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INTERVIEW DE FADELA HEBBADJ
�L'horreur, c'est l'�croulement des valeurs, c'est la mort de la justice sociale�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 06 - 11 - 2010

Le Soir d'Alg�rie: Comment avez-vous rev�cu le drame survenu dans votre enfance � la faveur de l'�criture de ce roman ?
Fad�la Hebbadj : Difficilement. C�est toujours douloureux de replonger dans des drames pass�s. Mais il fallait que je le fasse, pour ma famille et au nom d�une histoire collective. Les Ensorcel�s est un r�cit autobiographique que j�ai �videmment �crit dans la douleur.
En suivant naturellement le cours de mes �motions, je fais entendre un petit �clat d�injustice aux oreilles de ceux qui n�osent pas regarder en face la v�rit�. On dit que je parle de souffrance, de peines, c�est une fa�on commode d��viter de poser les vrais probl�mes. L�inf�me, c�est un m�lange de racisme et d�arbitraire. Je parle d�un fait honteux qui d�shonorerait toutes les chambres des tribunaux : un juge lib�re un assassin, voil� ce qui est difficile � faire admettre.
Pouvez-vous revenir sur les faits ?
Les faits semblent dans un premier temps ordinaires, banals : un homme ne supporte plus le bonheur de ses voisins. Il tue ma m�re et ma s�ur et blesse mon p�re et mon fr�re. Les rires de mes fr�res et s�urs l�insupportaient. C�est une histoire d�envie. Il ne pouvait pas construire son bonheur lui-m�me, alors il a tu� le c�ur de ma famille. Un juge l�excuse et le lib�re.
Pourquoi, selon vous, le syst�me judiciaire fran�ais a-t-il, dans ce cas pr�cis, failli � ce principe fondamental du droit : l'�galit� de tous devant la loi ?
C�est un fait marquant, isolable qui montre l�aberration, l�absurde et l�horreur d�un syst�me judiciaire, mais ce fait est aussi singulier parce qu�il est aussi le reflet d�une soci�t�. Les ratons, les Arabes �taient consid�r�s comme des �tres inf�rieurs, ils le sont d�ailleurs encore, si l�on prend soin de d�nombrer les Maghr�bins dans les prisons. Il y a toujours eu une loi pour Mohamed, une loi pour Herv� et une loi pour Marie-Caroline. Dans mon histoire, une institution judiciaire laisse verser le sang sans en rendre raisons puis cache ses m�faits, dans les archives, pendant une longue p�riode. Le criminel de ma m�re et de ma s�ur n�a pas �t� jug�, il a �t� lib�r�. Et le dossier judiciaire et policier, au placard, nich� soigneusement pendant plus de trente-cinq ans sous la masse des affaires exceptionnelles. Un d�lai de principe de trente ans ne m�a pas autoris� � en avoir acc�s. Curieux pays des droits de l�homme qui consiste � mettre au vert les histoires br�lantes qui pourraient remettre en question un r�gime de haine et de violence. N�y a-t-il pas quelque chose de terrifiant quand un juge d�cide de refuser d�appliquer la loi, dans un pays soi-disant de droit ? Comment l�absurdit� et l�horreur de cette mani�re de juger peuvent- elles se proclamer monde civilis� ? L�injustice la plus grande n�a pas �t� compens�e. Une dette judiciaire n�a pas �t� pay�e. Quand la justice se permet tout, elle meurt et produit du monstrueux. L�horreur, c�est l��croulement des valeurs, c�est la mort de la justice sociale. Le th�me m�me de mon livre est mal compris ou plut�t mal pos� volontairement. On le qualifie de crime de guerre, c�est tout de m�me r�v�lateur ! Le th�me des Ensorcel�s est rel�gu� au chapitre des crimes de guerre. En �tat de guerre, il est possible de tout se permettre, mais il ne s�agit pas d�un crime de guerre mais d�un crime d�Etat. Il s�agit d�un fait divers qui s�est d�roul� en 1972. Ce d�placement est int�ressant. Il fait clairement appara�tre la difficult� m�me pour des critiques litt�raires de reconna�tre l�absurdit� de la justice fran�aise quand elle d�boussole. Deux femmes alg�riennes assassin�es, leur assassin lib�r� : les victimes et le coupable dehors, hors de la loi, hors-la-loi, aucune enqu�te, aucun proc�s, la porte de la loi ferm�e, les �trangers out-law, d�j� en 1972, en France, dans un pays de droit. Quand je parle d�une histoire collective, je pense particuli�rement � un projet de loi d�battu en ce moment m�me � l�Assembl�e nationale qui durcit le traitement des �trangers en France, y compris des �trangers malades. La logique est simple, faire sortir l��tranger ou le Fran�ais d�origine �trang�re de l�Etat de droit. Ce projet a pour nom : �Immigration, Int�gration et Nationalit�.� Il s�agit d�un projet qui pose une rupture d�finitive avec des principes et des valeurs inscrits dans la Constitution et dans les grands textes internationaux. Avec ce projet, il n�y aura plus de loi pour Mohamed, un semblant de loi pour Herv� et des droits pour Marie-Caroline. De toute fa�on, sur le plan du fait, il en a toujours �t� ainsi. La loi ne fera que r�gulariser une situation irr�guli�re. Il n�est pas �tonnant qu�une supra-l�gislative comme celle de �la directive retour� ou le projet de loi comme celui que j�ai pr�alablement cit�, courent les rues des soci�t�s europ�ennes. La sauvagerie d�un syst�me judiciaire, sa violence et ses haines � l��gard des �trangers se trouveront ainsi l�gitim�es. C�est aussi une mani�re de se d�douaner de tous ses crimes pass�s contre le genre humain. Car il y a crime contre l�humanit� lorsqu�une justice ne punit pas les assassins et qu�elle abandonne les victimes � leurs larmes.
