Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
«Les intoxications par les pesticides constituent un véritable problème de santé publique» Mme REZKALLAH HACIBA, PRESIDENTE DE LA SOCIETE ALGERIENNE DE TOXICOLOGIE (SATOX), AU SOIR D'ALGERIE :
Entretien réalisé par Ilhem Tir La professeure Rezkallah Haciba est pharmacienne toxicologue, directrice du Laboratoire de recherche en santé environnement à l'Université Oran 1, chef de service de pharmacologie toxicologie au CHU Oran et présidente de la Société algérienne de toxicologie (Satox). Dans cet entretien accordé au Soir d'Algérie, Mme Rezkallah évoque la problématique du risque sanitaire et environnemental lié à l'utilisation des pesticides. Leur utilisation peut être à l'origine d'expositions multiples telles que celles par inhalation ou par contact cutané ou suite à l'ingestion d'aliments contaminés. Ces intoxications occupent le deuxième rang après les intoxications médicamenteuses. Le Soir d'Algérie : La Satox a choisi pour sa 9e rencontre internationale, le thème des pesticides: risques sanitaires et environnementaux, pourquoi ? Rezkallah Haciba : Les pesticides, utilisés aussi bien en agriculture pour améliorer la productivité qu'en santé publique dans la lutte antivectorielle, font désormais partie intégrante de la vie moderne. Selon la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture), 4,6 millions de tonnes de pesticides chimiques sont pulvérisés dans le monde chaque année, ce qui équivaut à 146 kg par seconde. Justement, cette omniprésence des pesticides, qualifiés de dangereux pour la santé humaine et environnementale, est à l'origine de sérieuses préoccupations relatives à leur utilisation sécuritaire, à l'évaluation de leur risque sanitaire et à leur réglementation. De ce fait, et vu l'ampleur des problèmes toxicologiques de ces produits et leur impact sur la santé publique, il nous est apparu important de rassembler les chercheurs nationaux et étrangers, les acteurs de la santé, de la sécurité au travail, de la protection des végétaux en milieu agricole et de l'environnement. Les travaux de la 9e rencontre internationale de toxicologie co-organisée par la Société algérienne de toxicologie et le Laboratoire de recherche en santé environnement de l'Université Oran1 ont abordé les divers aspects de la problématique du risque sanitaire et environnemental lié aux pesticides. En effet, le programme scientifique (conférences plénières, communications orales, posters et workshops) réunissant d'éminents intervenants nationaux et étrangers, a permis de communiquer et d'échanger des expériences qui s'articulaient autour de plusieurs thèmes pluridisciplinaires: les aspects réglementaires, les intoxications aiguës aux pesticides, les résidus de pesticides dans les aliments, les expositions professionnelles et les risques éco-toxicologiques. Quels sont les effets des pesticides sur notre environnement ? Les pesticides et/ou les molécules issues de leur dégradation sont susceptibles de se retrouver dans l'air, le sol, les eaux, les sédiments… ainsi que dans les aliments. Ils présentent des dangers plus ou moins importants pour l'homme et les écosystèmes, avec un impact à court ou à long terme. Leur toxicité ne se limitant pas aux seules espèces que l'on souhaite éliminer, ils peuvent nuire à toutes sortes d'êtres vivants, végétaux ou animaux, terrestres ou marins. Ainsi, ils peuvent être à l'origine de déséquilibres sur la diversité biologique et les écosystèmes. Concernant les effets sur l'homme, les conséquences de l'usage non sécuritaire des pesticides se caractérisent à court terme par des cas d'intoxications aiguës accidentelles ou intentionnelles, parfois mortels, décelés en milieu domestique ou en milieu agricole, où l'exposition à ces produits est la plus importante. Pour ce qui est de l'exposition humaine à long terme à de faible dose de ces produits, suite à une contamination environnementale ou à une consommation des denrées alimentaires et éventuellement de l'eau contenant des résidus de pesticides, plusieurs pesticides peuvent se révéler comme des perturbateurs endocriniens, neurotoxiques, tératogènes et cancérogènes. De nombreux travaux scientifiques tendent à montrer l'implication des pesticides dans la survenue de certaines pathologies comme l'asthme, les diabètes, les cancers, l'infertilité, les malformations fœtales ou encore les troubles neurologiques. Ainsi, les travaux de l'Inserm font apparaître un lien fort entre l'exposition professionnelle aux pesticides et l'apparition de la maladie de Parkinson, d'un lymphome non hodgkinien, d'un cancer de la prostate ou d'un myélome multiple (sorte de cancer du sang). Selon d'autres études, on estime qu'il existe aussi des preuves assez fortes pour les leucémies ou encore la maladie d'Alzheimer ou d'autres troubles cognitifs. Les travaux de l'Inserm montrent également un lien entre l'exposition in utero des enfants et la survenue de tumeurs cérébrales, de leucémies et de malformations congénitales. Que prévoit la réglementation ? La réglementation évolue régulièrement depuis ces dernières années pour une protection plus rigoureuse. Il y a eu une augmentation considérable de la