La Cour de cassation en France pourrait avoir mis un point final mercredi au litige entourant un tableau de Pissarro, La Cueillette, que se disputent les descendants d'un collectionneur juif spolié sous l'Occupation allemande et un couple d'Américains qui l'ont acheté légalement aux enchères. Voilà trois ans que la justice française est saisie du devenir de cette toile peinte en 1887 par l'impressionniste Camille Pissarro. Les deux familles qui la revendiquent s'estiment chacune dans leur droit. D'un côté, les descendants de Simon Bauer, un industriel amateur d'art né en 1862, spolié de ses œuvres dont La Cueillette des pois sous l'Occupation. De l'autre, les époux Toll, grands collectionneurs américains qui avaient acquis cette gouache pour 800 000 dollars chez Christie's à New York, en 1995. La famille Bauer avait perdu la trace de La Cueillette jusqu'à ce qu'elle la retrouve exposée au musée parisien Marmottan-Monet début 2017, prêtée par les époux Toll dans le cadre d'une rétrospective consacrée à Pissarro. Fin 2017, puis en appel en octobre 2018, la justice française a ordonné aux Américains de restituer la gouache aux Bauer, en s'appuyant sur un texte d'exception : l'ordonnance du 21 avril 1945 sur la «nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi ou sous son contrôle», destinée à permettre aux victimes de récupérer leurs biens. Les époux Toll se sont pourvus en cassation, et la cour devait trancher mercredi sur le fond. Dans l'attente de l'issue du litige, les Bauer ont laissé la toile sous séquestre. En septembre, la haute juridiction avait déjà rejeté un recours des Américains visant cette ordonnance de 1945. L'ordonnance stipule notamment que «l'acquéreur ou les acquéreurs successifs sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé», sans limite dans le temps, et prévoit la restitution du bien à la personne spoliée. Or, les collectionneurs américains n'ont eu de cesse de soutenir qu'on «ne répare pas une injustice en en créant une autre» et qu'ils ne pouvaient deviner, en achetant la toile aux enchères cinquante ans après la fin de la guerre, qu'elle cachait une si sombre histoire. Mais si l'on peut «critiquer le mécanisme à effet radical, implacable pour ces acquéreurs», de l'ordonnance de 1945, il faut la replacer dans son contexte pour saisir la «légitimité historique» de ce texte qui reconnaît le propriétaire spolié comme une «victime de guerre», avait insisté pour sa part l'avocat général.