Selon l'imam d'une mosquée de Mila, Abdelhamid Ibn Badis (mort 14 ans avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale) a participé au combat, les armes à la main. On ne sait pas s'il a pris la peine d'évoquer les batailles livrées par le leader des Ulémas dans les maquis ou les centres urbains du pays mais on sait qu'il a poussé ses «révélations» le plus loin possible, puisque le prêcheur du vendredi a appris aux fidèles que Ben Badis est sorti victorieux de toutes les opérations militaires qu'il a conduites. Mensonge pour mensonge, il n'allait tout de même pas s'en priver en s'arrêtant en si bon chemin. On ne sait pas non plus si parmi l'assistance qui devait l'écouter… religieusement — sans cynisme ni jeu de mots — il y en a eu qui se sont révoltés contre la grossière imposture historique. Mais on sait que dans la masse de prieurs qui investit la mosquée principale d'un chef-lieu de wilaya, il devait quand même y avoir quelques-uns qui connaissent la vérité. En l'occurrence, il n'est pas utile d'être un érudit passionné d'histoire, il suffit juste d'avoir quelques rudiments en la matière. Le problème est que dans ces espaces-là, ce n'est pas dans la «culture» et la tradition de faire des vagues, ni même de relever, dans le calme et la courtoisie d'usage, l'inexactitude ou le faux. Dans le meilleur des cas, on en parle en «lieu sûr», sans risque possible, à une table isolée du café de quartier ou dans le confort sécurisé des chaumières. Dans les lieux de culte de l'islam algérien, il n'y a que les militants, c'est-à-dire les intégristes qui prennent des risques en défendant, sur le minbar quand il leur revient, sur chaque pas de mosquée ou dans son prolongement physique. Ils défendent «leur» islam, sa traduction dans la vie ordinaire et repoussent, toutes griffes dehors, tout ce qui peut contrarier l'idée qu'ils se font de la religion et de la foi. Ce n'est pas un seul mensonge que l'imam de Mila a servi aux fidèles ce jour-là. Il paraît que Ben Badis a été aussi pionnier dans la défense de la… laïcité ! Avec un peu de contorsion, on peut évidemment concevoir que son combat pour l'assimilation peut être compris comme une façon de préserver l'Islam des aléas politiques. Mais, manifestement, personne ne lui a demandé de précision, dont celle-ci, de taille : est-ce que c'est pour… revendiquer la laïcité aujourd'hui qu'il est allé chercher une si respectable référence qui aura décidément tout fait pour le pays, y compris prendre les armes dans une guerre entamée 14 ans après sa disparition ? Ce n'était peut-être pas utile de lui poser la question, dans un pays où on se dit pionnier de la démocratie pour… faire taire les démocrates, tous berbères pour réprimer les porteurs de l'emblème… berbère, novembristes plus que les novembristes qu'on met en prison et plus… révolutionnaires que ceux qui militent pour le changement ! S. L.
