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L'Algérie en crise, une société entre lame et lamelle
La faute originelle et les legs iniques du colonialisme
Publié dans Le Soir d'Algérie le 27 - 09 - 2014

La représentation artistique, politique et littéraire dans le monde arabe et en Afrique est venue de l'extérieur. Ce sont des formes importées. Nous parlons ici des structures politiques, artistiques et littéraires de type européen. Leur tardive apparition s'expliquerait par plusieurs raisons que nous essaierons de mettre en lumière. C'est vers le début du XXe siècle que les premiers embryons des manifestations culturelles européennes commencèrent à être adoptés par les autochtones. Par contre, au Machrek, ces formes séduisirent les élites politiques et intellectuelles au XIXe siècle (ce qu'on a appelé la «Nahda» ou la «Renaissance arabe» qui est une forme de francisation ou d'«occidentalisation» assumée). En Afrique noire, l'école William Ponty forma les premiers instituteurs et les médecins auxiliaires qui allaient écrire les premiers romans et les premières pièces dans les années trente et animer différentes structures politiques.
Les tentatives d'«acculturation» (1) ont permis à tous les pays colonisés d'épouser les formes culturelles et politiques européennes non sans méfiance. Le sociologue tunisien Mohamed Aziza parle à ce propos d'«hypothèque originelle». La colonisation, évacuant toute possibilité d'expression nationale, fut à l'origine de la découverte de ces structures par les colonisés qui les adoptèrent par nécessité historique et qui les utilisèrent contre l'occupant. Si, au début, les autochtones rejetèrent la culture de l'Autre, quelques décennies plus tard, ils furent obligés de l'admettre. C'est un regard ambigu qu'ils portent sur le monde culturel occidental. Fascination et répulsion s'y côtoient.
Faire du théâtre, écrire un roman ou créer un parti politique étaient de véritables «aventures ambiguës». La société algérienne, marquée par le discours religieux et les pratiques tribales, acceptait mal l'idée de se servir d'instruments provenant du monde colonial traversé par les jeux répressifs et les tentatives de mettre à mal la société algérienne. Déjà, l'art figuratif était uniquement toléré. Le nombre très restreint de lettrés de langue française n'était pas fait pour faciliter l'introduction d'arts, de pratiques politiques et sociales et d'habitudes considérés comme suspects et nuisibles par la grande majorité de la population algérienne.
La fermeture de plusieurs médersas, le très faible taux de personnes fréquentant l'école interdisaient l'apprentissage de disciplines artistiques et littéraires. En 1839 par exemple, 95 indigènes seulement fréquentaient l'école française. Jusqu'en 1914, le nombre d'élèves algériens était infime. Malgré la loi Jules Ferry (2) qui rendait l'enseignement gratuit et obligatoire, la proportion des enfants scolarisés restait faible. Jules Ferry, lui-même, n'était nullement chaud à l'instruction des «indigènes».
La loi était exclusivement mise en œuvre au profit des populations françaises, même si, parfois, certaines familles de notables algériens profitaient d'une certaine ouverture. Ce n'est qu'en 1914 que les écoles françaises allaient être plus réceptives : «Entre rien (l'école musulmane asphyxiée) et l'école française, les Algériens préféraient malgré tout cette dernière».
L'empire colonial ne s'intéressait nullement aux indigènes considérés comme potentiellement sauvages et barbares. Même les Romains qui ignoraient les indigènes algériens les regardaient avec mépris, n'hésitant pas à les classer dans l'univers des Barbares. D'où d'ailleurs le terme de Berbères marqués par une extrême péjoration. Sa raison d'être résidait dans l'exploitation des richesses des territoires occupés et des populations colonisées.
