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L'Algérie en crise, une société entre lame et lamelle
La blessure, la paranoïa et le burnous
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 11 - 2014


Par Ahmed Cheniki
L'Algérie vit une grave crise marquée par une certaine dyslexie langagière et des attitudes schizophréniques. Cette délicate situation pourrait être à l'origine de périls futurs fragilisant dangereusement le tissu social. La modernisation par le haut, la ruralisation rampante et le blocage de la société par la brutale et violente colonisation française ont détruit certains paramètres culturels, instauré des complexes inhibiteurs et favorisé la disparition de ressorts immunitaires.
La rumeur et l'impersonnel (il, ils, eux, on), héritage de l'espace colonial, investissent le discours social et engendrent des situations paranoïaques travaillées par la distance et l'éloignement préfigurant de graves dysfonctionnements et une distance préjudiciable à toute stabilité possible. Ces formes syntaxiques ont été facilement intériorisées par les locuteurs, fonctionnant comme des formes et des structures inconscientes, consolidant le fossé séparant sérieusement la société profonde des élites gouvernantes. Les choix d'adverbes et de pronoms précis n'est nullement neutre, il est l'expression d'une blessure et d'une césure. Même les discours officiels et médiatiques regorgent de ces adverbes et de ces pronoms impersonnels (certains, une certaine presse, on...) qui tireraient leur origine de la nuit coloniale et de la dure répression vécue pendant plus de cent trente-deux années par les Algériens. Nous sommes ainsi plongés dans un monde marqué par la présence de l'étrange et de l'étranger.
Cette imprécision et ce manque de rigueur souvent liés à la parole officielle font que les journaux du gouvernement, sa télévision et ses radios sont boudés au profit des titres privés, des radios et des télévisions étrangères considérés comme plus crédibles. Vite, ceux-ci sont aussi assimilés à des médias du «pouvoir» politique. Un simple regard sur les ventes des quotidiens nous renseignerait sur le manque de crédit dont jouissent les journaux publics qui servent souvent d'espaces de propagande, non d'information. Cette distinction faite par le(s) public(s) entre ces deux types de presse est très importante car elle nous renseigne sur son évolution et sur ses aptitudes à choisir et à décider. Il est regrettable que la sociologie du public ne soit pas très développée dans les pays du Maghreb, elle nous permettrait de comprendre et de cerner maints phénomènes. La télévision qui semble vivre dans un univers à part, usant de la langue littéraire et produisant clichés et stéréotypes, est boudée par les publics algériens au bénéfice de chaînes étrangères permettant une certaine ouverture sur le monde.
La télévision est ainsi jugée éloignée des préoccupations du grand nombre la considérant comme la lucarne du bloc gouvernant. D'ailleurs, même le langage soutenu et les costumes arborés par les animateurs participent de cette distance plaçant face à face deux discours, deux postures.
La ruralisation forcenée de la société et la question de l'altérité marquent toutes les interrogations sociologiques et altèrent toute sérieuse communication. Ainsi, les signes extérieurs ne trompent pas. Les ordures un peu partout dans la rue, le discours autoritariste, l'absence de savoir-vivre, le manque d'hygiène, la carence en matière artistique caractérisent les gros villages que sont devenues les villes investies par la guerre des clans juste après l'indépendance. Cette ruralisation intensive rend plus ou moins impossible, à court terme, tout changement positif et ruine peut-être à moyen terme l'avenir du pays, otage d'un mode de gestion autocratique excluant toute possibilité de compétition démocratique.
Juste après l'indépendance, la ville constituant le centre et le lieu primordial de tous les pouvoirs allait être le théâtre d'une incroyable violence à tel point que les habitants sortirent dans la rue de la capitale en scandant un slogan aujourd'hui légendaire «Sept ans barakat !». Les dégâts provoqués sont incommensurables. Déjà, Ibn Khaldoun avait insisté sur ce problème dans sa Muqaddima. L'exode rural avait donné lieu à des situations cocasses et incroyables qui faisaient penser que la ville s'était transformée en un assemblage de villages. Il serait utile de lire les conclusions de travaux sur le complexe sidérurgique (ex-SNS) d'El Hadjar effectués par les sociologues Ali El Kenz et Djilali Liabès, ainsi que l'ouvrage consacré à l'exode rural de Abdelatif Benachenhou ou les travaux de Hocine Benissad et de Lakhdar Benhassine. A Annaba, lors d'un de mes reportages en 1982, j'ai été frappé dans les bidonvilles qui ceinturaient El Hadjar par l'association quelque peu paradoxale du téléviseur et de la chekoua.
