Le mouvement de contestation populaire s'apprête-t-il à passer à une nouvelle phase ? Depuis plusieurs jours, des indicateurs portent en effet à croire que ce dernier tente de trouver moyen de se structurer pour mieux appréhender les évènements. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les éléments qui tendent à démontrer cette nouvelle évolution sont de plus en plus nombreux et essentiellement perceptibles à travers les messages publiés via le net. Espace d'échange, de liberté d'expression incontrôlable, Facebook s'est transformé, depuis un long moment déjà, en une sorte de terrain de mobilisation citoyenne qui a assuré avec succès, compte tenu des résultats obtenus. C'est ici que le premier appel au rassemblement du 22 février a été lancé, suivi de celui du 1er mars puis du vendredi 8 mars dernier. Et c'est là encore que les mots d'ordre, consignes de sécurité de vigilance du maintien du caractère pacifique des manifestations, sont entretenus d'heure en heure. Il se trouve que l'origine de ces appels reste à ce jour inconnue. Le maintien de cet anonymat semble quant à lui répondre essentiellement au souci de se préserver de toute tentative de «phagocytage», ou, en d'autres termes, éviter d'être cassé et étouffé dans l'œuf. Jusqu'ici, les foules incitées à sortir dans les rues ont fait preuve d'une maturité, d'une conscience et surtout d'une organisation exemplaires. Des milliers de personnes sont sorties trois vendredis de suite à Alger, mais aussi à travers toutes les grandes villes du pays sans incidents, sans déroger à la règle. Les seuls incidents observés seraient l'œuvre de groupes isolés et n'ayant aucun rapport avec les manifestants. Il en a été de même durant les marches organisées par les étudiants. Ce mouvement a dépassé aujourd'hui sa troisième semaine. Il se trouve à une étape cruciale de sa très jeune existence mais porte à la fois de lourdes responsabilités : celles de pouvoir poursuivre le processus déclenché dans les formes où il se trouve, faire face à un pouvoir qui n'a pas encore joué toutes ses cartes, mais aussi et surtout pouvoir porter de manière effective, politique, les revendications populaires, étape inéluctable ayant marqué tous les mouvements révolutionnaires à travers l'Histoire de l'humanité. Cela, les Algériens engagés dans la bataille, l'ont bien compris. Ils ont compris aussi que les initiatives personnelles (nettoyer les rues, prendre en charge les blessés, étendre la solidarité les jours des grandes manifestations…) ne pouvaient constituer que l'aspect technique de la mobilisation en cours. Depuis un moment, des tentatives d'amorcer un nouveau processus, de structuration celui-là, se sont mises en place. Des noms de personnalités, d'intellectuels, n'ayant pas forcément de lien avec le monde politique, ont d'abord circulé et présentés comme étant de potentiels figures pouvant représenter le mouvement. Plusieurs d'entre elles ont cependant préféré se garder d'apporter un quelconque quitus à ces initiatives, bien périlleuses il faut le dire, compte tenu de la sensibilité de la situation mais aussi au regard de la grande méfiance qui règne chez les Algériens. Conscients de cet état de fait, les partis politiques ont tenu, jusqu'à l'heure, à accompagner, uniquement, les manifestants et à prendre part aux rassemblements en qualité de citoyens. Effacés ? Pas le moins du monde, ici la bataille est autre. Mais tous observent aussi l'évolution et la recherche d'une structuration qui se manifeste par des appels comme celui auquel ont eu droit les Algériens hier. Un Comité patriotique pacifique s'est par exemple mis en place et appelle à la création d'une «organisation unificatrice et fédératrice», car continuer simplement à «admirer ce mouvement pacifique avec fascination ne pourra aboutir à l'éclosion d'une deuxième République tant souhaitée». «Nous ne sommes ni un parti politique, ni un quelconque groupe de récupération de voix, notre unique dessein est de fédérer les actions du peuple algérien (…) et les transformer en force de changements honorant le courage de cette mobilisation.» Les initiateurs de cet appel vont jusqu'à proposer une plate-forme d'actions parmi lesquelles «le recensement des revendications populaires» pour mieux appréhender les évènements à venir. Trouvera-t-il écho ? Sous quelle forme se présentera-t-il ? A. C.