C'est vrai que de nombreuses familles algériennes n'acceptaient pas que leurs enfants aillent à l'école française. Plusieurs témoignages sur la résistance des autochtones à la culture occidentale existent. Mais il ne faut nullement oublier que le nombre d'écoles était très réduit. Seuls les enfants de notables pouvaient se permettre de fréquenter une école qui ne tenait nullement compte de l'Histoire de ces populations. Si l'école n'était pas ouverte à tous les Algériens, parfois boycottée par eux, une élite intellectuelle s'était, par contre, constituée et avait commencé par assimiler la culture de l'Autre. Ainsi se creusait le fossé entre ces nouvelles «élites» et la société profonde. «Chaque mot français que j'apprenais m'éloignait davantage de ma mère», aimait dire Kateb Yacine. Les nouvelles élites, en rupture avec les anciennes pratiques, mais jamais coupées de leur culture originelle, malgré les apparences, contribuèrent à la mise en œuvre d'un nouveau discours qui les installait dans une sorte de zone-tampon, à la frontière du discours européen et des pratiques autochtones. Nous sommes en présence de nouveaux types d'altérité, de nouveaux discours et d'attitudes paradoxales. L'adoption de la culture dominante, celle du colonisateur, imposait forcément l'abandon de certaines valeurs culturelles autochtones et la marginalisation des formes locales qui, certes, malgré leur exclusion, restent marquées par une certaine latence, en éveil. Les années dix-vingt avaient été pour l'intelligentsia de l'époque une période faste. Le colonisé voulait ressembler à l'Autre, au colon, penser comme lui. Quelques intellectuels de formation européenne optaient pour l'intégration et l'assimilation des valeurs occidentales, reproduisant, malgré eux, le discours impérial. Certains d'entre eux affirmaient ceci :
«Notre génération est intellectuellement française, bien qu'elle ait conservé sa religion, sa langue, ses mœurs et surtout, elle ne conçoit d'autre cadre à la vie politique que celui de la France
Ce discours est toujours présent, même après l'indépendance, chez certaines couches de la population. Sur le plan politique, idéologique et culturel, de profonds bouleversements avaient eu lieu. La contestation allait devenir plus organisée. Des grèves, de violents mouvements politiques et des manifestations de réprobation avaient affecté l'Algérie. Des romans, des livres d'histoire et des essais étaient publiés. L'Etoile nord-africaine avait vu le jour. Sa revendication essentielle était l'indépendance nationale. Nous essaierons de situer le contexte politique, social et culturel qui a permis l'adoption de ces nouvelles formes.
La question qui reste ouverte, au-delà des déterminations contextuelles, est celle relative à l'acquisition du savoir de l'Autre, du colonisateur, risquant de marginaliser les savoirs «indigènes». Est-il possible d'admettre le discours de l'Autre, même si, historiquement, il est marqué par des luttes sociales et politiques, sans reproduire dans notre propre imaginaire l'image du colonisateur sur le colonisé ? La lecture d'un certain nombre de textes romanesques et politiques permet d'arriver à la conclusion que les valeurs françaises prennent le dessus sur les pratiques et les formations discursives autochtones. Ainsi, de nombreux romanciers et intellectuels français et européens ne pouvaient pas ne pas accompagner l'entreprise impériale, se faisant les porte-parole de la colonisation. Jusqu'à présent, chez de nombreux lettrés, certains symboles de la culture française se muent en une sorte de porte-drapeau, faisant abstraction des violences et du déni de la citoyenneté algérienne marquant ces éléments historiques.
