Savez-vous, bandes de passériformes siffleurs, quel lien y aurait-il entre le chardonneret «tiwawaty», un tilapia agressif et Amar Ezzahi ? Oui, vous avez bien lu, cheikh Amar Ezzahi, le dernier pharaon du châabi à quitter la vie ! Le rapport entre le chardonneret chanteur en mode «tiwawaty», le tilapia, cette carpe exotique si prisée des aquariophiles algériens et le chanteur de El Maqnine ezzine, c'est le célèbre bazar numérique Ouedkniss.com. Le pionnier des sites de vente en ligne où on va comme à la pêche de gros ou à la chasse à l'oiseau rare. Mes aïeux, quel bonheur de redécouvrir, à chaque fois, ce site du bon-vivre et du mieux-être algériens, avec une manière de dire les choses et de les nommer, typiquement de chez nous ! Sur le virtuel Ouedkniss.com, c'est une autre Algérie. Bien réelle celle-là, qui exhale les parfums odorants et capiteux du jasmin blanc ou du galant de nuit qui embaument certaines demeures algéroises les soirs d'été chauds. Sur Ouedkniss.com, et nulle part ailleurs, on trouve, outre l'automobile, le smartphone, l'électroménager, le bric-à-brac du bricoleur, les arts de la table, la déco, les logements, les ovins, l'ameublement et bien d'autres sources de bonheur pour le chineur. Des livres, parfois rares, des plantes, des oiseaux de toutes espèces, des poissons cichlides du Malawi, des chiens de races variées, des vaches laitières, des rapaces diurnes ou nocturnes, et des répulsifs pour serpents ! Des écureuils kabyles, des cochons d'Inde, mais aussi des pigeons pour tous les goûts des colombophiles. De même que des hamsters et des poissons d'aquariums dotés des accessoires nécessaires, des plantes décoratives et des produits de traitement de l'eau et de soins pour les espèces. Un sacré bazar ce Ouedkniss.com où l'on peut acheter aussi des matelas gonflables, des fast-foods ambulants et tout l'attirail de l'apiculteur, entre autres objets du désir. On peut même tomber sur une annonce renversante, d'une truculence assez équivoque. Comme celle, sous le nom de code «mssam'3î», un homme ou peut-être une femme, propose : «J'ai un homme qui peut tout ce que vous voudrez, mais il mange et dort trop. Livraison à domicile. Merci. 20 000 DA négociables.» Traite négrière des temps modernes et à l'algérienne ? Difficile de sonder le mystère de cette annonce pimentée, il est vrai, mais bien rare. Plus communes, mais encore plus savoureuses, sont par ailleurs les annonces propres au chardonneret qui fleurent bon le mélange de cumin, de curcuma, de carvi et de cannelle. Et ça évoque délicieusement Al-Maqnine ezzine, la chanson magnifiée par Khouya El Baz, alias El Badji, et sublimée par Amar Ezzahi. Al maqnine, le Carduelis-carduelis fétiche des Algériens, gracieux passereau au plumage bariolé, au masque rouge et au gazouillis fluide, avec variations et modulations de fréquences. Et là, mes amis, sur Ouedkniss.com, rien que de l'amour ! On convoque même la philosophie du châabi. Tel cet annonceur anonyme qui dit «j'ai un vieux maqnine de Khémis Miliana, khéloui». Le khéloui, cette mystérieuse alchimie de l'extase du mélomane algérois, qui succombe à l'envoûtement du châabi comme d'autres auraient goûté à la magie du tarab arabe ou du fado portugais. Et cet autre éleveur qui vous propose son «Maqnine très bienne». Et un autre, son «chardonneret en bon état» ; un troisième, son chardonneret au «chant super, très propre, sans faute», qui chante juste, quoi ! Ou encore un «chardonneret, chant mahboul» pour vous enchanter à l'envi ! Tenez aussi, cet autre poète qui veut vous vendre un «chardonneret cravaté» qui chante en modes «laglag tiwawaty», «gazret tiwawaty», «galoupe tiwawaty» et même un «tiwawaty foutisé» à vous foutre de la joie dans les oreilles et dans le cœur, par ces temps de Covid ! On passe ensuite du chardonneret au canari. Sur ce coup-ci, on siffle de plaisir avec un amateur qui veut céder «un mâle orange, très bon chanteur et coupleur sans pitié», mais dont «la femelle blanche n'est pas prête», sans que l'on sache pour autant si c'est pour le chant ou pour l'accouplement. Et tel autre, propriétaire d'un canari satiné, qui veut le vendre parce que «ébda iykhalatt fé éttssfar», manière poétique de dire que quand il chante, il s'emmêle les pinceaux ! Il y a encore cet autre vendeur qui propose un canari gloster corona de Médéa qui «ne chante pas beaucoup, mais rahou djay». Traduire, un canari apprenti-chanteur. Et, merveille des merveilles de la grotte d'Ali Baba sur OuedKniss, le «tilapia agressif». Cette créature-là, c'est un petit poisson riche en vitamines et en oméga 3, qui vient notamment du Mozambique. Les Algériens l'aiment suffisamment pour le mettre dans un aquarium, plutôt que dans une poêle à frire, comme ailleurs en Afrique. Et ça, mesdames et messieurs, c'est du «tiwawaty foutisé», à l'algérienne. N. K.