Vous d�noncez le sort fait aux Alg�riens de la g�n�ration de vos parents � m�pris, n�gation de l'autre �, et de fa�on g�n�rale, le sort fait aux �trangers. Le r�le de l'�crivain est-il de l'ordre de la d�nonciation ?
Un �crivain doit absolument d�noncer les horreurs. C�est son devoir. Je l�ai toujours pens�. J�ai mis en exergue la supercherie, les mensonges, les petits complots racistes d�un juge, d�un avocat et d�un assassin et je les condamne int�gralement. Les �trangers restent des arri�r�s comme le souligne tr�s clairement l�expert-psychiatre de l�assassin de ma m�re et de ma s�ur. Ma position est claire et engag�e. Je d�nonce l�injustice et le racisme. Et par del� une simple d�nonciation, je suis Antigone qui raconte son r�cit. La figure de ce mythe est int�ressante. C�est le mythe fondateur de la civilisation. Vous savez que c�est Sophocle qui construit ce personnage. Ce n�est pas une repr�sentation de la mythologie grecque mais une cr�ation particuli�re qui symbolise l�un des piliers de la civilisation moderne. Je m�approprie cette repr�sentation et au nom de la justice humaine, je la retire d�un monde o� elle n�a plus sa place. Si la civilisation actuelle bo�te, bascule, c�est sans doute parce que les mythes, ceux qui soutiennent les pays civilis�s, se m�ritent. Ce monde s�engouffre en expectorant ses mythes fondateurs, en les vomissant � la surface de sa propre terre. Lorsqu�un pays n�est plus capable de les contenir, ses mythes, il court au chaos. S�arrachant lui-m�me � ses propres contenus, ses propres fondations, il se d�tache de la civilisation. En faisant �clater une v�rit� qui importe au genre humain, je cherche � briser la conspiration du silence. Mon cri est un �veil que je veux faire devenir public. En restituant un climat, celui de la France des ann�es 1970, o� les Alg�riens �taient merdifi�s, exploit�s, reste une dette impayable, qu�aucun Etat ne pourra rembourser. Tout ce que je peux faire, c�est de rendre hommage � mon p�re, ma m�re et ma s�ur. Seuls les mythes leur assurent la survie de s�pultures d�centes. Cette figure d�Antigone et celle du Laocoon que je reprends pour repr�senter mon p�re sont n�cessaires pour transcender la barbarie.
Il y a dans votre ouvrage cette qu�te des origines. Vous d�couvrez la Kabylie � la mort de votre p�re. Quelle place l'amazighit� a-t-elle aujourd'hui dans votre vie ?
Je suis la terre de mes anc�tres, aucun �loignement ne peut m�en d�poss�der.
