Ils ont préjugé de leur bonne étoile en pensant que cela n'arrivait qu'aux autres. Face au coronavirus, ils se sont sentis forts, intouchables, invulnérables. Ils ont organisé des fêtes, invité des amis, oublié les recommandations du comité scientifique et des professionnels de la santé. Cette insouciance leur a été fatale. Certains ont été très malades, d'autres ont échappé de justesse à la faucheuse, alors que les moins chanceux se sont retrouvés au cimetière. Ils ont baissé la garde. Un peu par défi ! Un «chouia» par fatalisme. C'est le cas de Souad, 43 ans. « À la suite de la réussite de mon fils aîné à l'examen du baccalauréat, j'ai tenu à organiser un «f'tour» à la maison. La courbe des contaminations s'étant inclinée, alors je me suis dit qu'il n'y aurait pas de risque. Afin de me donner bonne conscience, j'ai dressé les tables et les chaises dans le jardin. Les plus proches étaient là : des membres de ma famille et des amis. Vingt-cinq personnes en tout. On s'est embrassés, pris dans les bras... Il y avait si longtemps que je n'avais pas vu mes proches.... Ils m'avaient tellement manqué. C'était un peu l'euphorie. Le repas, le café, les gâteaux, la musique... La vie était là, plus forte que tout. Mais quelques jours plus tard, ma mère âgée de 78 ans et souffrant de plusieurs maladies chroniques a commencé à se sentir mal. Diagnostiquée positive au Covid-19, son état s'est vite dégradé. Intubée, elle est décédée à l'hôpital au bout de quelques jours. D'autres proches ont également été contaminés avec des symptômes plus ou moins sévères : forte fièvre, maux de tête, fatigue générale, difficultés respiratoires.... Le temps n'est plus au regret, mais je tiens à dire à ceux qui liront ce témoignage de faire très attention et d'éviter les regroupements quel qu'en soit le motif. Les fêtes peuvent se rattraper mais pas la vie ». L'appel du Sud et de l'évasion L'appel du Sud a été source de contaminations au Covid-19 pour un groupe d'amis. «Nous étions frustrés de ne pas avoir eu de vacances cet été», raconte Nabil, 54 ans, «alors début novembre, mes amis et moi, avons organisé une expédition d'une semaine à Ghardaïa. Visites, kheïmate, excursions... nous avons complètement zappé les gestes barrières, le port du masque, etc. Dès notre retour à Alger,les premiers signes ont commencé à se manifester. Maux de tête, perte du goût et de l'odorat, toux, courbatures, frissons... Les tests Covid ont révélé que nous étions tous les six positifs avec des taux allant de 10 à 25%. Nous avons mis un mois pour nous en remettre, avec des arrêts de travail et un confinement strict pour chacun d'entre nous. Vu l'hécatombe à laquelle nous assistons en ce moment, je me dis que mes amis et moi avons eu beaucoup de chance d'avoir échappé à la mort. Notre inconscience aurait pu nous être fatale ». Cela n'arrive pas qu'aux autres Bien que les mariages soient interdits depuis mars dernier, de nombreuses familles continuent à organiser des fêtes en faisant fi de la crise sanitaire qui secoue la planète entière et qui envoie, chaque jour, des terriens manger les pissenlits par la racine. Hakima, 47 ans, tient à dénoncer ce comportement irresponsable : «Les cortèges de mariés passent sur les avenues et boulevards sans être inquiétés par les forces de l'ordre en faction. J'ai moi-même reçu une carte d'invitation d'une voisine qui a loué une villa, en septembre dernier, pour célébrer le mariage de sa fille. J'ai décliné l'invitation car je pense que chacun est responsable de ses actes. Par la suite, j'ai appris qu'une invitée complètement asymptomatique leur a tous refilé le Covid-19. Bien sûr que nous sommes tous déprimés par cette situation. Bien sûr que les loisirs et les distractions nous manquent ! Mais vu les risques que ce genre de regroupement implique, la sagesse demeure l'unique rempart contre cette maladie. Les gens qui organisent des fêtes, en louant des maisons, sont complètements inconscients. Mais ceux qui acceptent les invitations, le sont aussi. Désolée de paraître moralisatrice, mais je pense que la situation est trop grave pour la prendre avec légèreté.» Cette pandémie est cruelle, limite monstrueuse. Outre la douleur de perdre un proche, il n'est même plus possible d'aller présenter ses condoléances ou d'assister à l'enterrement. De nombreux témoignages font état de contamination au Covid-19 suite à des veillées funèbres. «Quand mon cousin est décédé, toute la famille s'est précipitée chez mon oncle et ma tante afin de leur apporter soutien et réconfort » nous révèle Amir (29 ans). Si les jeunes ont échappé aux contaminations, les plus âgés, eux, ont chopé le virus. Nous avons enregistré un deuxième décès trois semaines plus tard : celui de mon oncle. Cette fois-ci, les condoléances ont été formulées par téléphone afin d'éviter une autre catastrophe .» La situation est inédite. La pandémie dure dans le temps et fauche beaucoup d'âmes. En attendant l'arrivée d'un vaccin qui permettra un retour à la vie normale, le bon sens dicte la prudence. Mariages, fiançailles, baptêmes peuvent attendre. Il y va de notre santé et de nos vies. Soraya Naili