Parmi les poètes du melhoun qui font fréquemment parler d'eux pour leurs poèmes, les plus récurrents dans le corpus du chant chaâbi, l'on ne peut écarter Mohamed Benslimane qui a laissé des œuvres esthétiquement belles mais surtout à l'allure désinvolte car empreintes d'un franc-parler assez piquant pour répondre à ses adversaires. Mort en 1828 à l'âge de 33 ans, il fut l'objet de jalousie de la part de quelques-uns de ses pairs qui n'hésiteront pas à l'accuser de plagiaire. Les raisons de cette agressivité fangeuse, dit-on, est son illustration de fort belle manière lors d'un concours poétique devant le sultan, lequel devait choisir le meilleur texte pour récompenser les concurrents. A l'évidence, Benslimane rafla la mise en déclamant brillamment «yahl zine el fassi», si bien que cela ne pouvait plaire à ses détracteurs. Pour se venger de lui, ces derniers vont aller jusqu'à titiller dans l'oreille du sultan qu'il était impossible pour un poète âgé à peine de 22 ans de broder une qacida de cette facture. Toutefois, le sultan voulant leur prouver le contraire, le mit en isolement avec seulement du papier, un encrier et une plume, racontent les connaisseurs du melhoun. La jeune Fatma, ayant appris que Benslimane a été mis au cachot, lui envoya, par le truchement d'un émissaire, un bracelet gravé de phrases codées pour le mettre au parfum du complot qui se trame à son encontre. A peine il décoda les caractères chiffrés sur le bracelet, qu'il s'est mis à l'œuvre et concevra d'un trait son joli poème intitulé : «Mersoul Fatma ya nassi besselem ziftou leghzali djab li meqyass, we qrit fi ktabou dhek edemlij fi tba'û, qalet natik hakdha menqouche» (L'émissaire de Fatma, ô gens, m'a fait parvenir le bonjour de ma gazelle et me remet un bracelet. J'ai lu l'écrit ciselé sur la gourmette, elle dira qu'ainsi je te le donne parfaitement gravé). Le geôlier fera vite remettre la poésie au sultan qui le consacrera pour une deuxième fois meilleur poète parmi les concurrents. Depuis, sa célébrité va grandissante. Le jeune poète Mohamed Benslimane composera tout au long de sa courte vie d'autres épigrammes aussi jolies que Mersoul Fatma à l'image d'El Warda, Erra'âd ou saqi baqi entre autres. M. Belarbi