Propos recueillis par Meriem Nour
Meurtres impunis
�Au commencement fut l'assassinat de ma m�re et de ma s�ur.� Projet� d'embl�e au c�ur de la trag�die, le r�cit de Fad�la Hebbadj s'enracine dans la r�alit� de l'immigration des ann�es 1960. Une famille alg�rienne de neuf enfants, install�e dans la r�gion parisienne � �navire en transit [...] �lot des exclus� �, vit, en d�pit de la stigmatisation subie par des g�n�rations d'�trangers, le quotidien d'une famille heureuse. Ecole en semaine, promenades le dimanche au Champ de Mars, au Jardin des Plantes, en f�ret de Fontainebleau. La narratrice grandit dans l'amour et la dignit�. Univers onirique d'une enfance gourmande de d�sirs combl�s par la tendresse des proches. Bonheur jusqu'� ce matin d'automne o� tout bascule. L'enfant n'a pas sept ans. On vient la chercher � l'�cole : �Quelqu'un a tu� ta famille.� Ce crime devient l'acte fondateur d'une nouvelle naissance � un monde de haine et d'injustice. Injuste la perte des �tres aim�s. Injustes les meurtres pr�m�dit�s de la m�re, de la s�ur, les blessures corporelles inflig�es au p�re et au fr�re. Injuste le meurtre juridique qui s'ensuivit, l'assassinat ayant �t� consid�r� par le syst�me judiciaire fran�ais comme une �affaire de tribus�, �une guerre entre fratries�. Pas d'enqu�te, pas de proc�s. Non-lieu ! Injuste, enfin, l'obligation faite au p�re par une assistante sociale pugnace, �Sainte m�re de la DASS�, de reprendre femme sit�t apr�s le drame. Bien que qualifi� de roman, l'ouvrage n'est pas une fiction, tout juste une autofiction caract�ris�e par une mise en mots po�tiques du r�el. L'histoire est celle de l'auteur qui, apr�s L'arbre d'�b�ne(Buchet Chastel, 2008 ), poursuit la traque des maux qui rongent notre humanit�. Dans ce monde, l'enfant est la victime sacrificielle de la cruaut� des hommes, condamn� � �touffer ce cri inaudible, �niell� au fond des os� qui va nourrir sa rage et sa d�tresse. Dans ce monde, l'�tranger est l'ennemi et sa mort ne vaut �m�me pas le vol d'une pomme�. Trente-cinq ans apr�s le massacre, l'auteure-narratrice obtient enfin l'acc�s au dossier judiciaire et au rapport de police. Que s'est-il pass� ? S'agit-il d'un assassin jaloux de ses voisins comme le titrent les journaux ? D'une histoire d'envo�tement par un sorcier juif sur fond de guerre isra�lo-arabe comme le proclame l'assassin ? Ou celle d'une femme battue et d'un inceste camoufl� ? Rapport d'expert joint au dossier : �Les Nord-Africains n'ont en g�n�ral pas une grande intelligence.� L'enqu�te est b�cl�e, et l'assassin, d�clar� en �tat de d�mence au moment des faits sans que la preuve en soit apport�e, est lib�r�. �Le juge n'alla pas plus loin, refusant de se casser la t�te sur ces meurtres entre �ratons�.� Le tourment commence pour les victimes. L'enfant glisse dans les t�n�bres, fr�le l'autisme et son cri se heurte au silence des morts. Le miroir du salon lui renvoie le visage magnifi� de sa m�re : �Qui vais-je aimer maintenant?� La m�re de substitution ? Trop jeune, trop inexp�riment�e. L'enfant se r�volte : �J'enrage. J'accuse. Je juge. Je maudis. J'insulte.� A cela, le p�re, Don Quichotte perclus d'id�aux, �un vieil aigle abattu et fort � la fois�, oppose son regard fier et sa dignit�. Bris�, il se battra n�anmoins, �crivant m�me au ministre. De tant d'injustices na�t la m�sentente entre le p�re et la fille qui glisse �progressivement vers une errance perp�tuelle�, jusqu'� rompre avec lui. Les ensorcel�s, c'est aussi ce sublime hommage rendu � la figure du p�re � travers les t�tonnements d'une enfant qui se cherche entre son d�sir de m�tamorphose et la qu�te de sa propre v�rit� dans l'histoire assum�e de sa lign�e. Apr�s la mort du p�re, l'auteure-narratrice commence un lent travail d'appropriation des disparus : �Nous ne sommes pas seuls � gouverner nos vies, les cadavres que nous croyons voir comme des charniers bouff�s par les vers s'en emparent. J'ai �prouv� la sensation d'un cannibalisme de l'humanit�, d'une d�voration naturelle de ceux qui nous ont mis au monde.� Le p�re mort, la narratrice entreprend un premier voyage en Kabylie. Au contact de la terre ancestrale, elle va na�tre Kabyle : �J'eus l'impression de faire partie int�grante de cette terre.� Les histoires transmises par le p�re, o� se m�lent la fable et la r�alit�, prennent corps. Hocine, l'arri�re- grand-p�re, h�ros mythique � la puissance surhumaine, le grand-p�re paternel Tahar, bon et fid�le � une unique femme, la grand-m�re maternelle Fatima dont �la vie a �t� effac�e du royaume de la faim�. La narratrice se r�fugie dans un monde peupl� de mythes, seuls garants de son existence. Ce sont ces mythes et ceux qui structurent l'histoire de notre humanit� qui vont nourrir l'�criture de Fad�la Hebbadj. Comprendre l'incompr�hensible de fa�on m�taphysique en revenant � ses origines propres, en fabriquant une gen�se de sa propre histoire. En �crivant le Livre de sa trag�die intime, elle investit la m�moire de ses m�res, de ses s�urs, de ses p�res, de tous ces damn�s de la terre et justifie leur existence dans la transmission de leur r�volte.
Meriem Nour
Les ensorcel�s, Fad�la Hebbadj, �d. Buchet Chastel, 2010.
Note biographique
Fad�la Hebbadj est professeure de philosophie. Elle a publi� un premier roman chez Buchet Chastel, L'arbre d'�b�ne, en 2008.


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