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Littérature et cinéma en Algérie
Publié dans Le Soir d'Algérie le 17 - 06 - 2013

Dernièrement, dans un débat après la diffusion de mon film sur Jean Sénac, on me posa des questions sur la littérature et le cinéma en Algérie. Je commençai à «philosopher» sur le rapport entre ces deux formes d'art en disant qu'ils ne boxent pas sur le même ring. J'enchaînai en mettant le doigt sur la difficulté d'adapter des oeuvres littéraires, difficultés pas seulement financières... accord de l'auteur, reproduction des décors d'époque et autres contraintes de l'industrie cinématographique.
Et quand j'ai cité l'échec de «l'Etranger» adapté par le grand Visconti, certains spectateurs m'ont fait remarquer qu'ils connaissaient «l'Etranger» de Camus mais qu'il n'avait jamais entendu parler du film de Visconti. Si ce grand réalisateur a raté son coup avec «l'Etranger», cela veut dire qu'il y a des mystères que ne peut percer le cinéma. Mais il y a des oeuvres comme «Autant en emporte le vent» qui ont été magnifiées par le cinéma. Ces deux exemples prouvent qu'il y a toujours des zones «impénétrables» dans l'art que seul le temps ou bien une lecture de l'intérieur de l'oeuvre aident à traduire celle-ci dans une autre catégorie de l'art. Bref, Camus entraîna la discussion sur la littérature et le reste de la soirée fut consacrée à un échange de vues sur les écrivains algériens. Evidemment, les noms qui revenaient sans cesse sont Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri. Normal, ces auteurs sont de bons clients, comme on dit, des recherches universitaires. Et ces géants de notre littérature ont eu des successeurs comme Rachid Boudjedra ou Malek Alloula, Salim Bachi, Anouar Benmalek et d'autres encore. A la fin de la soirée, une sorte de malaise me titilla. Je suis, me dis-je, venu dans cette salle pour parler de cinéma algérien et je me retrouve à débattre de littérature.
Pour confirmer un doute qui traversa mon l'esprit, j'ai posé la question sur les films algériens qu'ils connaissaient. Beaucoup de spectateurs avaient certes vu des films algériens mais ils étaient incapables de citer le nom d'un film sauf, sauf «la Bataille d'Alger». Je me suis fait violence en taisant le nom du réalisateur qui n'est pas à proprement parler de nationalité algérienne. En rentrant chez moi, j'ai essayé de réfléchir sur le statut connu et reconnu de la littérature algérienne et sur le puits dans lequel se sont noyés les films algériens. En un mot comme en cent, il y a une littérature algérienne et pas de cinéma algérien, avais-je conclu. Cette conclusion m'a hélas chagriné. J'ai pensé à quelques films dont les cinéastes algériens n'ont pas à avoir honte. «Les années de braises» et surtout «Le vent des Aurès» de Lakhdar Hamina, «Nahla» de Farouk Beloufa et quelques autres films dont ceux de Merzak Allouache et de Nadir Moknèche par exemple. Mais comme on dit, une hirondelle ne fait pas le printemps. Alors pourquoi cette différence de statut entre la littérature et le cinéma en Algérie ? J'ai dit plus haut que les deux arts ne boxaient pas dans le même ring. La littérature se sert des mots qui ont une histoire.
Ces mots appartiennent à une langue, un territoire où l'on peut entrer sans aucun passeport et sans monnaie sonnante et trébuchante. Une langue est d'emblée la propriété de l'écrivain qu'il peut travailler, exploiter comme il l'entend, il peut même, il doit la violenter pour faire sortir de ses entrailles la plus belle poésie que les culs terreux ont tendance à étouffer. Les écrivains algériens que j'ai cités plus haut ont rempli ce contrat. Mais ils ont fait plus pour qu'on les rangeât dans la catégorie de littérature algérienne. Ils ont su chanter le pays, peindre l'âme algérienne, bref dire et raconter l'Algérie quand bien même la langue utilisée était celle de leur colonisateur.
Tous ces écrivains, par la puissance de leurs langues, ont su aborder sans fioriture les problèmes qui taraudent les Algériens hier comme aujourd'hui. Kateb Yacine était obsédé par l'identité du peuple, par le silence et l'enfermement des femmes, lui qui a été amoureux de la plus belle des femmes portant un nom lumineux. Mohamed Dib et Mouloud Feraoun qui décrivent pendant la colonisation les racines et les brûlures de l'amour pour une terre rougie par la violence et sur laquelle la misère fait sa loi, une terre qui préparait un incendie dans notre grande maison pour effacer la double indignité que lui faisaient subir la domination étrangère et la culture féodale de notre société.