promulgation de la législation sur les pesticides dans le monde. Elle reste, toutefois, absente dans environ un quart des pays notamment en Afrique. Le cas échéant, elle manque souvent d'exhaustivité et de ressources pour mettre en œuvre et appliquer correctement les directives. Les pays développés, à l'inverse, mettent en œuvre une législation de plus en plus stricte, normalisant l'enregistrement des pesticides et le contrôle de leur commerce et de leur utilisation. Il faut savoir que lorsque les bonnes pratiques agricoles (dose, fréquence d'utilisation, délai avant récolte…) ne sont pas respectées, la quantité des résidus de pesticides peut dépasser les limites maximales et les doses journalières admissibles, ce qui pourrait compromettre la santé du consommateur. De ce fait, la teneur des résidus de pesticides dans l'eau et les denrées alimentaires est également réglementée. La commercialisation des produits alimentaires est soumise au contrôle de la quantité de résidus de pesticides qu'ils contiennent et qui ne doit pas dépasser une certaine limite propre à chaque aliment. Il s'agit des LMR (Limites maximales de résidus). Qu'en est-il pour l'Algérie ? Pour ce qui est de l'Algérie, l'index des produits phytosanitaires à usage agricole dénombre plus de 400 pesticides homologués (insecticides, fongicides, acaricides, herbicides, inhibiteurs de germination, …).Toutefois, quelques études portant sur la conformité des pesticides commercialisés a révélé qu'un bon nombre de pesticides ne sont pas homologués et importés frauduleusement, et que leurs conditionnements et méthodes d'utilisation ne sont pas conformes aux normes internationales de qualité. Exemple, une étude faite à Oran en 2019 par l'équipe du service de toxicologie du CHU d'Oran et le LRSE de l'Université d'Oran 1 a révélé que 27% des produits sont non-homologués. D'autre part, un vide réglementaire est à signaler concernant les doses journalières admissibles (DJA) , et les limites maximales de résidus (LMR). Une harmonisation internationale des LMR permettant d'améliorer la protection de la santé publique et de l'environnement serait souhaitable. La mise en œuvre des lignes directrices et les cadres juridiques des conventions internationales portant sur l'utilisation, la gestion, le commerce, le stockage et la manipulation des pesticides, ainsi que les directives des instances internationales (OMS, FAO, …), serait particulièrement utile lorsque la législation nationale sur les pesticides est inadéquate ou absente. Les intoxications aiguës constituent un véritable problème de santé publique en Algérie, qu'en pensez-vous ? La vente libre de pesticides, leur utilisation généralisée et leur mauvaise gestion, aussi bien commerciale que domestique, expose la population à des intoxications aiguës parfois mortelles. Selon l'OMS, on dénombre chaque année 3 millions de personnes intoxiquées et 20 000 à 200.000 décès par pesticides dans le monde. Bien que les pays en développement représentent seulement 25% de la consommation mondiale, ils enregistrent 99% de décès. En effet, les intoxications aiguës par les pesticides constituent un véritable problème de santé publique en Algérie, face au nombre sans cesse croissant d'intoxications aiguës tant accidentelles qu'intentionnelles admises aux services des urgences. Ces intoxications occupent le deuxième rang après les intoxications médicamenteuses. Chaque année, le service de pharmacologie toxicologie du CHU d'Oran enregistre près de 100 cas d'intoxications aiguës aux pesticides. Ce sont généralement des intoxications intentionnelles (58%), notamment chez les adultes, et accidentelles (24%), en particulier chez les enfants. Elles prédominent chez le sexe féminin (60%). Actuellement, l'intoxication à l'alpha-chloralose prend de plus en plus d'ampleur en Algérie et fait craindre le même scénario que l'ancienne série d'intoxications par le Rat-Killer®. Quelles sont les recommandations de la Satox à ce sujet ? Vu le constat actuel, particulièrement préoccupant, il convient de souligner l'importance de certaines mesures à prendre à des fins correctives et préventives pour atténuer les risques des pesticides à savoir : limiter l'accès libre aux produits phytosanitaires, notamment ceux qui sont classés comme «extrêmement dangereux» (à usage interdit ou restreint selon les pays), normaliser les mécanismes de surveillance et promouvoir la réglementation régissant les actions de prise en charge et de suivi régulier des personnes professionnellement exposées, éditer une plateforme ou un système qui permet de signaler des évènements de santé liés à l'utilisation de produits phytosanitaires aux ministère de la Santé ou les centres antipoison et de toxicovigilance, ce qui permettra d'identifier de nouveaux risques et de mieux connaître ceux déjà identifiés. En plus de la mise en œuvre des mesures pour prévenir ou limiter ces risques sanitaires, par la diffusion d'informations, d'avis, de mises en garde ou de retrait du marché de certains produits phytosanitaires ainsi qu'un programme national de surveillance régulière des résidus chimiques et de contaminants et, en particulier, des résidus de pesticides dans les aliments. I. T.