Deux mondes se rencontrent, s'interpellent et s'entrecroisent sans pouvoir se mélanger. Dualité des attitudes. Ambivalence névrotique. Toutes ces choses sont considérées et vécues comme tout à fait normales et naturelles alors qu'elles charrient de multiples contradictions et de profondes oppositions. L'esprit rural est tributaire d'un fatalisme outrancier et de comportements parfois peu compatibles avec l'espace urbain.
Une lecture attentive du discours politique depuis le mouvement national jusqu'à ce jour nous permet de constater ces multiples allers-retours entre une «modernité» tactique et un conservatisme rural marqué par l'absence de perspectives claires et d'un projet globalisant fondé sur des analyses sociologiques et des études prospectives. Parfois, on passe de l'un à l'autre pour des raisons tactiques en fonction de «priorités» illusoires. Ce qui dénote ce côté rural des décideurs qui n'arrivent pas à voir loin. Tout se fait comme si le pays était en voie de disparition.
Dans cet espace schizophrénique, le discours intellectuel ou culturel est assimilé à une sorte d'hérésie et à une intervention absurde dans une société anomique.
La résistance au savoir et à la connaissance n'est pas uniquement due à l'intolérance des pouvoirs publics mais investit également les différents espaces sociaux. C'est ce que nous disait, il y a une quinzaine d'années, l'écrivain marocain Abdellatif Laabi qui estimait que chaque Arabe était un tyran en puissance. Il faut pour s'en convaincre faire le tour de certains lieux culturels par excellence que constituent les cafés ou les polémiques des «politiques», sportifs ou hommes de culture qui considèrent qu'ils sont les seuls détenteurs de la vérité, de l'unique vérité. Le texte, espace fondamental de tout débat et de toute communication intellectuelle, cède le pas à la parole. La ruralité traverse toute la représentation culturelle. La littérature, le théâtre et le cinéma, par exemple, transportent souvent le lecteur dans une opposition factice ville-campagne où la ville est décrite comme l'espace de la débauche et de l'hypocrisie et la campagne présentée vêtue des oripeaux de la pureté et de l'innocence. Cette négativité de l'espace urbain dissimule mal les craintes de la «modernité» et inaugure le protocole d'une lecture idéologique qui fournit une charge positive au discours féodal.
Une lecture attentive de romans d'avant et d'après l'indépendance (génération dite de 1952 par exemple) et certains films réalisés après 1962 donnent à voir cette propension vers une célébration exagérée d'un monde rural idéalisé à l'extrême. Ce discours conservateur et peu novateur parcourt également les films réalisés ces derniers temps en kabyle (La montagne de Baya (1997) de Azzedine Meddour, Machaho (1994) de Belkacem Hadjadj et La colline oubliée (1994) de Abderrahmane Bouguermouh) et qui, dans un élan d'enthousiasme peut-être sincère, font apparaître la culture populaire comme un espace d'ouverture alors qu'elle porte souvent en elle les prémices d'une société «bloquée» et de mentalités parfois arriérées. La culture «populaire» n'est pas forcément révolutionnaire ; elle est, dans de nombreux cas, réfractaire au progrès.
Les termes «populaire», «peuple» sont souvent non définis, investis d'une charge favorable. Ce qui n'est pas le cas du terme «populisme» drapé du sceau de la négativité. Le mot populisme dont la définition est quelque peu flou est souvent malmené, sans aucune interrogations de ses sources et de son évolution. Tout simplement, le populisme, né à partir des années 1870 en Russie, grâce à un mouvement politique anti-tsariste, cherchait à instituer un socialisme agraire soutenu par les communautés agraires.
Cette doctrine philosophique et politique s'appuyant sur le rejet des élites dirigeantes représentées par le grand capital et la convocation du «peuple» considéré comme l'instance naturelle du pouvoir rejette la démocratie «représentative» pour tenter de lui substituer une démocratie «participative» et directe. Ce courant qui s'est surtout développé à partir des années 1930 en Amérique latine est actuellement péjoré dans le discours dominant pour des raisons strictement idéologiques et politiques. Le péronisme est souvent cité comme l'incarnation-type de ce courant. Le «peuple», notion abstraite, est continuellement galvaudée par les dirigeants politiques et les journalistes. Le flou définitoire caractérisant certains territoires lexicaux, trop employés dans les échanges linguistiques, renforce encore davantage l'ambiguïté du discours social et politique.