L'Européen devient une sorte de modèle, alors que chacun sait que les espaces de liberté et de démocratie sont tragiquement absents dans un territoire où 1789, par exemple, a enfanté d'horribles massacres. La Déclaration des droits de l'homme ne fut en fin de compte qu'un simple propos d'intention, une sorte de simulacre couvrant les différents coups d'Etat, des scènes de «purification» ethnique et politique, les massacres de la Commune de Paris, la colonisation et ses différents espaces génocidaires. Une relecture de nos acquis scolaires est nécessaire, nous permettant de mieux saisir les véritables réalités et les différentes injonctions discursives des philosophes dits du siècle des Lumières. Avions-nous bénéficié de ces «lumières»? La question reste ouverte. D'ailleurs, le discours de certains philosophes (3) sur l'islam et le monde arabe et nord-africain prête sérieusement à équivoque. N'a-t-il pas conforté le discours ultérieur sur la colonisation, contribuant à mettre en œuvre les éléments justifiant la «civilisation» des «sauvages», réfractaires, selon les spéculations de certains anthropologues, à toute idée d'ordre. L'espace du futur colonisé est péjoré, marqué du sceau de l'intégrale négativité. Il est perçu comme le lieu d'une faute originelle, peuplé de silhouettes et d'ombres chinoises. L'Autre est considéré comme incapable d'entrer dans l'Histoire, vivant dans un univers se caractérisant par une profonde inhumanité et une extrême atemporalité. L'image intériorisée, assimilée, à gauche et à droite, fait de l'Autre un alter ego inférieur, peu digne de l'humain. Même Léon Blum (1872-1950), ancien président socialiste du Conseil des ministres, considérait les colonisés comme des «sauvages», une «race inférieure» :
«Nous avons trop l'amour de notre pays pour désavouer l'expansion de la pensée, de la civilisation françaises... Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie.»
Ce discours mettant en opposition une culture européenne supérieure et une culture africaine inférieure est néanmoins attaqué par un certain nombre d'intellectuels qui ne se reconnaissent pas dans les propos tenus par des écrivains et des artistes ayant accompagné l'entreprise impériale. Georges Clemenceau (1841-1929), radical socialiste, président du conseil à deux reprises (1906-1909 puis 1917-1920), répond ainsi à Jules Ferry (1832-1893), ancien ministre de l'Instruction publique, un ardent défenseur de la colonisation :
«Regardez l'histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l'oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! Voilà l'histoire de votre civilisation ! [...] Et c'est un pareil système que vous essayez de justifier en France, dans la patrie des droits de l'homme ! [...] Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. [...] N'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation.
Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires, pour s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur.
Ce n'est pas le droit, c'en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c'est joindre à la violence l'hypocrisie.»
De très nombreux universitaires algériens prennent souvent comme des vérités absolues des espaces symboliques français et coloniaux sans les interroger, n'hésitant pas à reproduire le discours de l'Autre et ses valeurs comme les fameuses «Lumières», la Révolution de 1789, évacuant le plus souvent ses dérives. Cette absence de redéfinition de la terminologie et de l'appareillage conceptuel français et européen pose sérieusement problème. Notre objectif n'est pas de rejeter toute proposition culturelle européenne, mais de la questionner sans la prendre pour argent comptant. Ne serait-il pas temps, à l'instar d'Edward Said et de Mohamed Arkoun, de questionner le fonctionnement de toute la machinerie conceptuelle et de retrouver des éléments de notre culture considérés comme peu crédibles par des intellectuels trop prisonniers du schéma colonial, encore trop présent dans les textes littéraires et les attitudes politiques.
Le colonisateur a façonné sa propre image du colonisé décrit comme un sauvage, un fainéant et un incapable, juste bon à être sévèrement réprimé. Même après les indépendances, de nombreux hommes politiques et intellectuels européens continuent encore à célébrer les «bienfaits» d'une colonisation qui a tout détruit sur son chemin. De nombreux intellectuels colonisés singent, sans les interroger, les savoirs du colonisateur, certes régulièrement dénoncé tout en reprenant ses propres catégories conceptuelles. Une lecture des thèses universitaires de lettres arabes, des sciences humaines et sociales fournissent une idée significative de cette pratique dominante dans des pays, encore trop marqués par de prégnantes traces du discours colonial. L'Antillais Aimé Césaire n'y va pas de main morte dans son texte-phare, Le discours sur le colonialisme :
Entre colonisateur et colonisé, il n'y a de place que pour la corvée, l'intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. J'entends la tempête. On me parle de progrès, de «réalisations», de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d'eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer.