Bref, cette littérature voyageait en planant sur l'univers algérien pour atteindre l'universel comme toutes les grandes littératures du monde. Quant au cinéma, c'est devenu une banalité de le répéter, il est un art et par ailleurs une industrie (Malraux). Une création artistique qui fonctionne avec deux béquilles va forcément avoir quelques difficultés. Son coeur va balancer entre la fidélité à l'essence de l'art (vérité et beauté) et les lois d'airain de l'économie. Le fric, le profit, ces noms sympathiques sont suffisamment connus pour que je ne m'y attarde pas. En revanche, ce sont d'autres chausse-trappes qui vont retenir mon attention, celles qui expliquent l'inexistence d'un cinéma algérien. Hélas pour les cinéastes, ils n'ont pas à leur disposition une langue comme les écrivains. Ils sont obligés de créer un langage qui sera leur langue à eux, reconnaissable parmi la langue des autres cinéastes. La langue de Tarantino ne ressemble pas à celle de Godard.
Tout ça pour dire qu'un langage cinématographique n'est pas si facile à inventer. Il est tributaire de beaucoup de facteurs. De celui de la technologie d'abord et la maîtrise de celle-ci. Avoir la notion de l'espace pour choisir les angles de prises de vues et les mouvements de la caméra. Etre capable de faire la différence entre le temps réel et le temps artistique (vision de l'artiste). Renoir disait qu'une minute dans un film est élastique. Elle peut être un temps réel mais aussi une éternité.
L'élasticité du temps artistique est tributaire de plusieurs facteurs comme les éléments visibles composant l'image et son habillage invisible (silence et musique), la forme du plan et la nature de la séquence sans oublier la place de celle-ci dans le montage. C'est pourquoi le spectateur peut trouver certaines séquences interminables mais se laisse «bercer» par des plans fixes beaucoup plus longs. Enfin, des connaissances dans la peinture et le «don» de conteur participent à la création du fameux langage cinématographique. Et quand on a emmagasiné toutes ces connaissances, il reste à ruser avec la muraille de Chine constituée par la censure politique, l'archaïsme et la pudibonderie qui étouffent la société. Cette muraille rend difficile la traversée d'une frontière pour pénétrer dans un univers et toucher à l'universel comme je l'ai signalé pour la littérature. Comment peut-on faire partager le piment de la langue algérienne quand la censure ou bien un complexe identitaire obligent les personnages dans les films algériens à parler une langue arabe classique des plus châtiée.
C'est comme si on faisait parler Fernandel avec un accent parisien en usant de la langue de Racine. Comme si Rossellini faisait parler les mafieux siciliens et Visconti «Rocco et ses frères» dans la langue de Dante. A ne pas en douter, on aurait perdu et la beauté poétique et la vérité des choses qui ont fait de ces films les meilleurs livres d'histoire des luttes sociales et de la misère de l'Italie d'après-guerre. Mais revenons à notre cinéma. Il faut donc résoudre ces questions soulevées dans cet article et résolues ailleurs pour donner une chance à nos films de constituer les fondations du futur cinéma algérien. Ce ne sont pas des déclarations et autres affirmations de complaisance qui donneront une réalité au cinéma algérien. Ce ne sont pas des infos dans la presse sur les films que l'on va faire ou qui sont en train de se faire qui vont nous faire oublier le marasme qui sévit dans la production des films. On nous a déjà fait le coup des films sur le point de se faire. Pour ma part, j'attends toujours un film sur l'émir Abdelkader ou bien encore sur le séjour de l'auteur du «Capital» à Alger, je veux parler de Karl Marx venu dans notre pays s'oxygéner de l'air marin pour guérir une maladie.
Je cite ces deux exemples car la presse à une certaine époque en a parlé et la source de l'information provient, je suppose, des auteurs de ces projets. L'année dernière et cette année, un stand Algérie a été installé dans le village du cinéma à Cannes. Louable initiative sauf que tous les locataires de ce village viennent avec des stocks de films prêts «à la consommation». Il faut arrêter de faire son cinéma et de se mettre sérieusement à faire du cinéma pour se voir admettre et se faire respecter dans la grande kermesse de Cannes. Pour ouvrir les portes de ce temple du fric et des paillettes, il faut produire des films qui tiennent tête aux autres oeuvres venant du monde entier. Nos écrivains (édités en France) invités dans les salons du livre signent avec bonheur leurs oeuvres pour la joie de leurs lecteurs. Personnellement, j'en tire une certaine fierté en voyant la queue (chaîne) devant leur stand et je rêve d'assister à des scènes pareilles pour les films du pays. Car le nom des cinémas suivi du qualificatif américain, italien, français, japonais, russe, allemand, etc. ont produit des chefs-d'oeuvres qui sont entrés dans le Temple de l'histoire du cinéma. Parce que ces films ont une identité singulière. Parce qu'ils séduisent par leur langage et leur style, parce qu'ils créent une atmosphère, parce qu'ils ont un humour reconnaissable (humour anglais, humour belge), parce qu'ils attirent l'attention du spectateur avec la dégaine des acteurs («t'as de beaux yeux», dit Gabin à Michèle Morgan), etc. Bref, entre un Renoir et un Fellini, il y a la frontière de la langue et de la culture mais ils ont en commun un regard singulier et de grande beauté sur leur culture.