Ce retour au monde rural n'est pas gratuit, il reflète l'échec d'une expérience sociale et économique. Ce thème se retrouve indistinctement dans les textes d'expression arabe ou française. La ville est souvent très peu décrite comme un espace libre, positif. Mohammed Dib s'inscrit dans cette optique d'une cité urbaine, certes, tentaculaire, mais néanmoins ouverte et généreuse ; il se démarque ainsi de ce regard suicidaire porté sur une ville comme Constantine dans Ezilzel de Tahar Ouettar ou du Fils du pauvre de Feraoun qui reproduit les clichés et les stéréotypes d'une campagne généreuse et pure opposée à une ville sauvage et inhumaine. Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Aboulaid Doudou, Tahar Ouettar, Abdelhamid Benhaddouga et bien d'autres écrivains, dramaturges et cinéastes mettent ainsi en situation cette illusoire opposition entre la ville et la campagne. Certains hommes de théâtre comme Mahieddine Bachetarzi et Mohamed Touri présentaient, eux, des campagnards naïfs plongés dans une ville intolérante peuplée de gens qui veulent profiter de la crédulité de ces paysans.
L'expression artistique est, elle-même, conditionnée par le discours social et politique. C'est dans ce contexte qu'évolue la représentation culturelle algérienne trop marquée par les multiples carences caractérisant la société algérienne et l'absence d'un sérieux travail d'exploration épistémologique et ontologique.
L'algérianisation, appliquée après les années 1970, fut à l'origine de nombreux malentendus au niveau de l'université qui, après le départ des professeurs étrangers, fut dirigée par des assistants titulaires d'une licence, assurant parfois des modules qu'ils eurent parfois du mal à acquérir durant leur cursus universitaire. Un regard sur la situation des différentes disciplines artistiques nous donne une certaine idée du marasme ambiant ; la représentation culturelle prend en quelque sorte le chemin de la clandestinité. En parler, c'est parfois s'exposer aux sarcasmes des uns et des autres comme si le multipartisme signifiait tout simplement absence de débats d'idées et exclusion de toute manifestation artistique ou intellectuelle plurielle. Le multipartisme n'est nullement l'expression de la présence d'une parole plurielle, mais un simulacre et un masque dont la fonction est de voiler la réalité d'un système autocratique en exercice dans le pays.
Les structures partisanes n'ont aucun réel pouvoir, fonctionnant comme de simples appareils où sont absents les débats de fond. Toute la réalité du pouvoir est prise en charge par deux cercles : la présidence de la République et l'armée qui font et défont les différents acteurs politiques tout en évitant une rupture du consensus liant ces deux espaces qui vivent en dehors de la société profonde condamnée à subir différentes pratiques et d'incessants discours sur la mise en œuvre de réformes virtuelles.
Les intellectuels, tout en les marginalisant, on veut faire d'eux des soldats de quelque cause perdue d'avance. Héritage absurde d'une culture rurale qui confond Etat et individu comme si le Président ou quelque ministre était l'Etat ou la nation ou les deux à la fois. Cet amalgame sciemment entretenu entre le Président et l'Etat est au cœur de la culture politique algérienne. On décèle des complots partout comme si des effluves paranoïaques enveloppaient journalistes et politiques. Cette propension au «complot» et au goût du secret est peut-être issue des pratiques du mouvement national. Elle s'expliquerait peut-être par le déficit d'autonomie sur le plan de l'Histoire.
La parole historique est prisonnière des différents règlements de compte et des nombreuses distorsions qui ont jalonné l'évolution du mouvement national trop prisonnier des pièges de la clandestinité. Longtemps lieu de conquêtes et d'invasions, l'Algérie devint une terre où la méfiance allait constituer un élément nodal de sa formation.
La suspicion investit les pratiques sociales et le discours politique. Si les médias et les hommes politiques cultivent une sorte d'étrangeté par rapport au phénomène culturel, les universitaires, eux aussi, n'ont pas sérieusement analysé cette réalité, à l'exception d'une poignée d'enseignants-chercheurs. Les séminaires et les colloques, organisés, manquent le plus souvent de sérieux. Comme d'ailleurs les rares revues éditées dans les différents espaces de l'enseignement supérieur. Comment peut-on parler d'université, alors que le nombre de chercheurs effectifs ne dépasserait pas la centaine. L'Algérie est à la traîne des universités arabes et africaines.
