjà vu quelque part et qui lui aussi ne se taisait presque jamais. Nous arrivons à la station de la place des Martyrs. «Amed, c'est la fin du voyage !», lance l'un des blonds du groupe avec son accent français «Carl Lewis» s'appelle Ahmed, en réalité. Eureka bis ! Il ressemble à un personnage du film American Graffiti 2 qui comme lui est Black et ne se tait jamais. K. B [email protected]