En accédant à la primature, fin février, Lyes Fakhfakh déclarait qu'il était venu pour lutter contre tous les maux dont souffrait et souffre encore la Tunisie. Pour ce faire, il a annoncé à qui voulait l'entendre que la transparence serait son outil préféré. Trois mois plus tard, il s'est rendu au Parlement pour parler de ses 100 premiers jours à la tête du gouvernement en ayant sur les épaules une lourde charge, que les Tunisiens, toutes classes confondues, résument en "conflits d'intérêts". Depuis que le pot aux roses a été découvert, Lyes Fakhfakh est devenu la cible des facebookers, des organisations de la société civile et surtout, d'un bon nombre de députés à l'exception de ceux du parti islamiste En Nahdha qui cache encore son jeu. Que lui reproche-t-on ? "conflit d'intérêts" qu'il reconnaît lui-même se cachant derrière le vocable : «Je me suis trompé». En effet, Lyes Fakhfakh est actionnaire dans une société qui, en pleine période de lutte contre le coronavirus, est parvenue à conclure un marché juteux avec le gouvernement. Le contrat portait sur 44 millions de dinars tunisiens (14 millions d'euros). Pour un pays qui saigne, nul ne tolère à son chef du gouvernement de porter une double casquette, au détriment de l'état. Cependant, à ce jour, l'on considère le chef du gouvernement comme faisant l'objet de simples accusations, alors que lui-même estime n'avoir pas enfreint la loi. Toujours est-il que le dossier est entre les mains de la justice suite à la plainte déposée par un député. Mais, l'affaire qui retient l'attention de l'opinion publique est en voie d'offrir l'occasion à certaines parties de damer le pion à Lyes Fakhfakh ou, au contraire, lui assurer le secours pour poursuivre sa mission au palais de la Kasbah. C'est le cas du parti islamiste, qui cherche à étendre son hégémonie sur tous les rouages de la politique et de l'administration. Pour y parvenir, il n'y a pas mieux que d'accorder son soutien au chef du gouvernement pour en faire un otage. Toutefois, le chef du gouvernement persiste et signe. Dans l'une de ses plus récentes déclarations faites jeudi soir, il se montre certes moins arrogant que la semaine dernière au Parlement, mais décidé à prolonger son séjour au palais de la Kasbah jusqu'à 2024, c'est-à-dire jusqu'aux prochaines législatives. Avec assurance, il dit qu'il est parti pour rester quatre ans, la Tunisie ne pouvant plus supporter l'instabilité politique nuisible à la relance économique. Pour lui, la cession de ses actions dans la société, objet de controverse le laverait de tout soupçon et remettrait la machine en marche. Ainsi, il s'appuie sur le juridique sans regarder l'éthique et le politique, fondement de la confiance qu'il cherche auprès du peuple. En face, le président de la République garde, à ce jour, un mutisme total. Laissera-t-il En- Nahdha agir à sa guise ? Rien n'est moins sûr. D'autant plus que le courant ne passe plus entre le chef de l'état et le président de l'assemblée, Rached Ghannouchi. Et ce n'est plus un secret. N'a-t-il pas crié que l'Etat est UN et qu'il est son chef ? C'est ainsi qu'il a répondu à Ghannouchi suite aux contacts de ce dernier avec le président libyen, Sarraj. Contacts qui n'étaient pas du goût du président Saïed, qui y a vu, comme tout le monde d'ailleurs, une immixtion dans les affaires étrangères, domaine exclusif du chef de l'état. Sur ce fond d'incertitudes politiques et de crise économique et sociale, Fakhfakh a-t-il les capacités de tenir le coup face à ses détracteurs ? Et ils sont nombreux. M. K.