L'universitaire et l'«intellectuel» (notion dont il reste à définir les contours) sont restés prisonniers d'un rapport maladif au pouvoir politique qui se conjugue tantôt à la répulsion, tantôt à l'attraction. Ce qui réduit sa marge de manœuvre, posant également la question, toujours d'actualité, de l'autonomie de l'intellectuel qui vit l'assujettissement ou la contestation comme illustration ou opposition au discours officiel et jouant en fin de compte sur le terrain du pouvoir politique qui fournit ainsi les éléments de la discussion et piège les différents locuteurs, en orientant leurs discours.
Les chercheurs en sciences sociales focalisent le plus souvent leurs analyses autour du fonctionnement des appareils et des espaces politiques et occultent les mouvements sociaux et culturels et les enjeux idéologiques. Ce n'est pas un hasard si les rares universitaires-chercheurs ne réussissent pas à cerner les différentes secousses qui agitent la société. Il y a également la question des références qui font du locuteur le producteur privilégié de la parole citée. On «plaque» souvent des grilles sans tenter de les interpréter et de les interroger alors que les sociétés fonctionnent de manière autonome et complexe, comportant un certain nombre de particularités. Les questions épistémologiques sont d'une brûlante actualité. N'est-il pas temps de définir les termes utilisés et de ne pas reproduire mécaniquement des réalités et des notions considérées comme évidentes mais qui ne peuvent l'être sans une sérieuse interrogation ? L'évidence n'est pas si évidente que ça Souvent, journalistes, universitaires et politiques usent et abusent de mots et de syntagmes qu'ils ne maîtrisent nullement tel ce petit cafouillage autour de «société civile», chacun se revendiquant de cette société civile sans qu'on ait interrogé ce groupe de mots ou tenté de cerner ses contours. Quelle est la frontière séparant, par exemple, société civile et société politique ? Les questions d'ordre épistémologique, primordiales dans la mise en œuvre des discours scientifiques, sont rarement évoquées par les universitaires algériens qui, souvent, se limitent à une reproduction d'«évidences», ce qui est contre-productif sur le plan scientifique. Cette pauvreté est l'expression de la triste réalité de l'université en Algérie. La question de la frontière théorique et des territoires épistémologiques est très importante.
On ne peut comprendre la situation de la production culturelle de ces dernières années sans une connaissance des secousses qui ont caractérisé le champ social et les nouvelles réalités économiques qui ont marqué le pays.
Le champ culturel rétrécit dangereusement et se conjugue désormais au futur antérieur, aux dissolutions et aux manifestations ponctuelles («Le millénaire d'Alger», «Année de l'Algérie en France», «Alger, capitale de la culture arabe», festivals à répétition, sans objectifs clairs) mobilisant une rente à distribuer. Les entreprises du livre (Entreprise nationale du livre) et du cinéma (Caaic, Anaf et Enpa) sont dissoutes sans aucun espace de substitution. Les librairies et les bibliothèques disparaissent de l'espace social. Les éditeurs privés ne semblent pas bien outillés pour se lancer dans une véritable aventure intellectuelle qui favoriserait l'intelligence et le professionnalisme ; c'est plus sérieux de se faire éditer chez un bon éditeur étranger.
Certes, quelques petits éditeurs arrivent à émerger. Le paysage éditorial est très maigre ; la littérature est le parent pauvre de l'édition. L'Histoire et la politique sont les genres les plus prisés. La Bibliothèque nationale et les bibliothèques universitaires ne semblent pas prêtes à engranger un travail de mémoire, de conservation et de mise en boîte des livres. Le cinéma ne tourne plus, des cinéastes algériens réalisent des films qui portent, et c'est tout à fait normal, la nationalité du producteur étranger. Les galeries d'art ne répondent plus.
Le théâtre connaît la crise la plus dure depuis l'indépendance. Perversion de l'Histoire, la représentation culturelle s'efface devant le discours politique paradoxalement négateur du savoir et de la pratique culturelle. Les simulacres démocratiques restreignent mortellement le champ culturel. L'aphasie est le chemin emprunté par le politique. Déjà, les premières années de l'indépendance ont connu une période de troubles marqués par le triomphe d'un clan qui va imposer un discours ambigu, ambivalent, évitant d'affronter directement les problèmes.


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