Moi, je parle de milliers d'hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l'heure où j'écris, sont en train de creuser à la main le port d'Abidjan. Je parle de millions d'hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme. On m'en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d'hectares d'oliviers ou de vignes plantés. Moi, je parle d'économies naturelles, d'économies harmonieuses et viables, d'économies à la mesure de l'homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières. La question du rapport colonisateur-colonisé reste encore déterminante dans les relations avec les formes autochtones et les anciennes puissances coloniales. Le colonisé emprunte le discours européen qu'il réemploie dans le sens d'une contestation du colonisateur, mais sans aucune interrogation des outils utilisés. Cette manière de faire engendre chez le colonisé une attitude qui le rend prisonnier du discours colonial. Le sociologue Jacques Pouchepadass a raison de souligner ce fait :
«La lutte nationaliste a abouti à la libération du pays, mais elle a été conduite par des hommes qui avaient intégré les valeurs du colonisateur et qui, en quelque sorte, n'ont cessé de l'imiter dans leur façon même de le combattre.» L'interrogation d'un certain nombre de travaux (textes des différents mouvements nationalistes) et de pratiques de résistance est nécessaire pour saisir justement l'équivoque et les risques d'un côté, de la mise en accusation radicale du monde occidental, pouvant déboucher sur la mise en œuvre d'un contre-discours tout en restant prisonniers des «valeurs» du colonisateur considérées comme «bonnes».
La colonisation serait ainsi perçue comme une excroissance, une simple déviation d'attitude et de valeurs porteuses de progrès, alors qu'elle est marquée par l'évolution historique de la société française et le discours philosophique de l'époque. Mais il se trouve que dans les sociétés anciennement occupées, les élites sont souvent prisonnières du regard de l'Autre qui semble les fasciner à tel point qu'elles reproduisent les mêmes catégories conceptuelles. Ainsi, le colonisé se retrouve drapé des oripeaux du colonisateur. Ce type de comportements reproduisant les pratiques de l'ancien colonisateur caractérisent le vécu et la réalité des nouveaux dirigeants d'après l'indépendance, trop marqués par une extraordinaire fascination de l'Autre, reprenant dans leurs discours ses propres catégories conceptuelles et vivant dans une sorte de prison mentale les condamnant à singer le colonisateur tout en l'attaquant formellement.
L'élite colonisée s'accommode ainsi fort bien du discours colonial. Le colon regarde le colonisé comme une masse informe, dépouillée de temporalité, éternellement endetté, marqué du sceau de l'essentialité. De nombreux lettrés autochtones reproduisent systématiquement un discours fixe, empreint de clichés et de stéréotypes, figeant le colonisé et l'enveloppant d'une chape de plomb anhistorique et atemporelle.
A. C.
(1) Nous évitons d'utiliser ce terme que nous trouvons quelque peu impropre. Nous privilégions la notion de transculturalité proposée par le Cubain Fernando Ortiz (1881-1969) associée aux propositions de Gilles Deleuze de rhizome, retravaillées par Edouard Glissant. La transculturalité serait un ensemble de transformations et de transmutations permanentes, jamais achevées, engendrant l'apparition d'un phénomène identitaire nouveau, singulier. Nous rejetons l'idée d'acculturation suggérant l'absorption de la culture dominée par la culture dominante engendrant des tendances anthropophagiques et nous prenons nos distances par rapport à l'idée d'interculturalité qui réduit les instances culturelles à des relations binaires d'affrontement ou de coexistence, excluant l'extrême complexité des rapports humains.
(2) Jules Ferry qui était un fervent adepte de la colonisation n'était nullement chaud pour appliquer cette loi dans les colonies, de crainte de voir émerger des élites maîtrisant les contours du discours «occidental».
(3) Voltaire et Montesquieu, par exemple, s'attaquent férocement à l'islam et au prophète(QSSSL) sans aucun argument sérieux, méconnaissant d'ailleurs le monde musulman considéré comme «sauvage», en partant d'un regard trop travaillé par une sorte d'hypertrophie du moi et d'un centre, le leur, considérant l'autre et les autres comme de simples entités périphériques.
Voltaire qui écrivit une pièce intitulée Le fanatisme ou Mahomet, traitait le prophète (QSSSL) d'imposteur et les musulmans de sauvages.


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