Enfin, les chefs-d'oeuvres de ces réalisateurs nous offrent une vision philosophique et sa traduction culturelle des problèmes qui taraudent l'Homme : le rapport au politique, à la religion, à la mort, à la sexualité, à l'amour, à l'éternité même. Autant de «bombes» que la censure aveugle et une grande partie de notre société n'acceptent pas de voir étaler sur les écrans de cinéma et encore moins à la télé. Voilà pourquoi il n'y a pas de cinéma algérien. Il y a des films réalisés par des Algériens, encore faut-il préciser que depuis des années, ces films sont fabriqués ailleurs, avec des capitaux et des techniciens étrangers. Pour ma part, j'ai vu les films de Rachid Bouchareb, Merzak Allouache, Nadir Moknèche, Mahdi Charef, Lyès Salem, Djamila Sahraoui, Abdelkrim Bahloul, Rachid Djaïdani et Rabah-Ameur Zaïmèche (tous vivant en France) dans des salles à Paris ou dans les festivals.
Le financement de ces films est souvent majoritairement ou totalement d'origine étrangère. Et très souvent aussi, le tournage de ces films se fait à l'étranger à cause de cette spécialité algérienne faite de pièges surgissant dans tous les bâtiments officiels. Ce n'est pas avec ces petites misères d'une bureaucratie envahissante que l'on va rivaliser avec les colosses et les molosses du cinéma mondial.
Voilà résumés les contraintes et les problèmes qui empêchent les cinéastes algériens de créer un cinéma du terroir, un cinéma qui porte un label reconnaissable dans le souk des festivals. Glauber Rocha, cinéaste d'un Brésil soumis à son époque à la misère et à la dictature, a imposé sur la scène mondiale la magie de son pays qu'il a conjuguée avec la lutte contre les injustices sociales et la dictature. Les cinéastes algériens ont à se battre contre l'absence de moyens financiers, la censure, une société déboussolée par des problèmes sociaux et une vie culturelle assez pauvre et épisodique.
Avec tout ce cortège de problèmes, comment construire et faire vivre un cinéma algérien à une époque où la mondialisation a brisé les reins à des pays comme l'Italie, l'étoile du cinéma... ? Mais ceci est une autre histoire. Autant de questions à soulever et ne plus se satisfaire des sempiternels colloques où l'on pose les sempiternels sujets qui sont à mille lieues des problèmes politiques et artistiques que j'ai modestement esquissés dans le cadre de cet article. Pour finir sur une note optimiste, je citerai une phrase de Billy Wilder que m'a soufflée un ami cinéaste resté modeste malgré les millions de spectateurs qui courent voir ses films à leur sortie en salles.
La phrase en question du célèbre cinéaste américain est : «Moi je fais des films, quant à savoir si c'est du cinéma, c'est aux autres de le dire.» Eh bien, Monsieur B. Wilder, on vous le dit, vous avez fait du grand cinéma. Laissons donc les cinéastes algériens réaliser des films et le temps fera le tri entre les films de cinéma et les navets qui envahissent hélas les 3/4 des écrans du monde entier.
A. A., cinéaste
P. S. : j'ai assisté lors du festival du film amazigh de Tizi Ouzou en mars 2013 à une conférence de Louhal Nourredine sur la disparition des salles de cinéma dans le pays. Les salles ne sont pas évidemment à l'origine de la mort du cinéma. Mais une restauration intelligente et une bonne gestion permettraient à ces salles d'être des lieux pour la diffusion de spectacles et de rencontres (films, pièces de théâtre et petits concerts de musique pour «rentabiliser» ces lieux par une maîtrise du rapport temps/espace). Cela rendrait service aux artistes et permettrait la création de liens entre les gens dans un monde qui étouffe de et sous l'individualisme.


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